Une «oasis verte» sortie des ordures d’une favela de Rio

En dix ans, une décharge sauvage d’une favela de Rio devient un parc écologique récompensé par le prix SEED Award 2015.

Temps de lecture: 4 min

Aidé d’une poignée de volontaires, Mauro Quintanilha a déblayé pendant dix ans une décharge sauvage dans sa favela de Rio de Janeiro pour en faire un « Parc écologique ». Une folle initiative qui vient de remporter l’un des prix d’urbanisme les plus prestigieux au monde.

« Au début (en 2005), on me prenait pour un fou, les gens se moquaient de moi ! C’était 16 tonnes d’ordures entassées depuis 25 ans par les habitants sur les hauteurs de Vidigal », déclare Quintanilha, un percussionniste de 55 ans.

Vidigal et ses 25.000 habitants jouissent d’une vue imprenable sur les beaux quartiers. Comme la plupart des favelas, elle ne bénéficiait d’aucun service public et donc pas du ramassage d’ordures. La montagne de détritus dégringolait en contrebas du bidonville jusqu’à l’élégante Avenue Niemeyer, la route de corniche qui longe l’océan.

« J’étais l’habitant le plus proche de la décharge. Il y avait de tout : des matelas, des réfrigérateurs, des pneus et même des cadavres de chiens, ça puait et ça me déprimait, alors j’ai décidé de réagir », explique-t-il.

Le « Parc écologique Sitiê » ou « oasis verte », comme le nomment ses créateurs, est aujourd’hui un endroit où l’on vient contempler oiseaux, papillons et petits singes, ou faire son jogging. Il comprend aussi un potager qui a déjà produit 700 kilos de légumes, plantes aromatiques et fruits distribués aux habitants.

« Au début, les gens continuaient à venir jeter leurs ordures, la nuit. Petit à petit on les a éduqués en leur donnant des plantes du potager. La transformation n’a pas été seulement celle de l’endroit mais aussi celle des habitants », se félicite Quintanilha, président du Sitiê.

Grâce aux boutures fournies par le Jardin Botanique de Rio, il a « aménagé le paysage de manière intuitive ».

Cuvettes transformées en vases

Tout ce qui, dans la décharge, était récupérable ou recyclable a été réutilisé. Des cuvettes de sanitaires colorées et de formes différentes servent aujourd’hui de grands vases pour les plantes ornementales. A partir de roues de vélo, Quintanilha a façonné des tables. Des bouteilles en plastique ont servi à fabriquer des sommiers et des poufs vendus à bas prix.

On accède à « l’oasis verte » par un escalier étroit fait de vieux pneus remplis de gravats, depuis la rue principale où serpentent des dizaines de motos taxi.

Ce qui servait de route de fuite aux trafiquants de drogue, jusqu’à la « pacification » de Vidigal en 2011, est devenu un belvédère d’où l’on a la plus belle vue sur les fameuses plages d’Ipanema et Leblon.

A partir de 2008, la police de Rio a repris le contrôle de nombreuses favelas pour sécuriser la ville en vue du Mondial-2014 de football et des jeux Olympiques de 2016.

Peu connue des Cariocas – les habitants de Rio –, l’initiative de Quintanilha est sortie de l’ombre en 2012 avec Rio+20, le Sommet de l’ONU sur le développement durable et la visite de délégations étrangères.

Mais c’est surtout l’arrivée dans la favela d’un architecte brésilien qui venait de finir ses études à Harvard, Pedro Henrique de Cristo, 32 ans, qui a donné de la visibilité au Sitiê.

« J’ai vu que les habitants ici avaient fait une révolution. Les gens des favelas sont incroyables. Mais l’espace est inhumain et doit être amélioré. Tant que les gouvernements et la société civile de “l’asphalte” (les quartiers aisés bitumés) ne comprendront pas cela, l’intégration sociale tant souhaitée n’aura pas lieu », déclare De Cristo, directeur et architecte du Sitiê.

« Quand nous sommes arrivés, le parc faisait 1.100 m2 et en deux ans et demi nous l’avons agrandi à 8.500 m2  », ajoute le jeune architecte, marié à Caroline Shannon, 29 ans, elle aussi architecte diplômée d’Harvard.

Bibliothèque, salles de cours et restaurant…

Mettant en pratique leurs connaissances et profitant du « moment olympique » et de sa vague d’investissements, le couple De Cristo et Quintanilha ambitionne de construire d’ici à 2016 l’Institut Sitiê d’Environnement, Arts et Technologie, un projet estimé à un million de dollars, approuvé par la mairie de Rio mais financé entièrement par des mécènes privés.

Si le budget parvient à être bouclé, l’Institut comprendra un centre d’innovation technologique, une bibliothèque, des salles de cours (art et musique) et même un restaurant qui utilisera des ingrédients du potager.

« L’important est de créer des espaces publics où éducation, démocratie et loisirs soient présents, et surtout pour les enfants comme antidote à la violence », explique de Cristo.

Fin avril, le parc et le projet de l’institut Sitiê ont reçu le prix SEED Award 2015 à Detroit (Etats-Unis), l’un des plus prestigieux du monde en architecture, urbanisme et design, en présence de Quintanilha et De Cristo.

Le modèle fait des émules à l’étranger. « Nous venons d’apprendre que nous irons à Cape Town, en Afrique du Sud, pour faire un dessin conceptuel d’un parc urbain », se félicite l’architecte.

« Si tous faisaient comme Quintanilha dans d’autres favelas, ce serait merveilleux. Transformer une décharge en parc, regardez la différence ! », témoigne Ivonete Tavares, 50 ans, une habitante de Vidigal.

 

Le fil info

La Une Tous

Voir tout le Fil info
La UneLe fil info

Le meilleur de l’actu

Inscrivez-vous aux newsletters

Je m'inscris

À la Une