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Deutsche Telekom a espionné la France pour le compte de la NSA

Des documents internes à l’opérateur allemand confirment sa participation à l’interception de données.

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Publié le 05 juin 2015 à 08h22, modifié le 05 juin 2015 à 10h53

Temps de Lecture 4 min.

La station d’écoutes des services de renseignements allemands, le BND, à Bad Aibling (Bavière), est également utilisée par la NSA.

Les services secrets allemands (BND), agissant pour le compte de l’Agence nationale de sécurité américaine (NSA), ont espionné la France par l’intermédiaire du groupe de télécommunications Deutsche Telekom. Des documents internes à cette entreprise, la plus importante en Europe dans ce secteur, auxquels Le Monde a eu accès, montrent comment elle a intercepté, au moins de 2005 à 2008, sur ordre du BND, les flux de communications gérés par France Télécom et transitant par l’Allemagne.

Les autorités allemandes, actuellement accusées de complicité d’espionnage avec la NSA, entre 2005 et 2015, des intérêts économiques et politiques européens, affirmaient qu’il était impossible de connaître l’identité des cibles visées, car les listes auraient été depuis détruites par leurs services secrets. Ces documents de Deutsche Telekom, détenus par la commission d’enquête parlementaire allemande sur les activités de la NSA et révélés par le député Verts autrichien Peter Pilz, attestent, au contraire, que France Télécom, devenue Orange en 2012, disposerait des moyens d’identifier les personnes ou entreprises espionnées grâce à ces pièces.

Par ailleurs, les auditions, menées à huis clos par la commission d’enquête du Bundestag, de membres du BND et de Deutsche Telekom ont livré de nouveaux éléments sur la toile tissée par l’espionnage américain en Europe, et notamment en France. « Face à ces faits inacceptables, estime la députée européenne Eva Joly, associée à M. Pilz dans cette dénonciation de la surveillance américano-allemande, il faut qu’une enquête judiciaire soit ouverte au plus vite à Paris, c’est là qu’Orange a son siège social. La France ne peut pas rester sans réaction quand on voit que la Belgique, les Pays-Bas ou l’Autriche ont déjà déposé plainte. »

La pleine intégration de Deutsche Telekom dans le dispositif de surveillance du BND et de la NSA date du 1er mars 2004. C’est la date qui figure au bas d’un protocole d’accord signé par Dieter Mayr pour le compte du directeur du BND et par Bernd Köbele, agissant pour le PDG du groupe de communication. Selon ce contrat, le groupe de télécommunication allemand, qui était, jusqu’en 1996, une filiale de la société publique Deutsche Bundespost, s’engage à intercepter, à l’insu des câblo-opérateurs, tels que France Télécom, le flux massif de données de communications transitant sur son territoire. Une pratique sans doute facilitée au fil des années puisque les deux opérateurs historiques français et allemand ont engagé, à partir de 2009, des rapprochements industriels.

Quinze membres du BND à demeure

« Ce protocole, explique M. Pilz, venait, pour Berlin, encadrer une activité jusque-là totalement débridée. Entre 2002 et 2004, il n’y avait aucune limite aux interceptions américaines et du BND via Deusche Telekom. » Ce qui permettait à la NSA de collecter massivement des données concernant des intérêts allemands. En théorie, le BND et la NSA n’espionnaient, d’après ce protocole, que le « transit » et non plus les intérêts nationaux. On a vu, depuis, que cela n’avait pas empêché les services américains d’espionner une entreprise comme Siemens.

Quinze membres du BND étaient installés à demeure, dans les locaux de Deutsche Telekom. Pour la seule année 2005, selon les documents de la commission d’enquête du Bundestag, « 51 lignes de transit à destination de la France », transportant chacune des flux massifs d’informations, ont été interceptées. Le 4 décembre 2014, un membre du BND a expliqué aux parlementaires allemands le fonctionnement de ce détournement. « Les routes sont électriques ou de fibres optiques, cela veut dire qu’une bretelle de dérivation est installée (…). Une partie continue vers l’opérateur, (…) une autre partie va au BND. »

A partir de 2005, l’ensemble du trafic intercepté a été renvoyé vers le centre d’interceptions, installé en Bavière, à Bad Aibling. Dans cette base, les opérateurs allemands travaillent aux côtés d’employés de la NSA dans le cadre du JSA (Joint Signal Activity). Tous ont connaissance de la nature des cibles américaines. Interrogé par la commission d’enquête du Bundestag, le directeur du BND, Gerhard Schindler, a indiqué, le 21 mai, qu’il n’y avait rien d’illégal à cela tant que cette collecte ne concernait pas des intérêts allemands.

Deutsche Telekom a intercepté, pour le compte du BND, des flux de communications gérés par France Télécom et transitant par l’Allemagne

Les cibles sont fixées par la NSA. En 2005, sur les 256 « lignes de transit » retenues, 94 lignes traversaient l’Union européenne, 40 connectaient des Etats membres de l’UE avec d’autres pays du continent comme la Suisse, la Russie, l’Ukraine ou la Turquie, 122 étaient raccordées avec des territoires dans le monde entier, notamment l’Arabie saoudite, le Japon ou la Chine. En revanche, tous les câbles concernant le Royaume-Uni, proche allié des Etats-Unis, ont été exclus de cette interception par le BND et la NSA.

Les « sélecteurs » ou clés de recherche, comme des noms, des numéros de téléphone ou carte de crédit, permettent ensuite à la NSA d’analyser le flux de données collectées. Ce tri est notamment fait par trois centres désignés SCS (« Special Collection Service ») dans une note de la NSA datée du 31 juillet 2009. Deux se trouvent à Vienne et l’autre à Paris, lié, comprend-on, à l’ambassade des Etats-Unis.

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Les relevés d’interception de Deutsche Telekom sur les câbles gérés par France Télécom fournissent un certain nombre de caractéristiques techniques qui permettraient d’orienter les recherches sur l’identité des victimes de cet espionnage. Les principaux centres de traitement des données de l’opérateur historique français sont cités en clairs, comme à Reims ou à Paris. Reste à savoir si le groupe français, qui joue un rôle central dans le renseignement technique en France, sera disposé à lever le voile sur ces affaires sensibles sachant qu’Orange, comme l’a déjà démontré Le Monde, a joué exactement le même rôle que Deusche Telekom pour le compte des services secrets français…

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