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Électrification de l’Afrique : le rapport choc de Kofi Annan

L’Africa Progress Panel, le think tank de Kofi Annan, exhorte la communauté internationale à investir massivement et les dirigeants africains à miser sur les énergies renouvelables.

Par  (Le Cap, Afrique du Sud, envoyé spécial)

Publié le 05 juin 2015 à 01h56, modifié le 05 juin 2015 à 15h38

Temps de Lecture 5 min.

A Soweto, en Afrique du Sud, Sinovuyo Bhungane, 9 ans, fait ses devoirs à la bougie.

C’est le rapport le plus attendu de cette édition africaine du Forum Économique Mondial qui se déroule au Cap, en Afrique du Sud, du 3 au 5 juin. Deux jours avant le début du sommet de l’Union Africaine, trois mois avant l’assemblée générale de l’ONU et à six mois de la conférence mondiale sur le climat (COP21), l’Africa Progress Panel, le think tank de l’ancien Secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, a dévoilé vendredi 5 juin sa dernière étude intitulée : « Énergie, planète : saisir les opportunités énergétiques et climatiques de l’Afrique ».

Le message adressé aux dirigeants africains et aux institutions internationales se veut positif. En clair : « investissez massivement dans l’électrification pour faire jaillir la puissance énergétique du continent et réduire ainsi la pauvreté et les inégalités ». Et si le changement climatique était une opportunité pour le continent ? L’Afrique pourrait ainsi prendre le leadership en matière d’énergie à faible émission de carbone et éviter les travers polluants éprouvés par le monde occidental et certains pays émergents. L’Afrique génère seulement 2,3 % des émissions de CO2. Plus qu’ailleurs, un pari sur les énergies renouvelables pourrait bien faire émerger une nouvelle économie et ainsi déclencher la corrélation vertueuse entre changement climatique, réduction de la pauvreté et croissance.

« Nous rejetons catégoriquement l’idée selon laquelle l’Afrique doit choisir entre la croissance économique et un développement à faible émission de carbone », a précisé Kofi Annan. Et de recommander : « l’Afrique doit utiliser tous ses atouts énergétiques à court terme, tout en construisant les fondations d’une infrastructure énergétique à faible émission de carbone et compétitive ».

Toutefois, le constat dressé par les experts de l’Africa Progress Panel est sans appel. Les chiffres retenus pour illustrer la situation actuelle se révèlent éloquents et révélateurs du défi considérable que doit surmonter l’Afrique :

  • 621 millions d’Africains n’ont pas accès à l’électricité : c’est la moitié des habitants du continent.
  • En excluant l’Afrique du Sud, un Africain ne consomme en moyenne que 162 kilowattheures (kWh) par an alors que les autres terriens en consomment 7 000.
  • La consommation d’électricité de l’Afrique est inférieure à celle de l’Espagne. À ce rythme, il faudrait patienter jusqu’en 2080 pour que tous les Africains aient accès à l’électricité.
  • Une villageoise du nord du Nigeria, un pays où 93 millions d’habitants sont privés d’accès à l’électricité, paie le prix le plus cher au monde pour l’électricité, soit 60 à 80 fois plus qu’un New Yorkais.
  • Près de 600 000 Africains meurent chaque année à cause de la pollution de l’air générée par les combustibles solides utilisés pour cuisiner. La moitié d’entre eux sont des enfants de moins de 5 ans. Au rythme actuel, il faudrait attendre la seconde moitié du XXIIe siècle pour que la totalité des Africains jouissent d’un accès à des cuisinières non-polluantes.
  • Seuls 35 % des Angolais ont accès à l’électricité, contre 55 % des Bangladeshis. Et cela alors que l’Angola affiche un revenu moyen cinq fois supérieur à celui du Bangladesh.
  • Au Burkina Faso, au Mali et au Niger, plus de 80 % des écoles primaires n’ont pas accès à l’électricité. Au Burundi et en Guinée, ce chiffre s’élève à 98 %.

Pourtant un véritable marché existe, et les dépenses énergétiques des Africains sont considérables.

  • L’Africa Progress Panel estime que 138 millions de foyers composés de personnes vivant avec moins de 2,50 dollars par jour dépensent chaque année 10 milliards de dollars dans l’énergie. Et ce, pour se fournir en bougies, charbon, essences pour les générateurs et en bois de chauffage. Ce qui revient à près de 10 dollars par kWh, soit 20 fois plus que pour alimenter un appartement chic de Manhattan où la facture s’élève à 0,12 dollar par kWh.
  • Plus de 40 % des entreprises en Éthiopie et en Tanzanie dépendent de générateurs gourmands en diesel. La pénurie d’énergie diminue la croissance de la région de 2 à 4 % par an, freinant les efforts destinés à créer des emplois et à réduire la pauvreté.

Toutefois, les prédictions ne sont pas forcément encourageantes :

  • Selon les scénarios établis par l’Agence Internationale de l’Énergie, l’Afrique subsaharienne est la seule région où le nombre de personnes privé d’accès à l’électricité devrait augmenter. C’est ainsi qu’en 2030, 66,6 % des Africains pourraient bien être concernés.

Mais, l’Africa Progress Panel critique le manque d’ambitions de ces scénarios qui prévoient une production augmentée de l’électricité sans néanmoins véritablement augmenter l’accès des populations défavorisées notamment les habitants des zones rurales. Pourtant, les auteurs de ce rapport soulignent les opportunités à saisir pour valoriser un potentiel inexploité et développer les énergies renouvelables :

  • Le développement des projets d’énergie hydroélectrique : cette richesse inexploitée s’élève à 1,844 térawatt par heure chaque année, soit trois fois la consommation annuelle de toute la région. La construction, encore incertaine, du barrage Grand Inga en République démocratique du Congo permettrait de doubler la production hydroélectrique africaine.
  • Outre l’hydraulique, l’Africa Progress Panel conseille le développement de projets de production d’énergie solaire qui pourrait bien représenter près de 17 % de l’énergie produite en Afrique en 2040, selon le cabinet de conseil Mc Kinsey. Mais aussi la multiplication des projets de fermes éoliennes.
  • L’utilisation du gaz naturel de la région pour satisfaire les besoins domestiques en énergie ainsi que pour l’exportation.

  • Une revalorisation de la terre pour optimiser une exploitation renouvelée afin de réduire les émissions de CO2 en hausse de 1 à 2 % chaque année et éviter les pertes de prés de 2 millions d’hectares de forêt par an entre 2000 et 2010.

  • Chaque année les gouvernements africains versent 21 milliards de dollars de subventions pour des services publics jugés inefficaces et réservés aux plus aisés. L’Africa Progress Panel incite donc les États à revoir leurs politiques de subventions pour réorienter de manière efficace ces 21 milliards de dollars.
  • Faire de la place aux investissements en matière d’énergie renouvelable qui sont asphyxiés par les opérations d’entretien et de maintenance du réseau (près de 75 % des dépenses des gouvernements).

À l’instar de l’ancien ministre français, Jean-Louis Borloo, qui fait de l’électrification de l’Afrique une priorité absolue, l’Africa Progress Panel tire la sonnette d’alarme. Et de rappeler qu’il reste deux tiers des infrastructures énergétiques à mettre en place d’ici 2030 sur le continent. Le principal obstacle reste celui du financement : comment trouver près de 55 milliards de dollars par an jusqu’en pour ériger des centrales, bâtir ou renouveler le réseau de transmission et de distribution ? Pour ce faire, le think tank appelle à une coopération internationale renforcée en plus de la Banque Africaine de développement et de l’Union Africaine.

« Des pays comme l’Éthiopie, le Kenya, le Rwanda et l’Afrique du Sud émergent comme favoris dans la transition mondiale vers une énergie à basse émission de carbone, souligne Kofi Annan. L’Afrique est bien placée pour accroître la production énergétique nécessaire pour stimuler la croissance, fournir de l’énergie à tous et jouer un rôle de leader dans les négociations cruciales sur le changement climatique ».

Pour ce faire, l’Africa Progress Panel appelle à éradiquer la corruption, à renforcer la transparence des institutions et souhaite la création d’un « fonds mondial de connectivité » pour raccorder 600 millions de personnes en plus d’ici 2030.

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