L’attentat suicide survenu, mardi 12 janvier, à Istanbul a fait au moins 10 morts, dont 8 touristes allemands, et 15 blessés. Si cette attaque n’a pas encore été officiellement revendiquée, elle a toutefois été imputée par les autorités turques à l’Etat islamique (EI).
Elle survient en tout cas dans un contexte bien particulier : l’EI avait lancé, en juin, une offensive en direction de l’ancienne Constantinople. Médiatique dans un premier temps. L’organisation l’avait fait par l’intermédiaire de Konstantiniyye, un magazine mensuel en turc, également disponible gratuitement en ligne, dont le premier numéro est paru le jour de la date d’anniversaire de la conquête de Constantinople par les Ottomans, le 29 mai 1453, fêté en grande pompe en Turquie.
En publiant une revue en turc, l’Etat islamique manifestait alors son désir d’expansion en Anatolie. Dans un article intitulé « Immigration », l’organisation enjoigait même formellement les musulmans de Turquie à gagner le « califat », les territoires sous son contrôle en Syrie et en Irak. Ingénieurs, professeurs et soldats étaient invités à émigrer vers l’Etat islamique.
Revendiquant sa dimension populaire et globale, le magazine soulignait dans son éditorial sa volonté de faciliter l’accès pour les Turcs aux « informations, articles et vidéos » publiés par l’Etat islamique.
Selon Wassim Nasr, journaliste à France 24 et spécialiste du Moyen-Orient, « cette revue s’inscrit dans la droite ligne de la stratégie des djihadistes de l’Etat islamique : utiliser la communication comme outil de recrutement ».
Une autre vision de la Turquie
Konstantiniyye n’est pas le premier instrument d’une propagande soigneusement mise en scène par l’Etat islamique. Sa revue en arabe, Dabiq, lancée en 2014, a ensuite été déclinée en anglais, en russe et dans une version française dénommée Dar Al-Islam. L’organisation terroriste se sert de son puissant organe de communication, l’éditeur Al-Hayat Media, pour relayer ses idées dans le monde et in fine recruter ses prochains combattants.
Avec 46 pages en couleur, illustrées de photos des plus beaux monuments stambouliotes, Konstantiniyye rassemblait, dans son premier numéro, tous les codes d’un magazine traditionnel. Son contenu, en revanche, propose une autre vision de la Turquie. On y trouve des articles encourageant la destruction des idoles et des analyses critiquant vivement la démocratie.
À la page 41, une photo du caricaturiste français Luz venait alimenter la propagande anti-Charlie Hebdo. « En Turquie, le public est réceptif à ce genre de discours », estime Wassim Nas. Le 16 janvier 2015, une manifestation de soutien aux frères Kouachi avait réuni une centaine de personnes devant la mosquée Fatih à Istanbul.

Une conquête idéologique
En déclinant ses publications dans plusieurs langues, le « califat » vise un public plus large et mondialisé. A travers ses propres canaux médiatiques, l’EI parvient ainsi à s’adapter aux populations locales pour recruter des djihadistes.
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Dans son premier numéro, Konstantiniyye ne reconnaîssait pas la prise d’Istanbul par le Sultan Mehmet II en 1453 et appellait à une « vraie » conquête de Constantinople, « sans guerre ni sang ». A l’époque, l’Etat islamique n’incitait pas ses sympathisants à prendre les armes mais à s’emparer de la cité d’Istanbul par une action spirituelle.
« La conquête de Constantinople est un objectif symbolique que l’EI n’a jamais caché, selon Wassim Nasr, l’organisation vise idéologiquement la Turquie mais ce n’est pas une déclaration de guerre ».
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