C’est un petit séisme local qui pourrait avoir de grandes répercussions nationales. Martine Aubry a perdu dans la nuit de jeudi à vendredi le contrôle de la fédération socialiste du Nord. Son candidat, Gilles Pargneaux, a été défait pour l’élection du premier secrétaire par Martine Filleul, conseillère générale et ancienne adjointe à la mairie de Lille.
Derrière ce duel lillois se profile une bataille d’une autre envergure. D’un côté, Martine Aubry donc, qui avait accepté de se rallier pour le congrès du PS à la motion majoritaire de Jean-Christophe Cambadélis avec l’accord implicite de François Hollande pour conserver son bastion nordiste. De l’autre, Patrick Kanner, ministre de la ville et ancien président du conseil général du Nord, qui a fait émerger la candidature alternative de Martine Filleul, avec le soutien du député Bernard Roman et du sénateur Michel Delebarre, tous farouches opposants à la maire de Lille. M. Kanner, sous la pression de l’exécutif, a finalement retiré son soutien à Mme Filleul à un jour du vote. « Un double jeu », dénoncent en chœur les soutiens de Mme Aubry qui y voit derrière la main de Manuel Valls, le premier ministre qui n’aurait eu « qu’un coup de fil à passer »pour que tout cela cesse.
On annonçait un vote serré entre M. Pargneaux, premier secrétaire fédéral sortant, et Mme Filleul, avec le troisième candidat, Rémi Lefebvre, issu de la motion B des frondeurs, en position d’arbitre. La soirée a d’ailleurs été agitée dans les sections. Le premier secrétaire fédéral sortant a même émis des doutes sur la sincérité du scrutin. « Nous avons des suspicions très fortes dans certaines villes, confiait-il au Monde au cours de la nuit. Pourquoi y a-t-il une quinzaine de votants, tous pour Martine Filleul, dans des sections en sommeil, dans lesquelles il n’y avait pas eu de votes pour les motions ? »
Mais le dépouillement des 3 600 bulletins a donné une nette avance dès le premier tour à Mme Filleul. Selon la direction du PS, elle a obtenu 47,31 % des voix contre 41,60 % pour Gilles Pargneaux. « Nous sortons par le haut de cette élection, avec pour la première fois une femme pour piloter cette grande fédération ». La conseillère générale a manifestement bénéficié d’un important report de voix de la motion B, qui avait réalisé environ 22 % lors du vote de mai alors que son candidat Rémi Lefebvre n’a cette fois-ci rassemblé que 10,47 % des scrutins.
« Le match retour de l’arrivée de Martine dans le Nord »
A quatre heures du matin, Gilles Pargneaux a fini par jeter l’éponge. « C’est une attitude digne, confie un militant. Ça évite de mettre la fédé à feu et à sang. » Un accord a été trouvé entre les partisans de Martine Aubry et Patrick Kanner pour éviter un deuxième tour arbitré par la motion des frondeurs. Martine Filleul prendra la tête de la fédération. Roger Vicot, proche de Martine Aubry, qui en cas de victoire devait succéder à M. Pargneaux en cours de mandat, sera le numéro deux de la fédération, en charge des élections. Le poste est stratégique car la fédération a la main sur les investitures. Selon nos informations, l’accord passé dans la nuit indique que les listes pour les régionales, déjà constituées, ne seront pas remises en cause.
Après des semaines de coups bas, d’insultes, de petites phrases assassines, les ennemis d’hier vont donc diriger collégialement le PS du Nord. Car la campagne a été très violente. « C’est le match retour de l’arrivée de Martine dans le Nord », il y a désormais 20 ans explique un pilier du PS. La candidature de Martine Filleul a en effet fédéré les partisans d’un renouvellement des têtes – après dix ans de mandat de M. Pargneaux – et les anciens barons locaux en quête de revanche sur la maire de Lille. L’arrivée dans le Nord du plus proche conseiller de Martine Aubry, François Lamy, en vue de l’élection municipale de 2020, a également cristallisé les mécontentements.
Martine Filleul a joué à plein la carte de la base contre les élites, faisant de sa candidature « un acte témoin d’un mal être des militants », elle qui était pourtant soutenue par un membre du gouvernement. « On voulait du renouvellement, explique Latifa Kechemir, adjointe lilloise. La mayonnaise a pris très vite autour de la candidature de Martine Filleul. Ca témoigne d’une attente des militants d’être davantage dans la concertation et le dialogue ».
Martine Aubry a tenté à deux jours du vote d’inverser la tendance en envoyant un courrier aux militants dans lequel elle dénonçait la « campagne d’insulte » du camp adverse et appelait ses camarades « à refuser la crise fédérale ». Ses soutiens avaient prévenu que si la candidature de Mme Filleul l’emportait, cela provoquerait une scission profonde dans la fédération du Nord.
Si l’accord passé dans la nuit devrait apaiser les choses, le coup politique est rude pour Martine Aubry. Le vote est avant tout un désaveu pour Gilles Pargneaux, mais la maire de Lille est directement touchée par ce renversement des rapports de force dans sa propre fédération. Car au Parti socialiste, toute figure nationale se doit d’abord de tenir d’une main de fer son appareil local.
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