Le jour où Alain Lucchini a beaucoup trop parlé était un dimanche, et ce dimanche filait vers ses 19 h 50. Une blonde vient de les faire passer, lui et son ami Toussaint Gistucci, dans le salon où les attend le propriétaire des lieux, José Santoni. Le bruit de la rue ajaccienne et de la télévision française s’invite dans le huis clos qui s’annonce. Les trois protagonistes sont des nationalistes qui ont, dans le passé, mis la cagoule.
S’avance Lucchini, 52 printemps. Cet homme qui, dans les années 1980, circulait dans la cité impériale en treillis militaire et en rangers, a désormais l’élégance discrète de celui qui s’est habitué à porter costumes et chemises sombres. Propriétaire d’un hôtel et d’une boîte de nuit, il est une personnalité d’Ajaccio. Son avocat parle d’un « honnête commerçant », le procureur de la République d’un individu « connu des services de police, même si son casier judiciaire ne fait état d’aucune condamnation grave »…
C’est une histoire qui fleure bon le terroir corse. Elle illustre les dérives affairistes de certains sympathisants du FLNC. Cette histoire remonte au dimanche 16 octobre 2011. Ce jour-là, les trois amis parlent de cochons, de villages et de meurtres. Surtout de meurtres. Une conversation destinée à faire le point sur les règlements de comptes qui ensanglantent alors l’île de Beauté.
La vérité sans fard
Avec une trentaine d’assassinats recensés en cinq ans, les rapports de force entre clans ne cessent de tanguer, et plus personne ne sait qui est avec qui. Alain Lucchini se fait un plaisir de mettre à la page son hôte, José Santoni. Pas d’omerta ici. On dégoise, on se vante. C’est du Pagnol version cagoule. La faconde méditerranéenne enjolive les crimes, banalise la mort. Lucchini raconte avec une évidente délectation comment, après avoir essuyé « un coup de fusil », une dizaine d’années plus tôt, il aurait arrangé les choses en allant voir un intermédiaire, auquel il aurait demandé : « J’ai besoin de voir Jean-Marc, il m’est monté sur la fusillade… Je sais même pas pourquoi ! Je dis pas qu’il a pas le droit de me tirer dessus… » Pause. La tablée s’esclaffe. Le narrateur aussi, avant de reprendre sur le ton de la plaisanterie : « Je m’offusque pas, hein ! Mais me tirer dessus, c’est pas bien, hein ? » Toussaint Gistucci acquiesce : « Ah ça, c’est pas bien, hein ! » Et le trio d’éclater de rire de nouveau.
A une centaine de mètres de là, au quatrième étage de l’hôtel de police d’Ajaccio, le fonctionnaire qui arrive, le lundi matin, à la table d’écoute manque tomber de l’armoire. Pendant de longs mois, la PJ a « sonorisé » l’appartement de José Santoni. Jusque-là, sans résultat. Sauf ce dimanche 16 octobre 2011.
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