Publicité
Enquête

Pour tout l'or de la Guyane

Par Muryel Jacque

Publié le 4 juin 2015 à 01:01Mis à jour le 6 août 2019 à 00:00

Pour beaucoup, Guyane rime avec fusée Ariane. L'exploitation de son sous-sol pourrait bientôt faire aussi la renommée du DOM sud-américain. A 7.000 kilomètres de Paris, au coeur de cette parcelle d'Amazonie tricolore, se niche le projet minier d'or le plus important à ce jour en France...

« La fosse fera 2 à 2,3 kilomètres de long, 600 à 800 mètres de large et jusqu'à 250 mètres de profondeur. » D'un geste large, Robert Giustra embrasse l'épaisse forêt tropicale alentour pour désigner le futur emplacement de la mine à ciel ouvert. Le jeune patron de Columbus Gold, une junior canadienne spécialisée dans la prospection, a eu le nez fin en acquérant en 2011 huit concessions au coeur de la jungle guyanaise. Sur l'une d'elles, la dernière campagne de forage a tenu ses promesses : les estimations de ressources du gisement sondé se révèlent encore meilleures qu'espéré. Au creux de Montagne d'or, le bien nommé, 155 tonnes de métal précieux, soit 5 millions d'onces, ont été identifiées et « le potentiel est deux fois plus grand », livre l'homme d'affaires. Au cours actuel de l'or, on parle de sortir éventuellement jusqu'à 12 milliards de dollars de terre. Pour l'occasion, la compagnie a convié une trentaine de personnalités, des élus locaux, des hauts fonctionnaires, des hauts gradés, des ONG. Les voix qui comptent en Guyane sont là, qu'il faut convaincre du bien-fondé du projet pour la région. Tous ont fait le voyage en hélicoptère, seul moyen rapide d'atteindre le site perdu dans l'immensité amazonienne. Depuis Cayenne, une heure de survol de la canopée. Magique. « C'est un projet de classe mondiale, Robert Giustra en est sûr. En commençant avec Montagne d'or, la France peut redevenir un producteur mondial de premier rang. » L'idée s'inscrit bien dans l'air du temps, alors que le gouvernement français défend le renouveau minier du pays.

Un pari de pionnier

La plus vaste région française, grande comme l'Autriche, recouverte à 98 % de forêt, regorge d'or. Le mythe de l'Eldorado, la cité d'or à jamais perdue, prend sa source non loin. Les géologues n'hésitent pas : il y aurait là peut-être une dizaine de gisements de l'ordre de Montagne d'or à trouver, dans les conditions actuelles de marché. Or, ce potentiel demeure quasiment intact. Les chercheurs ont certes fouillé les lits des rivières dès le XIXe siècle, laissant peu de zones non visitées en cent cinquante ans malgré l'immensité forestière. Mais cette exploitation est restée alluvionnaire : on creuse à quelques mètres de profondeur, on se contente de récupérer les paillettes de métal qui proviennent de l'érosion de l'or primaire. Celui-ci, enfermé dans les filons, aucun artisan ni opérateur local n'est venu le prendre, faute de moyens suffisants. Ainsi, depuis 1857, moins de 230 tonnes de métal ont été extraites, une miette lorsqu'on sait que le premier pays producteur au monde, la Chine, sort plus de 400 tonnes de ses mines chaque année.

Columbus Gold veut croire que l'or qu'il a trouvé sera le premier produit ici de façon industrielle. Pour réussir son pari de pionnier, la petite société cotée à la Bourse de Toronto, dont la capitalisation boursière n'atteint pas 50 millions de dollars américains, s'est donc associée à un gros producteur d'or, Nordgold. Coté à Londres, ce groupe, détenu par le milliardaire russe Alexei Mordashov - propriétaire du géant de l'acier Severstal, qui a fait de lui la 89e fortune mondiale, selon Forbes -, finance les travaux. Et s'il dépense au moins 30 millions de dollars et établit une étude de faisabilité bancaire pour 2017 - le sésame pour que les banques prêtent les centaines de millions de dollars nécessaires à la mise en route de la mine -, Nordgold obtiendra un peu plus de la moitié du projet qu'il pourra alors exploiter. Mais l'heure est encore largement à la prospection. Et les obligations sont nombreuses pour qu'un tel projet industriel aboutisse avant d'arriver à la construction d'une usine, envisagée en 2018, et au coup d'envoi de la production deux ans plus tard. Il faudra prouver la viabilité économique à un moment où le cours de l'or ne permet plus à une partie des producteurs d'être rentables. Une première évaluation des coûts est attendue cette année. L'étude d'impact environnemental, qui doit être rendue l'an prochain, sera l'autre grand rendez-vous. Les ONG l'attendent de pied ferme et les autorités françaises l'examineront de près... La future mine se situe à deux pas d'une réserve biologique intégrale.

Publicité

Columbus Gold joue là son permis de creuser. Jusqu'ici tout va bien. « Depuis que le projet est sur les rails, nous avons accordé toutes les autorisations », indique le préfet de la Guyane, Eric Spitz. La compagnie n'est toutefois pas la première multinationale à tenter sa chance ici. Elle sait que les risques sont grands. En 2008, le président de la République Nicolas Sarkozy a fait stopper net le projet de mine d'or à ciel ouvert d'une autre junior canadienne, Iamgold. Situé au coeur de la forêt primaire de la montagne de Kaw, il cristallisait l'opposition des associations environnementales et de certains élus locaux. Iamgold y a laissé plus de 100 millions de dollars, et l'arrêt de ses activités a refroidi l'ardeur des investisseurs étrangers. « Depuis sept ans, il n'y a plus eu de nouvelles demandes de permis », raconte Gauthier Horth, le président de la Fédération des opérateurs miniers de Guyane (Fedomg). Autant dire que l'affaire a laissé des traces. « On ne voudrait pas, une fois de plus, que cela soit un mirage, car c'est une grande espérance. » Le sénateur de la Guyane, Antoine Karam, résume la pensée de nombre d'élus locaux. Il se souvient aussi qu'à la fin des années 1990 l'effondrement du prix du lingot a fait fuir la foule de sociétés étrangères venues prospecter, parmi lesquelles les géants Rio Tinto et BHP.

La « mine responsable ».

Le département a besoin d'emplois, le taux de chômage dépasse 40 % chez les jeunes. Dans dix ans, la population devrait avoir doublé. L'activité spatiale joue un rôle moteur, « une mono-économie », disent certains. L'an dernier, les tirs de fusées ont rapporté 1,3 milliard d'euros. La tonne et des poussières d'or exportée, elle, a fait rentrer moins de 39 millions d'euros, selon l'Institut d'émission des départements d'outre-mer (Iedom).

Pour convaincre, Columbus Gold a affûté une arme de choix : la « mine responsable ». Celle qui s'intègre à la société crée des emplois pérennes et réhabilite les sites après leur fermeture. Le discours éthique des Canadiens fait mouche auprès de ses invités, leur pays est à la pointe sur le sujet. La junior met toutes les chances de son côté : en Métropole, elle participe au groupe de travail monté au printemps par Emmanuel Macron pour définir la mine du XXIe siècle. Le ministre, en charge des mines, veut établir une charte sur les bonnes pratiques du secteur dans le monde. L'idée est d'en finir avec l'image de Germinal. « En 2015, la mine ressemble à la biotechnologie, des gens éduqués qui investissent comme dans un médicament », soutient le géologue Michel Jébrak, professeur à l'université du Québec à Montréal et consultant pour la société. « Elle doit être capable de transformer le capital naturel en capital humain. » Cet ancien du BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières) s'exprime devant une cinquantaine d'étudiants guyanais de l'université de Guyane à Cayenne. Il est venu présenter les métiers de la mine, qui « se rapprochent désormais du génie civil ». Columbus Gold pense que son projet peut créer 3.000 emplois directs et indirects dans le département - c'est près d'un dixième des emplois privés. La compagnie a même proposé de travailler sur un programme de formation avec le pôle universitaire. Aujourd'hui, les employés des opérateurs miniers locaux sont en majorité brésiliens, « car ils connaissent le métier. Ici, il n'y a pas ce type d'apprentissage et nous avons du mal à recruter », déplore Gauthier Horth. La mine responsable, Laurent Kelle, qui gère le bureau Guyane du WWF, demande à voir, en particulier la position de Nordgold sur les questions environnementales et sociales. Les trois quarts des opérations dans le monde qui accusent un retard traînent pour ces sujets-là, dit-il. « Les mines du XXIe siècle, soit elles sont vraiment responsables, soit elles ont peu de chances de se mettre en place. »

Besoin d'électricité

Columbus Gold devra donc montrer l'exemple. En termes d'utilisation de l'énergie aussi : l'un des plus gros enjeux du projet. La question n'est même pas de raccorder au réseau le site situé à 125 kilomètres de la ville la plus proche, il va falloir fabriquer l'électricité. La future mine aura besoin de 20 mégawatts pour fonctionner... autant que la consommation de Cayenne. « Une ligne de très haute tension dans la forêt tropicale, on sait faire, ce n'est qu'une question de moyens, lance Jean-Philippe Biava, le directeur d'EDF pour le département, mais la production est un challenge d'intelligence territoriale. » L'affaire met la Guyane en tension. Un peu comme si la Métropole devait trouver... dix centrales nucléaires. Et le groupe Newmont Mining, l'un des premiers producteurs d'or au monde, qui explore lui aussi la région en association avec le français Auplata, aurait des besoins quasiment identiques s'il menait un projet à bien. « Le projet de Columbus permet aux politiques locaux d'interpeller l'Etat sur les besoins de la région, confirme la députée Chantal Berthelot. Cela permet de faire ressurgir les carences. Il n'y a pas eu de nouvelles routes depuis les années 1950 ! »

Combien l'exploitation industrielle de l'or guyanais par des investisseurs étrangers peut-elle rapporter à la Guyane ? A l'Etat français ? Les réponses restent floues. Pour cause, la fiscalité minière du pays est en train d'être réformée, tout comme le vieux Code minier. « Actuellement la fiscalité sur l'or est très faible. » Au cabinet du ministre de l'Economie, on assure donc qu'il devrait y avoir « un retour en faveur des collectivités locales », quitte à ce que l'Etat reçoive moins. De son côté, l'entreprise met en avant, « selon certaines hypothèses du projet », qu'elle versera chaque année plus de 5 millions d'euros de redevance pour les collectivités locales, 16 millions d'impôt sur les sociétés, et 30 millions de taxes sur les biens et services et de charges sociales.

Au-delà de l'argent qu'elle pourra engranger grâce à son or, la région et l'Etat français comptent aussi sur la venue de majors et le développement du secteur minier pour chasser les orpailleurs illégaux. Le phénomène de l'exploitation illicite est démesuré, les ravages sur l'environnement irréparables, les conséquences désastreuses sur certaines populations, à commencer par les tribus indiennes. L'or de Guyane aujourd'hui est aux mains des clandestins. Selon WWF, plus de 10.000 de ces garimpeiros seraient sur le territoire, la plupart en provenance du Brésil et du Surinam voisins. En face, les légaux sont moins de 1.000. A la fin de l'année dernière, on comptait plusieurs centaines de chantiers irréguliers. Le pillage est ultra-organisé. Au final, les 9/10es de l'or extrait de Guyane le sont illégalement... 10 tonnes exfiltrées chaque année, d'après les opérateurs miniers locaux. C'est près d'un demi-milliard d'euros échappé dans la nature.

Les points à retenir

Columbus Gold, une junior canadienne spécialisée dans la prospection, a acquis en 2011 huit concessions au coeur de la jungle guyanaise.

Sur l'une d'elles, la dernière campagne de forage a tenu ses promesses : les estimations de ressources du gisement sondé se révèlent encore meilleures qu'espéré.

Columbus Gold veut croire que l'or qu'il a trouvé sera le premier produit en Guyane de façon industrielle.

Un projet qui séduit le gouvernement français, qui entend favoriser le renouveau minier du pays.

En Guyane Muryel Jacque

MicrosoftTeams-image.png

Nouveau : découvrez nos offres Premium !

Vos responsabilités exigent une attention fine aux événements et rapports de force qui régissent notre monde. Vous avez besoin d’anticiper les grandes tendances pour reconnaitre, au bon moment, les opportunités à saisir et les risques à prévenir.C’est précisément la promesse de nos offres PREMIUM : vous fournir des analyses exclusives et des outils de veille sectorielle pour prendre des décisions éclairées, identifier les signaux faibles et appuyer vos partis pris. N'attendez plus, les décisions les plus déterminantes pour vos succès 2024 se prennent maintenant !
Je découvre les offres

Derniers dossiers

web-placements.jpg
Dossier

Quels placements à 30, 40 et 50 ans ?

WEB-maison campagne shutterstock.jpg
Dossier

Immobilier : qui peut s'offrir une maison de campagne ?

Les élections européennes auront lieu le 9 juin 2024 en France.
Panorama

Sondage européennes 2024 : tous les résultats du baromètre Eurotrack

Publicité