Gilles Babinet : "Seules les start-up les plus rapides s'en sortiront"

TRIBUNE. Pour le "digital champion", il est urgent de permettre aux jeunes pousses françaises d'accéder au capital. Une question de survie sans couleur politique.

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Gilles Babinet,
Gilles Babinet, "Digital Champion", est le représentant de la France pour le numérique auprès de la Commission européenne. © DR

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Né en 1967, à Paris, Gilles Babinet a créé plusieurs sociétés dans le conseil (Absolut), le bâtiment (Escalade Industrie), la musique mobile (Musiwave), la co-création (Eyeka), ou encore le big data (Captain Dash). Il a été président du Conseil national du numérique et est actuellement "Digital Champion", c'est-à-dire représentant de la France pour le numérique auprès de la Commission européenne. Alors que les start-up françaises seront présentes en force au Consumer Electronics Show début janvier à Las Vegas, l'auteur de L'Ère numérique, un nouvel âge de l'humanité (éd. Le Passeur) donne son avis ici sur ce qui a changé sur le numérique dans l'Hexagone. Et les mesures qu'il est urgent de prendre.

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La tribune de Gilles Babinet :

"Les Pigeons : combien loin semble à présent cette fronde qui avait durablement brouillé les relations entre le monde de l'entrepreneuriat et le gouvernement. Deux ans et demi se sont écoulés et pas une semaine ne passe sans que le président de la République renouvelle l'importance qu'il accorde au monde de l'innovation, aux start-up et au numérique au sens large.

À cet égard, il faut saluer l'initiative de la French Tech. Même si, pour certains grincheux - qui n'ont probablement pas été regarder en détail ce que comporte ce dispositif -, il ne s'agit que d'une opération de promotion du monde numérique, il est, à n'en pas douter, probable qu'une politique qui favorise l'émergence de clusters de taille critique dans le monde du numérique, dans toute la France, est vertueuse. Les clusters - des lieux qui rassemblent entrepreneurs, centre de recherche, fonds d'investissement, écoles numériques, fab labs, etc. - représentent des caractéristiques systématiques des pays leaders dans le numérique : nommément Israël, les États-Unis, le Royaume-Uni, etc.

Toutefois, des points faibles subsistent : ainsi de l'accès au capital qui reste pour les start-up françaises dans une situation de handicap que les chiffres ne cessent de mettre en évidence. Par habitant, les Français investissent vingt-trois fois moins dans le capital-risque que les Israéliens, et sept fois moins que les Américains. Et en ce qui concerne l'amorçage, l'ensemble des business angels (investisseurs individuels généralement orientés vers l'amorçage) se limite probablement à moins de 5 000 personnes, là où une seule association au Royaume-Uni en regroupe 50 000.

Il est important de comprendre qu'au sein d'une ère où l'innovation s'organise en tant que marché global, les start-up qui gagnent sont celles qui parviennent à aller plus vite que les autres. Airbnb et Uber en sont de remarquables exemples. L'accélération n'est possible qu'en accédant facilement au capital requis pour chaque phase de développement. Or, à cet égard, la France souffre d'un désavantage compétitif certain. Les conséquences en sont visibles. Même si nous ne cessons de nous féliciter de la réussite de quelques start-up devenues grosses, comme Criteo, nous serions à ce jour incapables d'aligner, comme au Royaume-Uni, près de 90 sociétés qui vont entrer en Bourse pour une valeur supérieure à 100 millions de livres dans les dix-huit mois à venir (Source Tech City).

Ce n'est pourtant pas parce qu'un gouvernement se revendique de gauche qu'il doit se sentir mal à l'aise avec tout ce qui touche au capital. Au contraire, en revendiquant clairement sa volonté de voir le capital être utilisé comme un moyen et non comme une fin, il assumerait d'autant plus sa tradition politique et ses valeurs. Ainsi, quel est le coût politique qui consisterait à déplafonner le TEPA ISF ? Aujourd'hui, l'abattement fiscal dont on peut bénéficier lors de l'investissement dans une start-up est limité à 50 000 euros. Lorsqu'on sait que la résidence principale est exonérée à 30 %, que les oeuvres d'art et les voitures de collection le sont à 100 %, trois types d'investissements totalement improductifs, on ne comprend plus la logique. En déplafonnant la limite d'investissement, en relevant le taux d'abattement de 50 % à 70 % et en garantissant cette mesure sur dix ans, il ne serait pas surprenant de voir des capitaux que l'on croyait perdus revenir en France.

Bien sûr, il existe également d'autres mesures : prélever 1 % de l'assurance-vie pour le diriger vers l'innovation : la résistance du lobby assuranciel à cette idée est impressionnante, mais, encore une fois, la volonté politique ici pourrait transcender les freins. Enfin, il conviendrait de revenir sur la loi sur les plus-values, votée en 2013. Celle-ci visait à éviter les gains spéculatifs en imposant très fortement les bénéfices réalisés dans des délais inférieurs à 3 ans. Or, ce ne sont pas les spéculateurs qui ont été touchés : ceux-ci disposent de mécanismes de holding qui les affranchissent de l'impôt sur les plus-values. Non, ceux qui sont touchés sont bien les entrepreneurs qui ne voient plus aucun bénéfice à vendre une société qui aurait connu une croissance rapide, issue d'innovations de rupture qui sont, faut-il insister là-dessus, la caractéristique de notre temps."

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Commentaires (8)

  • joselito55

    Bonne année à tous

  • timi75

    Vous confondez allègrement le capital, la richesse produite, et le travail qui la crée.

    « Le capital provient du travail et a donc été déjà taxé. » : votre formulation pourrait faire oublier que ceux qui possèdent le capital et s'attribuent les richesses produites par le travail ne sont bien souvent pas ceux qui produisent ces richesses en travaillant. Le produit du capital n'est pas le produit du travail, mais la part qui en est soustraite par le capitaliste. Taxer l'un ou l'autre ne revient donc pas, en principe, à faire payer les mêmes.

    « Dans un monde mondialisé le capital s'oriente vers les pays ou la rentabilité sera la meilleure. » : dans un monde capitaliste mondialisé, la cupidité libérée des frontières assure un brillant avenir aux dictatures esclavagistes et aux paradis fiscaux. La France n'en fait pas partie, mais comme le capital représente bien plus un moyen de confisquer les richesses que d'en créer, on se demande si cela n'est finalement pas souhaitable.

  • Brecht

    Il faut s exiler la ou les gens encouragent l innovation et non la rente