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Chronique

Vivement l'« ubérisation » de la vie politique française !

Le congrès du PS comme celui de l'ex-UMP ont montré, une fois encore, la profonde déconnexion de nos partis de gouvernement d'avec la réalité. S'ils ne changent pas rapidement leurs méthodes, ils seront balayés.

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Par Edouard Tétreau (essayiste et conseiller de dirigeants d’entreprises)

Publié le 3 juin 2015 à 01:01

Ah, le joli mois de mai ! Ces dernières semaines, on cherchait désespérément une bonne nouvelle en Europe à se mettre sous la plume, pour aborder l'été avec optimisme et espoir. Il a fallu chercher longtemps. Sur le continent, la Grèce continue d'être humiliée par ses créanciers européens; l'Italie s'enfonce dans la récession; la Hongrie de M. Orban dans le fascisme; et l'Allemagne dans la thésaurisation de ses excédents colossaux. Mention spéciale pour la Grande-Bretagne, où le triomphe du Scottish National Party, en Ecosse, et les succès électoraux du Parti conservateur en Angleterre confirment la fracture politique d'un royaume de moins en moins uni, et qui cherche aujourd'hui à faire sécession avec l'Union européenne. « Good luck to them ! »

Quant à la France, elle vient d'enregistrer son 85e mois de hausse d'affilée du chômage. Soit +75 % en sept ans. Les deux partis politiques primo-responsables de ce drame économique et social s'en lavent les mains. Ils ont d'autres préoccupations plus immédiates et boutiquières. Le sujet a été à peine effleuré au congrès du PS de Poitiers - la motion gagnante faisant « de l'égalité le fil d'Ariane de la fin du quinquennat et de l'action du Parti socialiste dans les prochaines années. » Les 5 millions de demandeurs d'emploi seront heureux de l'apprendre. Quant à l'UMP, pardon, Les Républicains, les adjectifs manquent pour qualifier les méthodes de son congrès fondateur le week-end dernier, avec organisation de sifflements pour les uns, huées pour les autres, pannes de micro opportunes, dès que des voix autres que celle du chef voulaient s'exprimer. Cela promet pour la transparence et la légitimité des futures primaires.

Où est l'espoir ? Où réside la possibilité, concrète et non fantasmée, d'une réforme en profondeur de nos sociétés européennes, en particulier en France, si la représentation politique est devenue aussi incompétente, coupée des réalités des peuples et de l'économie ?

C'est en Espagne que l'on trouve aujourd'hui l'exemple à suivre, et le motif pour espérer à nouveau un sursaut politique et démocratique en Europe. « Ciudadanos, Podemos ! » « Citoyens, Nous pouvons ! » Si elles fusionnaient et s'exportaient en France, voilà comment s'appelleraient les deux formations politiques espagnoles qui ont triomphé lors des élections municipales du mois dernier. A l'instar d'Uber, ces formations n'étaient pas sur le radar au début de la décennie. Dans le cas de Podemos, il aura fallu moins de dix-huit mois, et quelques millions d'euros seulement, pour devenir l'un des principaux partis politiques espagnols, en position pour remporter les mairies de Madrid et Barcelone.

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La gifle infligée par Podemos et Ciudadanos aux deux partis de gouvernement, le PSOE et le PP, est monumentale : ces derniers captaient 84 % du « marché » des électeurs espagnols en 2008. Aujourd'hui, ils sont sous les 50 %. Et ça n'est pas fini.

A l'instar d'un secteur économique traditionnel, où quelques grands acteurs historiques, dûment référencés, monopolisaient le marché et les rentes de situation, la vie politique espagnole a été « ubérisée ». Ses prestataires de services (exécutif et législatif) faisant un mauvais travail (chômage endémique, corruption, déficits), les consommateurs - pardon, le peuple - se sont tournés vers un service et une « application » nouvelle jugée plus prometteuse. Les dirigeants de Ciudadanos et de Podemos ont soixante et onze ans. A deux. Ils n'ont jamais fait de politique - cette fonction noble qui ne saurait être une carrière. Pablo Iglesias, à gauche, est professeur à l'université. Alberto Rivera, au centre, est juriste en entreprise.

Quels ont été les moteurs clefs de leur succès ? D'abord, Internet et les réseaux sociaux, qui permettent de fédérer rapidement des militants en s'affranchissant de la lourdeur et du coût des activités traditionnelles des partis (réunions, assemblées, manifestations). Internet, qui permet aussi de court-circuiter les grands médias, hier faiseurs de rois en politique, aujourd'hui suiveurs de mouvements enclenchés ailleurs. L'autre ingrédient du succès de Podemos et de Ciudadanos fut l'incapacité des acteurs en place à se remettre en cause et à bien travailler, et l'idée qu'il n'y aurait pas d'autre choix que de passer par eux. Comme les taxis parisiens avant Uber, vautrés dans leurs rentes de situation.

Nous sommes à deux ans des élections présidentielle et législatives françaises. La nature ayant horreur du vide, un boulevard s'ouvre pour créer, non pas un Podemos, mais un Ciudadanos français. Un parti du centre, pragmatique, issu de la société civile ouverte sur le monde, pas repliée sur elle-même. Un parti qui se donnera comme objectif de recréer l'unité nationale, rendue impossible par l'affrontement artificiel droite-gauche d'un autre temps. Un mouvement qui appuiera sa dynamique sur les forces vives du pays : fonctionnaires, étudiants, salariés du privé, entrepreneurs, chercheurs, militaires. Au nom de quelle fatalité le génie français, qui s'exprime en abondance dans les réussites de la société civile - du CAC 40 à nos prix Nobel en passant par nos start-up numériques et notre recherche scientifique - devrait-il être exclu de la vie politique française ?

Le boulevard est grand ouvert. Il ne manque plus que de réunir les personnes de bonne volonté, le temps d'un week-end, et de poster un manifeste sur un site en ligne, et le tour est joué. C'est précisément ce qu'a fait Podemos, un week-end de janvier 2014.

Edouard Tétreau

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