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"Le mariage forcé de Nojoud, c'est mon histoire, je l'ai vécu dans ma chair quand j'avais 11 ans": la cinéaste yéménite Khadija al-Salami tire sa force et son inspiration de son enfance brisée.
Sept ans après un spectaculaire divorce obtenu au Yémen par Nojoud, une fillette de 10 ans mariée contre son gré et violentée, la réalisatrice a montré cette semaine pour la première fois à Paris le film de fiction qu'elle a tiré de cette histoire authentique - "Moi Nojoom, 10 ans, divorcée" - qui lui a rappelé sa propre expérience.
Son espoir est de "trouver un distributeur" pour que son film soit diffusé en salles dans les pays francophones.
Khadija al-Salami, 48 ans, qui vit à Paris après des études aux Etats-Unis, se bat pour les adolescentes de son pays. Afin qu'elles se construisent en accédant à la liberté et l'éducation.
Dans le film, le prénom de la fillette, Nojoud, qui veut dire "se cacher", est devenu Nojoom, l'étoile. Note d'espoir dans le noir quotidien de l'héroïne, que la lumineuse beauté des paysages yéménites filmés par la réalisatrice ne parvient pas à éclairer.
"Je suis moi aussi une petite Yéménite qui a combattu la tradition, j'aimerais leur montrer (aux fillettes mariées de force, NDLR) que si on veut se battre, rien n'est impossible", dit Khadija al-Salami à l'AFP. Avant cette première fiction militante, qui a remporté le grand prix du festival de Dubaï, elle avait tourné 25 documentaires.
- Une dot pour des dettes -
Le film décrypte l'enchaînement des faits et croyances qui conduisent une fillette de dix ans, aux grands yeux bruns espiègles et curieux, à être battue et violée au nom de traditions ancestrales, obscurantistes.

Son "mariage" a été conclu en cinq minutes après l'échange d'une poignée de billets devant un imam vénal. La dot sert à payer les dettes d'un père pauvre, ignorant et prisonnier de traditions tribales. Il n'arrive pas à faire vivre sa famille à Sanaa après avoir fui son village, victime d'une vendetta "d'honneur" pesant sur une autre de ses filles.
Selon l'Unicef, le sort de Nojoud-Nojoom est celui d'une jeune fille sur sept au Yémen, qui se retrouve mariée avant 15 ans. Avant 18 ans, le ratio augmente à une sur trois, et à une sur deux dans les familles les plus pauvres, souligne la délégation de l'Union Européenne au Yémen, qui soutient la diffusion du film.
"Nous attendions une loi cette année interdisant les mariages avant 18 ans, nous étions bien partis, mais à cause de la guerre, l'urgence s'est désormais déplacée", se désole la réalisatrice, qui publie parallèlement "La rosée du matin" (Michel Lafon), l'histoire d'une autre enfant mariée de force à 11 ans.
Au passage, le film aborde aussi la question des jeunes garçons du Yémen, le pays arabe le plus pauvre, envoyés pour travailler et être exploités dans de riches familles du Golfe.
- Discrétion pendant le tournage -
Pendant le tournage qui a eu lieu au Yémen en 2013, la réalisatrice est restée "très discrète sur les détails du scénario", par peur qu'on "l'empêche" de filmer.
Pour tourner la scène du mariage - alternance de plans d'extérieurs où des hommes dansent, poignard à la ceinture, et de plans d'intérieur où la fillette endormie avec sa poupée est brutalement réveillée par son nouveau mari - la réalisatrice a attendu "le dernier jour". "Pour éviter les ennuis".
Khadija al-Salami a eu une sueur froide "pour demander une autorisation de tournage dans l'enceinte du tribunal": "Je venais d'apprendre que le ministre de la Justice avait épousé une jeune-fille de 13 ans (...) j'ai juste dit que la scène montrait une femme qui voulait divorcer, sans mentionner son âge".
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Après la projection à l'Institut du Monde Arabe à Paris lundi devant une salle comble, largement féminine, elle a reçu sur scène l'hommage ému de la ministre de la Justice, Christiane Taubira, venue voir le film.
10/06/2015 12:09:09 - Paris (AFP) - Par Isabel MALSANG - © 2015 AFP