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Emploi

"Le numérique peut créer massivement des emplois", s'il en a le droit ...

Une France mal positionnée pour tirer profit de la révolution numérique, rétrécie, et une super-élite aveugle: Nicolas Colin prône le réveil et tape. Ca fait mal.
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Nicolas Colin, associé fondateur de TheFamily.
Bruno Delessard / Challenges

Nicolas Colin, 38 ans, est ingénieur et énarque. Inspecteur des finances, il est associé fondateur de la société d’investissement TheFamily. Commissaire à la Cnil, il a rédigé en 2013 un rapport sur la fiscalité du numérique qui suggérait de taxer les grands acteurs comme Google ou Facebook sur la collecte de données. Fondateur de plusieurs start-ups, il a écrit L’Age de la multitude avec Henri Verdier (Dunod) réédité en mai.

La révolution numérique est-elle une bonne nouvelle pour la France ? 

La France est plutôt mal positionnée pour  profiter de cette mutation. L’élite économique est très proche du pouvoir politique, avec une approche institutionnelle du développement des entreprises et des barrières importantes à l’entrée des marchés, qui freinent le déploiement des nouveaux modèles. Après l’éclatement de la bulle Internet, les dirigeants ont pris leur distance avec le numérique et les opportunités qu’il offre. Entre 2000 et 2008, nous avons traversé une période glaciaire néfaste, avec une indifférence, voire un rejet du numérique par les élites. Pendant ce temps, les américains développaient Google, Apple, Amazon, Airbnb. 

Mais aujourd’hui, on ne parle que de numérique, c’est le réveil ? 

Il n’est plus possible pour un patron du CAC 40 d’ignorer le phénomène, sous peine de perdre son job. Alors on sur-communique. Mais il ne faut pas se leurrer, nos dirigeants regardent souvent le monde des start-ups comme un bac à sable sympathique où des enfants s’amusent. On commande des missions, on crée des incubateurs. Tant que ces nouveaux acteurs sont petits et ne dérangent pas, tout va bien, mais dès lors qu’ils déstabilisent des filières ou des champions nationaux, les regards bienveillants disparaissent, le numérique devient dangereux, fraudeur, liberticide et destructeur d’emplois.

Le numérique créé-t-il plus d’emplois qu’il n’en détruit ?

Il peut en créer massivement, à condition qu’il en ait le droit. Aujourd’hui, le préfet du Nord a interdit UberPop. Il préfère la défense d’un ordre établi à la création de nouveaux emplois. Rappelez-vous, au moment même où François Hollande visitait la Silicon Valley fin 2014, on bloquait en France les licences de VTC ; voilà la réalité de la France d’aujourd’hui : une super-élite qui fait de la com dans sa bulle, une administration rétrécie et rigidifiée et toujours ce chômage de masse.  

Quels emplois va créer le numérique ? 

Il créera bien plus que des emplois de chauffeurs de VTC : des emplois de développeurs, de designers, d’ingénieurs. Mais aussi un nombre important d’emplois peu qualifiés. Prenez l’entretien des chaudières. Aujourd’hui, vous payez cher pour des plombiers-chauffagistes qui sont rares car très expérimentés, pour un service qui n’est pas nécessairement excellent. Demain, quand les chaudières seront connectées, le diagnostic sera fait à distance et on pourra créer massivement des emplois de techniciens qui viendront immédiatement avec la bonne pièce pour réparer et faire de la maintenance préventive. De même, grâce à l’arrivée du numérique dans la santé, les infirmières pourraient exercer des fonctions nouvelles qu’elles feraient sans doute mieux que des médecins débordés et coûteux. Mais en l’état du droit, la start-up qui s’aviserait à mettre en place un tel système serait poursuivie au pénal pour exercice illégal de la médecine. Voilà le genre de verrou qu’il convient de faire sauter pour accélérer la mutation de la société et créer massivement des emplois, notamment non qualifiés.

Cela signifie une redéfinition complète des métiers et des tâches …

Oui, et cela n’est pas simple en France, compte-tenu de la rigidité des réglementations sectorielles et de notre protection sociale, qui retient les individus dans les emplois du passé parce qu’elle ne couvre pas les risques liés aux emplois nouveaux.

Au-delà des résistances politiques et sociales, que manque-t-il à la France pour profiter pleinement de cette révolution et des emplois qu’elle peut générer ?

Les entrepreneurs ambitieux existent, mais le marché du capital-risque est atrophié. Regardez BlaBlaCar, qui a inventé un modèle de rupture : sa levée de fonds de 100 millions de dollars, la plus grosse pour une start-up française, elle l’a faite à Londres. Et ce montant, dans la Silicon Valley, ce n’est rien du tout. 

La France, notamment via les grandes écoles, dispose de formations d’excellence, une chance ?  

En partie. Les ingénieurs très qualifiés, par exemple, préfèrent aller dans des grandes entreprises, notamment les SSII qui les paient bien à cause du crédit impôt recherche, plutôt que dans des start-ups innovantes. Avoir un beau diplôme et rejoindre une startup (se serrer un peu la ceinture et s’en remettre à la Providence), ce n’est pas évident ! Donc ces métiers sont et resteront sous tension. Quant aux emplois moins qualifiés, ils sont souvent tout à fait nouveaux et le temps que l’éducation nationale s’adapte, cela va prendre du temps. Regardez SaveMySmartphone, une start-up du portefeuille de TheFamily : elle forme elle-même les techniciens capable de réparer votre portable en un temps record et crée des emplois à la chaîne. Ce n’est au programme d’aucune formation, et pourtant la téléphonie mobile ne date pas d’hier ! 

Y a-t-il des pays qui sont mieux préparés pour accompagner ce nouveau paradigme, notamment en Europe ?

Il y a deux ébauches de transition assumée en Europe. D’une part, le Royaume-Uni, avec un soutien fort, par le droit, aux nouveaux acteurs de l’économie numérique. Mais cela s’accompagne du démantèlement de l’Etat providence et d’une casse sociale importante. D’autre part, les pays scandinaves, avec une protection sociale plus universelle qui couvre les risques des indépendants et pratiquent un modèle de flexisécurité très favorable à la création destructrice. 

Comment changer notre modèle ? 

Les Français adhérent fortement à l’économie collaborative. C’est un bon point de départ. Pendant les trente glorieuses, notre pays a aussi prouvé qu’il était capable de créer des leaders mondiaux. Nos ingénieurs et nos managers sont admirés. Beaucoup de jeunes français rêvent de conquérir le monde. Il ne faut pas louper l’opportunité qui s’ouvre avec cette nouvelle ère. Voilà l’occasion de sortir par le haut de plusieurs décennies de crise et de chômage de masse.

Propos recueillis par Pierre-Henri de Menthon et Kira Mitrofanoff

 

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