Le retour de Radio-Moscou
C'était tout un monde que les radios amateurs connaissaient bien, avant la chute du Mur de Berlin. Un monde étrange, un peu désuet. Celui de Radio Moscou.
Le signal radio était souvent faible, il fallait parcourir délicatement la bande des ondes courtes pour le dénicher. Et puis soudain, on y était. Radio Moscou nous parlait. Ou Radio Tirana. La propagande soviétique, multilingue, était si caricaturale qu'elle en paraissait alors presque exotique.
Trente ans plus tard, ce monde englouti par les bouleversements de 1989 est en train de renaître.À Moscou, on s'y active beaucoup. Surtout depuis la prise de la Crimée et le début de la guerreen Ukraine. Une « guerre de l'information » est en cours. « Avec » l'Occident et « en » Occident.
Les techniques, bien sûr, ont évolué. Internet occupe désormais une place centrale. La scène médiatique, à usage politique, n'a plus vraiment de frontières. D'où la double stratégie déployée par le Kremlin : verrouiller à l'ancienne l'information sur la scène russe, et la conditionner de façon moderne dans les médias étrangers ou les médias russophones financés par Moscou.
On l'a vu sur l'Ukraine. À Moscou, le contrôle des médias est de plus en plus serré. À quelques rares exceptions près qui, dans l'espace infini de la Fédération de Russie, n'ont qu'un impact marginal. La rhétorique contre les « nazis » de Maidan tourne à plein régime depuis un an. Il est même désormais interdit de publier à Moscou des informations sur la mort de soldats russes en Ukraine.
« L'objectivité est un mythe »
Hors des frontières, la tactique varie selon les pays. Dans les pays baltes, surtout en Estonie et en Lettonie où les populations russes ou russophones sont nombreuses, la voix de Moscou est très présente. En Europe centrale, dans les Balkans, la diplomatie d'influence connaît des fortunes diverses. Efficaces en Serbie. Beaucoup moins à Prague et Bratislava, où l'on a peu apprécié un documentaire diffusé par la première chaine de TV russe défendant l'intervention soviétique lors du printemps de Prague en 1968.
Au-delà du voisinage immédiat, c'est RT, Russia Today, la chaîne russe d'info en continu, qui est principalement à l'oeuvre. En anglais, espagnol, arabe. RT Deutsch a été lancée l'an dernier. La version française est attendue cette année. Selon une étude menée par le Parlement européen, son budget aurait augmenté en 2015 de 40 %.
Sur les réseaux sociaux, la propagande glissée dans les commentaires postés sur les sites bat son plein. Le Washington Post décrivait, mardi, l'existence d'un immeuble dédié, à Saint-Pétersbourg, à cette seule activité. Plus de 400 personnes y travaillent jour et nuit.
Plusieurs pays d'Europe du Nord réfléchissent déjà à une riposte médiatique, pour qu'une information indépendante soit diffusée en langue russe, ce que la BBC ne fait plus. Au Kremlin, on sourit. « L'objectivité est un mythe », s'amuse Dimitri Kiselev, le monsieur Com' de Poutine. Il oublie de préciser le nombre de journalistes russes assassinés. Tout le monde espionne, conditionne, communique. Ce qui distingue la propagande, c'est le régime qui la produit.
Moscou profite en fait de l'effet d'aubaine provoqué par la bulle médiatique globalisée. Internet est un bain de jouvence pour les théories du complot. Une voix en vaut une autre. L'intox est bien habillée dans le plus pur style occidental. Et puis, Edward Snowden, l'homme par qui l'espionnage industriel de Washington a été révélé, n'a-t-il pas trouvé refuge à... Moscou ? À la guerre de l'info, tous les coups sont permis.