« Ex Machina » : épouserons-nous un jour nos robots ?

« Ex Machina » : épouserons-nous un jour nos robots ?

Lors d’un débat consacré à l’intelligence artificielle organisé par Rue89 en mars à Metz, un chercheur évoquait l’hypothèse, encore lointaine, de mariages entre humains et robots humanoïdes, c’est-à-dire d’apparence humaine....

Par Pierre Haski
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Lors d’un débat consacré à l’intelligence artificielle organisé par Rue89 en mars à Metz, un chercheur évoquait l’hypothèse, encore lointaine, de mariages entre humains et robots humanoïdes, c’est-à-dire d’apparence humaine. Les drapeaux anti-mariage gay « un papa, une maman » de la Manif pour tous pourraient ainsi être recyclés dans la perspective de nouveaux débats animés...

Je repensais aux propos surprenants et volontiers provocateurs de Daniel Goossens, dessinateur, pilier de Fluide glacial, mais aussi chercheur en intelligence artificielle (IA) à Paris 7, en voyant le film « Ex Machina » qui sort mercredi 3 juin en France.

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Les relations amoureuses à l’ère technologique

Ce film d’anticipation du réalisateur et scénariste britannique Alex Garland explore la veine de la séduction et des relations amoureuses à l’ère technologique. On pense aussitôt au formidable « Her » de Spike Jonze, dans lequel Joaquin Phoenix tombe amoureux du système d’exploitation (OS) de son ordinateur qui, il est vrai, a la voix sans corps de Scarlett Johansson !

Alex Garland va un grand pas plus loin, puisque l’objet du désir a le visage de l’actrice suédoise Alicia Vikander, dans un corps de robot. Elle est Ava, robot humanoïde doté d’une intelligence artificielle qui lui permet d’aller au-delà de la simple programmation de son créateur.

Alicia Vikander, l'actrice sudoise qui joue Ava, robot humanode d'
Alicia Vikander, l’actrice suédoise qui joue Ava, robot humanoïde d’« Ex Machina » - DR

La question qui se pose est de savoir si Ava est dotée de « conscience », ce qui distinguera, le jour où ça se produira, la génération de robots actuels, certes de plus en plus sophistiqués mais dépendants du programme défini par leurs créateurs-ingénieurs, et ceux de l’ère de l’intelligence artificielle où ils « penseront » par eux-mêmes.

Dans le film, un milliardaire de la technologie, mélange extravagant et un peu inquiétant de tous les personnages connus de la Silicon Valley, fait venir un de ses jeunes employés dans sa maison isolée pour « tester » Ava, et déterminer si elle a ou pas une « conscience ». Exercice résumé comme suit :

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« Le défi est de te montrer qu’elle est un robot et de voir si tu sens malgré tout qu’elle a une conscience. »

Je ne vais pas jouer les spoilers et vous raconter la suite. La bande-annonce en donne quelques pistes, mais sans plus...

« Ex Machina », bande-annonce

Peut-on tomber amoureux d’un robot ?

L’univers psycho-technologique dans lequel nous plonge habilement ce film pose certaines des questions éthiques, morales, et tout simplement existentielles qui entourent les recherches sur l’intelligence artificielle. Et il le fait par le biais du désir amoureux, peut-être la manière la plus habile de faire réfléchir...

Peut-on tomber amoureux d’un robot, même doté des traits d’une actrice suédoise, et même, comme le suggérait Daniel Goossens au festival Littérature 'amp; Journalisme de Metz, l’épouser ?

Avec mon regard et mon vécu très XXe siècle, je l’imagine mal. L’idée est même assez effrayante tant nous avons grandi comme des animaux sociaux, déjà passablement perturbés par la place grandissante prise par la technologie dans nos vies du XXIe siècle.

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Et pourtant, à la réflexion, pourquoi pas ? A condition de ne pas plaquer le schéma de nos relations amoureuses actuelles sur nos relations avec un compagnon robotisé (à ce propos, un ami m’a confié qu’il avait choisi une voix masculine pour le GPS de sa voiture pour que sa femme « ne soit pas jalouse »...).

Dans « Her », l’homme est effondré de découvrir que le système d’exploitation dont il est tombé raide dingue amoureux entretient les mêmes relations avec des centaines d’autres humains... « Elle » ne comprend évidemment pas la jalousie et le désir de possession qui sont en nous, et cette hyper-polygamie n’est en rien incompatible avec son programme.

Peut-être saurons-nous inventer, avec le robot doté d’intelligence artificielle de demain, un nouveau type de rapports amoureux dont nous n’avons absolument pas l’idée aujourd’hui...

L’IA conduit-elle le monde humain à sa perte ?

A condition qu’il y ait encore des humains : l’intelligence artificielle suscite des craintes croissantes, y compris auprès d’esprits scientifiques comme Bill Gates (fondateur de Microsoft), Steve Wozniak (cofondateur d’Apple), le scientifique Stephen Hawking, ou Elon Musk (PDG de Tesla, SpaceX), qui redoutent que les recherches en cours sur l’IA conduisent le monde humain à sa perte.

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Alex Garland, le réalisateur d’« Ex Machina », dont le film s’inscrit de plain-pied dans ces débats (non, je n’en dirai pas plus), reconnait dans un essai publié par le New York Times, qu’il y a deux voies pour l’intelligence artificielle :

  • une plus grande fiabilité dans la gestion de domaines où l’imprécision, la fatigue, ou la maladresse humaine seront remplacés par des systèmes « intelligents » pour notre plus grand bénéfice ;
  • le risque que l’apparition de la « conscience », c’est-à-dire le « meilleur de nous-mêmes », écrit Garland, chez des robots plus intelligents et à l’espérance de vie plus longue que nous, ne conduise à notre « remplacement ».

Alex Garland conclut en reprenant les craintes de Hawking et des autres :

« Là où ils disent que l’intelligence artificielle signifiera la fin des humains, on pourrait dire qu’un jour l’intelligence artificielle sera ce qui restera de nous ».

A la réflexion, je ne suis plus tout à fait sûr de vouloir épouser mon robot...

Pierre Haski
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