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« Afrique & The City » (3) : Afropoli… quoi ! ?

Dans le 3e épisode de sa chronique, Gladys Marivat, saisit l’occasion de la soirée mondaine parisienne We are Afropolitan, pour enquêter sur l’expression « afropolitain », un mot branché et fourre-tout

Publié le 03 juin 2015 à 17h53, modifié le 04 juin 2015 à 15h13 Temps de Lecture 4 min.

Alors que les mots « selfie », « bolos » et « lose » ont fait une entrée remarquée dans le Larousse 2016, nous déplorons un grave oubli : le mot-valise « Afropolitain ». Contraction d’« Africain » et de « Cosmopolitain », il est devenu en l’espace de dix ans une véritable bombe marketing à acceptions variées et variables.

Aujourd’hui, si vous êtes un jeune artiste noir, et même juste un jeune noir, que vous vivez entre une grande métropole et le continent africain, ou y avez conservé des liens, que vous avez fait de brillantes études, voyagez beaucoup, parlez anglais et/ou français et affichez un look « ethnic-chic », ou « afropunk », bref un look qui mixe deux choses, vous serez immédiatement affublé de ce néologisme.

Les romancières nigériane Chimamanda Ngozi Adichie et britannique d'origine ghanéo-nigériane Taiye Selasi,  sont souvent citées comme Afropolitaines.

Mais d’où vient ce mot ? Lancé en 2005 par Taiye Selasi, romancière britannique d’origine nigériane et ghanéenne, ce terme décrivait, selon elle, « les Africains du monde » : une « nouvelle génération d’émigrés africains », qui sont toujours entre deux villes et deux cultures, ont « un accent américain, un affect européen, une éthique africaine ». Dix ans plus tard, en tournée en France, Taiye Selasi avouait être dépassée par l’ampleur du phénomène. Et elle n’était pas la seule.

Lors d’un séjour en France, en février 2015, la romancière nigériane Chimamanda Ngozi Adichie, répondant au Point à une énième question sur son « afropolitanisme », confiait être fatiguée de ce mot et être « Africaine », un point, un trait. « Les Africains sont-ils donc tellement en dehors de l’histoire générale de l’humanité qu’ils doivent être désignés par un mot particulier quand ils voyagent ou se trouvent dans les capitales du monde ? », s’étonnait-elle, avant de souligner que le cosmopolitisme n’était pas un phénomène nouveau chez les Africains.

Malgré ces sages paroles, l’afropolitanisme séduit de plus en plus. Alors, simple opération marketing ou véritable sentiment identitaire ? Nous avons posé la question aux participants de la 4e édition de la soirée « We Are Afropolitan » qui s’est déroulée samedi 30 mai au Sardignac sur le toit, porte des Lilas, à Paris.

Une des participante à la soirée We are Afropolitan, le 30 mai 2015, à Paris.

23 heures. C’est l’heure à laquelle doit démarrer la soirée, selon Facebook. Mais les organisateurs ont dû prendre le temps, à la dernière minute, pour installer des tentes et des chauffages. En bas, deux bandes de filles venues dès l’ouverture patientent dans le hall du cinéma. Toutes portent un truc en wax : c’est le dress-code pour profiter d’entrées moins chères jusqu’à 00h30 (15 euros au lieu de 20 euros). Dans le premier groupe, trois filles qui se présentent comme Antillaises et Sénégalo-Guinéenne. On leur demande si elles se sentent « afropolitaines » et elles répondent qu’elles n’ont rien à dire sur le sujet et sont juste venues danser.

Dans l’autre groupe, trois filles qui se présentent comme Martiniquaise, Comorienne et Afropolitaine. « Afropolitaine, c’est le fait d’avoir des racines là-bas et de vivre ici, explique celle qui a attiré ses copines à la soirée. Nous sommes toutes des Africaines ici, même les Antillaises ! » L’Antillaise en question, qui a bien réfléchi au sujet, ne l’entend pas ainsi. « Pour moi, c’est juste une catégorie à la mode, comme ethnic-chic. Ce mot permet de diffuser la culture, la mode et la musique du continent en Europe, là où vit la diaspora pour la populariser. Et bientôt, on dira t’es Afropolitaine, comme t’es ethnic chic ! »

Une heure et demie plus tard, les portes s’ouvrent enfin. Le public est à 99 % féminin. Sur la piste, une dizaine de filles dansent par petits groupes sur de la musique congolaise et ghanéenne. Les autres font tapisserie et pianotent sur leur téléphone.

Dehors, on croise l’organisateur, Ife Onikoyi. Il nous livre sa vision panafricaniste du terme « Afropolitain ». « Avec mes soirées, je veux fédérer les cultures des différents pays d’Afrique et unifier la diaspora, comme ça se fait à New York ou à Londres. A Paris, on a d’un côté les soirées sénégalaises, de l’autre, les soirées congolaises. » Ceci dit, Ife Onikoyi en convient : « afropolitain » est un terme nouveau et chacun y met un peu ce qu’il veut.

Un des coiffeurs du 235th Barber Street​ participant à la soirée We are Afropolitan, le 30 mai 2015, à Paris.

Côté panafricanisme en tout cas, son concept fonctionne. Mali, Guinée-Bissau, Sénégal, Côte d’Ivoire, Guadeloupe, tout le monde est là et danse. Mais pour quoi faire ? La réponse est claire pour Raoul, Aurélien et Arthur. Ils se présentent comme trois Camerounais, viennent de Rouen et de région parisienne. Ils arborent un look sapster, une sorte de mélange entre le look des sapeurs et celui des hipsters. Les soirées afropolitaines, ils connaissent, puisqu’ils en organisent. « Afropolitain, c’est surtout un sésame pour pouvoir organiser des soirées dans des lieux chics. « Cela donne un côté urbain. Ils nous voient bien habillés. On veut donner une nouvelle image des Noirs. » Le 21 juin, ils organisent une soirée au Bermuda Onion dans le 15e arrondissement de Paris.

Il est une heure du matin et les hommes arrivent. Devant l’entrée, un groupe de très jeunes gens fait demi-tour, effrayés par le prix. Reste les coiffeurs du 235th Barber Street, un salon partenaire de la soirée, qui ont des entrées gratuites. Cet établissement du 19e, à Paris, est prisé par les – très nombreux – jeunes gens soucieux de leur beauté capillaire. Afro ou pas, ils sont capables de patienter cinq heures pour se faire faire une nouvelle. Signe de la victoire de l’afropolitanisme ?

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Là-haut, on boude les nouveautés hip hop qui viennent s’intercaler entre les tubes du continent. En revanche, la Côte d’Ivoire fait danser la salle avec le seka seka de Mareshal. On reprend en chœur J’ai mal au dos, j’ai mal aux reins ! De la terrasse, un sapeur blasé observe la piste. C’est Patrick. Il nous dit qu’il est Ukrainien et Congolais par ses parents. Est-il Afropolitain ? Il avoue ne pas comprendre le concept, mais être venu pour voir. Laissant Patrick à ses réflexions, on quitte le toit-terrasse. En bas, deux jeunes Camerounais, vêtus de chemises en wax, semblent méditer. « On était venus chercher l’ambiance du pays, mais c’est différent. C’est bien d’avoir essayé, mais il y a des progrès à faire. »

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