Mort de Jean Gruault, le mythique scénariste de Truffaut et Resnais

Pilier de la Nouvelle Vague, il avait écrit pour François Truffaut le scénario de “L'Histoire de Julien et Marguerite”, que Valérie Donzelli a finalement adapté quarante ans plus tard.

Par Jérémie Couston

Publié le 09 juin 2015 à 15h42

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 05h41

Nous l'avions rencontré en octobre, à l'occasion d'une interview sur sa collaboration avec François Truffaut. « A chaque film sa méthode, nous disait-il. S'il s'agissait d'adapter une œuvre littéraire, François m'apportait le bouquin dans lequel il avait souligné les passages qu'il voulait voir filmer. A moi de les organiser pour que ce soit cohérent. Il me disait à chaque fois : “Prends ton temps. Je ne suis pas pressé.” » Jean Gruault est mort lundi 8 juin d'un arrêt cardiaque à l'hôpital Tenon, à Paris, non loin du pavillon, derrière le parc des Buttes-Chaumont, où il vivait depuis des décennies et où il avait écrit la plupart de ses scénarios pour Truffaut (Jules et Jim, L'Enfant sauvage, L'Histoire d'Adèle H, Les Deux Anglaises, La Chambre verte), Resnais (Mon oncle d'Amérique, La Vie est un roman, L'Amour à mort), Rivette (La Religieuse), Godard (Les Carabiniers) ou Rossellini (Vanina Vanini, La Prise de pouvoir par Louis XIV).

Le jardin de sa maison était envahi de végétation et son bureau de livres. C'est dans cette pièce qui fleurait bon l'odeur du vieux papier qu'il recevait ses invités avec une extrême amabilité et un humour pince sans rire. Dans la bande de la Nouvelle Vague, Gruault était l'historien, le séminariste qui délaisse la théologie par amour du cinéma pour se lancer, d'abord, comme acteur de théâtre, à la fin des années 50. A la Cinémathèque, il fait la connaissance de la bande des Cahiers du cinéma, qu'il intègre très vite, jusqu'à devenir, par goût pour l'Histoire et les histoires, l'un de ses plus fidèles scénaristes quand ces derniers se lancent derrière la caméra. Jamais aussi bien qu'au milieu de ses livres, Jean Gruault fuyait les mondanités. Il s'était fait violence à l'automne pour assister au vernissage de l'exposition « Truffaut », à la Cinémathèque, qu'il avait parcourue en fauteuil, sa santé ne lui permettant plus de se déplacer aussi facilement qu'avant.

Pour les mêmes raisons, il n'avait pu se rendre à Cannes en mai dernier pour monter les marches en compagnie de Valérie Donzelli, qui a porté à l'écran un scénario destiné, à l'origine, à Truffaut : L'Histoire de Julien et Marguerite. Juste avant le festival, nous lui avions passé un coup de fil, pour qu'il nous raconte la renaissance de ce script oublié. Il avait été, comme d'habitude, d'une grande gentillesse. Finir sa vie, à 90 ans, après avoir vu l'un de ses écrits de jeunesse sortir de l'ombre et sélectionner sur la Croisette, un joli coup du sort.

« Au début des années 70, alors qu'on préparait Les Deux Anglaises et le Continent avec Truffaut, d'après le livre d'Henri-Pierre Roché, notre amie Suzanne Schiffman a lu dans Elle, un article sur l'affaire des Ravalet, un fait divers du début du règne d'Henri IV. Il s'agissait d'une histoire d'amour incestueux entre deux jeunes aristocrates, un frère et une sœur, qui ont été condamnés à mort et décapités. Suzanne, qui connaissait mes goûts pour les films historiques, me suggère d'adapter ce fait divers sous le regard bienveillant de François, qui me confie également un exemplaire, annoté de sa main, des Chroniques italiennes, de Stendhal, afin que j'y puise de la matière supplémentaire. Très populaire en Normandie, ce fait divers a aussi inspiré une nouvelle à Jules Barbey d'Aurevilly, Une page d'histoire (1882), que j'emporte dans mes bagages pour Cherbourg. C'est là que je commence mes recherches en allant consulter un historien local, Monsieur Le Maresquier. Il me parle du livre de François de Rosset, Les Histoire mémorables et tragiques de ce temps (1619), où est rapporté le récit des amours incestueuses de Julien et Marguerite. Pour les dialogues amoureux entre nos deux héros, je me suis inspiré d'une tragédie de John Ford – le poète élisabéthain, pas le cinéaste ! –, Dommage qu'elle soit une putain, dont certains critiques pensent que l'affaire des Ravalet pourrait être une des sources. En 1973, je transmets mon scénario à Truffaut qui l'approuve avec enthousiasme mais décide, quelques mois plus tard, d'abandonner le projet. »
 

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