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Moyen Orient et Monde - Décryptage

Anatomie de l’État islamique, un an après la chute de Mossoul

Un an après la prise de Mossoul, quelles sont les raisons de la puissance de l'organisation jihadiste ?

Illustration Ivan Abou Debs.

Né en 2006, l'État islamique en Irak et au Levant (EIIL) a eclaté à la face du monde en s'emparant de la ville de Mossoul, il y a un an. Quelques semaines plus tard, son chef, Abou Bakr el-Baghdadi, proclamait la création d'un nouveau califat à cheval entre la Syrie et l'Irak qui amenait logiquement à un changement d'appellation : l'EIIL devenait l'État islamique (EI). L'ascension fulgurante du mouvement couplée à ses méthodes d'extrême brutalité amenait beaucoup d'observateurs à douter tant de l'indépendance politique et financière d'une telle organisation que de sa pérennité.
De nombreux chercheurs et analystes, parmi lesquels le célèbre islamologue Olivier Roy, qualifiaient alors l'EI d'« épiphénomène ».
Un an après, l'EI est pourtant objectivement plus puissant et dispose désormais de suffisamment d'atouts pour s'inscrire dans le temps. Malgré la défaite de Kobané, l'EI contrôle aujourd'hui un territoire de 300 000 km2 et de 8 à 10 millions de personnes entre la Syrie et l'Irak. Parallèlement, il s'étend en Libye, où il a mis la main sur la ville de Syrte, mais aussi dans le Sinaï et en Afrique noire, avec les allégeances respectives de Ansar Beit al-Maqdis et de Boko Haram. Les succès de l'EI lui ont ainsi permis de devenir un label populaire dans plusieurs régions du monde, capable de commettre des attentats sur plusieurs fronts, parmi lesquels la France, le Yémen, l'Arabie saoudite ou encore les États-Unis.
L'EI est devenu non seulement l'organisation jihadiste la plus puissante du monde, mais aussi un acteur régional, voire mondial, capable de dicter son agenda politique et médiatique. Cette montée en puissance peut s'expliquer par au moins deux raisons : d'une part, la nature à la fois polymorphe et polycéphale de l'EI qui lui permet de s'adapter aux circonstances locales et de recruter des profils très variés de jihadistes ; d'autre part, la faiblesse stratégique de ses adversaires.

Une hydre à quatre têtes
Depuis sa création, l'EI a attiré des dizaines de milliers de jeunes venus essentiellement des pays du Golfe, du Maghreb et de l'Europe, mais également des États-Unis ou même de Chine, d'Australie ou de Russie. Ce succès, il le doit notamment à sa capacité à construire un discours capable de captiver des dizaines de milliers de recrues à partir de multiples références, s'inscrivant à la fois dans un univers coranique fantasmé et dans un imaginaire orientaliste et hollywoodien. Une propagande parfaitement maîtrisée, par le biais des réseaux sociaux, mais aussi de ses propres canaux médiatiques comme al-Furqan Media ou al-Hayat Media Center, qui utilisent simultanément des arguments de l'ordre de l'irrationnel (la peur, la puissance, le sacrifice, la pureté et l'idéal) et du rationnel (salaire, position, mariage, logements).
Mais l'EI n'est pas seulement une internationale jihadiste omniprésente sur le Web. À la différence de sa rivale, el-Qaëda, il est dans le même temps un mouvement territorialisé qui s'appuie sur un ancrage local. Comme l'expliquait Abdelasiem el-Difraoui, chercheur associé à l'Institut des médias et de la communication politique à Berlin et auteur d'El-Qaëda par l'image, à L'Orient-Le Jour, dans une de nos précédentes éditions : « L'EI a réussi ce qu'el-Qaëda n'a jamais pu faire, à savoir mobiliser les masses. »
Cette double nature, à la fois locale et internationale, est la résultante d'une combinaison de quatre univers qui permettent à l'organisation jihadiste de se moduler et de s'adapter en fonction des personnes et des circonstances. Quatre univers qui pourraient être identifiés comme les quatre têtes (réseaux sociaux compris) d'une hydre incroyablement polymorphe et qui alimentent en permanence la mythification du récit de l'EI.


(Lire aussi : L'Occident "pas étranger" à l'expansion de l'EI, accuse le cheikh d'al-Azhar)


Sunnistan indépendant
Quel que soit le nom qui lui est attribué, force est de reconnaître que l'EI ressemble de plus en plus à un État qui a pour capitale politique Raqqa, en Syrie, et pour capitale économique Mossoul. Il a un gouvernement, une police, une administration, une monnaie, un système judiciaire, un système de santé et une armée de jihadistes. Il prélève des taxes et peut s'appuyer sur ses propres ressources : production agricole, hydrocarbures, pillage archéologique, sans compter la saisie des avoirs de la Banque de Mossoul. L'EI contrôle également la plupart des postes-frontières entre l'Irak et la Syrie, faisant de cette vaste étendue de désert entre la province de Anbar et celle de Raqqa une sorte de Sunnistan indépendant. Ses conquêtes lui ont en outre permis de mettre la main sur d'importants dépôts d'armes américaines en Irak, et probablement russes en Syrie.
Plus qu'une simple organisation terroriste, l'EI se comporte avant tout comme un État ultrarationnel. Cette rationalité, il la doit en partie aux années de luttes qui ont opposé les cadres de l'organisation à l'armée américaine, mais aussi aux ralliements d'une dizaine d'anciens officiers de Saddam Hussein qui ont amené l'EI à mimer certaines méthodes du Baas. Même si elle ne doit pas être surestimée, cette hybridité entre le salafisme jihadiste et le Baas est l'une des spécificités de l'EI. Il a su attirer de nombreux sunnites marginalisés par l'arrivée au pouvoir des chiites en Irak après l'invasion américaine de 2003 et a scellé un certain nombre d'alliances avec les acteurs locaux.

 


Les jihadistes de l'Etat islamique (EI) en train de saccager des statues dans le musée de Mossoul. Capture d'écran de la vidéo de propagande de l'EI

 

Promesses prométhéennes
S'il y a un débat sur le mot État, il y a également un débat sur le terme islamique. Même si la grande majorité des musulmans ne se reconnaît pas dans le modèle de l'État islamique, il n'empêche qu'aucune autorité n'est réellement apte à juger de l'islamité ou non du phénomène. L'EI est un mouvement salafiste jihadiste, qui prône, dans les territoires qu'il contrôle, la stricte application de la charia, ce qui peut plaire à une partie des populations sunnites locales, mais aussi aux nouveaux jihadistes à la recherche d'une doctrine accessible à tous. À l'image des mouvements born again aux États-Unis, l'organisation jihadiste promet d'offrir à ces nouvelles recrues une véritable renaissance, une sorte d'islam mondialisé complètement déconnecté de son univers culturel d'origine, et créant sa propre martyrologie. Se développent ici les idées de pureté qui appellent au sacrifice ultime, au sens de l'homme prométhéen, dans un contexte présenté comme eschatologique (la Syrie est le Bilad al-Cham).

(Lire aussi : Baghdadi réunit régulièrement ses « émirs » dans son quartier général de Raqqa)

Spectaculaire et géopolitique
L'EI est-il aussi puissant qu'il paraît l'être ? Si sa puissance semble parfois exagérée, c'est parce que l'EI nourrit l'univers de l'imaginaire et de l'impensable au point que chacun peut y projeter ses propres frustrations, comme l'explique parfaitement l'article, en deux parties, de Sarah Birke et de Peter Harling, L'Organisation État islamique, de l'autre côté du miroir, publié sur le site de l'Orient XXI. L'EI est responsable de nettement moins de morts que le régime syrien, mais sa capacité à mettre en scène les assassinats de manière spectaculaire, comme l'immolation du pilote jordanien Moaz al-Kassasbeh ou la décapitation de vingt et un coptes égyptiens sur une plage libyenne, en fait un monstre redouté par les populations de la planète entière. Comme l'explique l'article cité précédement, « l'EI est au maximum de sa dangerosité quand il interagit avec la psyché, les fantasmes, les frustrations et les peurs, depuis les convertis qu'il attire jusqu'aux politiques et experts ».
La propagande de l'EI repose essentiellement sur deux mythes. Le premier est spectaculaire et mortifère et attire les jeunes avides de violence autant qu'il effraie les populations ennemies. Le deuxième est d'ordre géopolitique. L'EI utilise la théorie du choc des civilisations entre l'islam et l'Occident, renforçant ainsi les préjugés essentialistes, pour justifier ces appels à la guerre contre l'Occident. Mais là où l'organisation se démarque réellement d'el-Qaëda, c'est qu'elle appelle en priorité à la guerre contre les chiites, présentés comme des mécréants, profitant ainsi des contextes politiques spécifiques à la Syrie et à l'Irak et à la tension grandissante entre les deux branches de l'islam (la destruction de la prison de Palmyre doit être comprise à travers cette mythologie).
Ce savant mélange entre tous ces univers et entre toutes ces recrues a permis à l'EI de réaliser son ascension fulgurante. Mais il peut également constituer sa principale faiblesse, tant il est difficile de demeurer sur tous les fronts à la fois. Un an après la prise de Mossoul, les populations locales semblent de moins en moins soutenir l'EI, mais à défaut d'alternative politique, elles n'ont d'autre choix que de lui rester fidèles.


(Reportage : « Dans ma rue, il y a peut-être 50 maisons. Seule une famille soutient Daech »)

 

Intérêts
L'EI est fort de la faiblesse de ses adversaires. Pour des raisons stratégiques propres à chacun, aucun acteur qui le combat actuellement ne le fait en engageant des moyens suffisants. Pire, certains acteurs, qui combattent l'EI, ont même un certain intérêt à ne pas le voir disparaître à court ou à moyen terme. C'est le cas de la Syrie de Bachar el-Assad qui cherche à miser sur l'EI pour affaiblir les autres groupes rebelles armés. C'est également le cas de la Turquie qui continue de laisser passer les jihadistes par sa frontière et qui voit d'un très mauvais œil l'armement et l'autonomisation des Kurdes au nord de la Syrie. C'est enfin le cas de l'Iran et de l'Arabie saoudite, qui, pour des raisons diamétralement opposées, ont intérêt à ce que l'EI ne soit pas vaincu trop vite, même s'il constitue une menace directe et sérieuse pour l'un comme pour l'autre. La coalition internationale, menée par les États-Unis, continue de bombarder les positions de l'EI (notamment les raffineries), mais à défaut de pouvoir envoyer des hommes sur le terrain, ou à défaut de trouver des partenaires fiables capables de mener le combat sur le front, elle se trouve vite confrontée à ses propres limites.
Cette complexité régionale, cette imbrication des acteurs et des intérêts, profite indéniablement à l'EI qui a pu, à un moment donné, conclure dans le même temps une sorte de pacte de non-agression avec la Turquie et avec le régime syrien, pourtant frontalement opposés.
Un exploit parmi tant d'autres pour cette organisation qui ressemble de plus en plus à un phénomène durable et de (petite) masse.

 

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commentaires (3)

Ce diable que tacitement d'aucuns voudraient voir vaincre le rempart et les forces, meme si imparfaites, de défence de nos société et notre culture. Dans le passé pas lointain, pareil, y en a qui voulaient pactiser avec les criminels occupants envahisseurs venus d'ailleurs judéo-sionistes alias israél... Ils ont perdu et notre pays a été liberé sans accords et sans aucun pacte!!

Ali Farhat

13 h 43, le 10 juin 2015

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Commentaires (3)

  • Ce diable que tacitement d'aucuns voudraient voir vaincre le rempart et les forces, meme si imparfaites, de défence de nos société et notre culture. Dans le passé pas lointain, pareil, y en a qui voulaient pactiser avec les criminels occupants envahisseurs venus d'ailleurs judéo-sionistes alias israél... Ils ont perdu et notre pays a été liberé sans accords et sans aucun pacte!!

    Ali Farhat

    13 h 43, le 10 juin 2015

  • Idem que l’État bääSSdiotiste à quarante têtes....

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    12 h 28, le 10 juin 2015

  • DES DÉMONS HIRSUTES !!!

    LA LIBRE EXPRESSION

    12 h 17, le 10 juin 2015

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