VIDÉO. Strasbourg vote contre l'avortement suite à une erreur de traduction
Le rapport Estrela devait consacrer l'IVG comme un droit européen. Mais une motion alternative au texte a été votée sur un malentendu.
Par Joseph MiguelTemps de lecture : 3 min
Mardi 13 décembre, les députés de droite et d'extrême droite poussent des cris de joie dans l'hémicycle du Parlement européen de Strasbourg. Les élus viennent de voter un texte qui enterre "le rapport Estrela" porté par la députée socialiste portugaise du même nom, qui devait consacrer l'avortement comme "un droit européen".
Le texte qui a été entériné est une motion alternative à ce projet, qui prévoit que l'Europe n'a pas à s'occuper des questions d'IVG, traitées par les États au cas par cas. Un projet porté par une coalition conservatrice réunissant le Parti populaire européen (dont les députés UMP) et certains députés "non inscrits" (dont les députés du Front national) qui refusent de sanctuariser l'IVG au niveau européen.
Quelques instants avant que ses collègues ne se prononcent sur la motion, la députée portugaise, vice-présidente de la commission pour les droits de la femme et l'égalité des genres, a pris la parole pour inviter ses collègues à rejeter le texte afin que son propre rapport puisse ensuite être voté. Mais contre son avis, celui-ci est adopté à 334 voix pour, et 327 contre. Une courte différence de 7 voix, et un résultat qui s'explique... par une erreur. Déjà le 10 décembre, des députés européens expliquaient avoir voté "par erreur" le maintien de la pêche en eaux profondes.
Interprétation en relais
Cette fois, c'est une erreur des traducteurs qui serait la cause du bug. Trahissant la parole de l'élue, la traduction que les députés français et allemands ont entendue invitait en effet à se prononcer en faveur de la motion alternative. La traduction anglaise en revanche transmettait fidèlement la demande de rejet. Les conséquences de ces erreurs ont été amplifiées par le système de l'interprétation "en relais".
Selon ce système mis en place au Parlement de Strasbourg, cinq interprètes principaux (qui traduisent en anglais, français, espagnol, allemand et italien) servent de référents à leurs collègues, qui traduisent en différé dans d'autres langues. Tous les interprètes des autres langues qui se basaient sur la version française et allemande ont été induits en erreur, répétant le contre-sens à leur tour. Les députés roumains et bulgares ont été, par exemple, victimes par ricochet.
Ce contresens est expliqué par une vidéo postée sur YouTube par Myriam Tonelotto, spécialiste de la politique européenne, auteure du documentaire Lobbying, au-delà de l'enveloppe, et qui appelle à faire revoter le texte.
REGARDEZ
Mais le règlement laisse peu de place à cette possibilité : "Le président décide de la validité du résultat proclamé. Sa décision est sans appel." Dans les colonnes des Inrocks, la députée Vert Sandrine Bélier, qui annonce que son parti saisira la Conférence des présidents, considère qu'il faudra certainement faire voter au Parlement le fait de revoter le texte d'Edite Estrela !
"Je me suis planté en votant l'abstention"
Si les conséquences exactes de ces erreurs sont difficiles à évaluer, le procès-verbal de la cession révèle que 11 députés [ce chiffre n'excède pas un ou deux en temps normal, NDLR] ont apporté des corrections à leur vote, dont 8 ont finalement voté contre la motion alternative de la droite. Des corrections pour la forme puisqu'elles n'ont aucune conséquences sur le résultat final du scrutin. Mais si tous les députés qui ont signalé leur erreur avaient voté conformément à leur volonté, le résultat aurait été de 334 voix pour, 334 voix contre. Et il est probable que certains élus n'ont pas pris la peine de révéler leur erreur a posteriori...
Également contacté par les Inrocks, Jean-Luc Bennahmias, membre des Démocrates libéraux européens (ALDE), relève l'incohérence de la situation. "On ne comprenait pas grand-chose, la tension était très forte depuis des semaines à cause de l'extrême droite, je me suis planté en votant l'abstention", admet-il. L'élu a finalement signalé son erreur à l'issue de la session et déplore que son vote ait pu permettre de faire adopter "ce texte symbolique" [Il s'agissait d'un texte non contraignant, NDLR].
Une valeur symbolique, mais surtout un message clair à destination des États membres qui adoptent encore des positions différentes en la matière. L'IVG constitue un délit pénal en Irlande et en Pologne, et est constamment remis en question en Espagne et en Lituanie. En Italie, 85 % des médecins lui opposent la clause de conscience et il est impossible de fait en Hongrie depuis la disparition de la dernière clinique à le pratiquer en janvier 2013.
Présentation du rapport Estrela au Parlement européen :