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« Revenir au droit du sang » : une idée compliquée… et survendue

Après Eric Ciotti, Nicolas Sarkozy songe à « revenir au droit du sang ». Une incursion symbolique sur les terres du FN qui serait, en pratique, complexe à mettre en place.

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Publié le 05 juin 2015 à 17h26, modifié le 22 juin 2015 à 12h48

Temps de Lecture 5 min.

Nicolas Sarkozy songe à « revenir au droit du sang » en matière de nationalité française.

Après Eric Ciotti, Nicolas Sarkozy relance la vieille polémique du « droit du sang ». L’ancien chef de l’Etat, qui cherche à adresser des signes à son électorat le plus à droite dans la perspective de la primaire des Républicains, a repris l’idée du président du conseil général des Alpes-Maritimes :

« Faut-il remettre en cause le droit du sol ? Cette question, incontestablement, peut se poser », a lancé M. Sarkozy à ses partisans lors d’une réunion, samedi 13 juin.

Une semaine plus tôt, Eric Ciotti se disait lui aussi partisan de « revenir au droit du sang ». Avec cette justification, donnée jeudi 4 juin lors d’un discours à Cannes :

« La nationalité ne peut pas s’acquérir par hasard (…) ceux qui veulent devenir français doivent s’assimiler, adhérer aux valeurs de la République. »

La question du droit du sol et du droit du sang revient régulièrement dans le débat à droite. Toutefois, M. Sarkozy effectue un pas supplémentaire : jusqu’ici, la volonté de revenir au droit du sang était surtout un élément programmatique du Front national, lui-même s’étant plusieurs fois dit opposé à cette idée.

La France pratique déjà le droit du sang

La législation sur la nationalité diffère selon les pays, mais on peut distinguer deux modes d’acquisition distincts :

– le « droit du sol » (jus soli, pour les latinistes) : je suis français car je suis né en France ;

– le « droit du sang » (jus sanguinis) : je suis français car mes parents le sont.

Contrairement à une croyance répandue, la France n’a pas choisi le seul « droit du sol ». En réalité, les deux coexistent dans notre pays : un enfant né de parents français possède, dès sa naissance et sans besoin d’aucune démarche, la nationalité française par filiation. Donc par « droit du sang ».

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Un enfant né sur le sol français de parents étrangers obtiendra automatiquement la citoyenneté française à sa majorité, à certaines conditions : posséder un certificat de naissance en France, résider effectivement en France, et y avoir vécu durant au moins cinq ans depuis l’âge de 11 ans. La citoyenneté peut être accordée avant la majorité de l’enfant au prix d’une démarche administrative.

Enfin, la France reconnaît le « double droit du sol » : si un parent étranger, mais né en France, a un enfant en France, celui-ci bénéficie du droit du sol et donc de la nationalité française dès sa naissance.

Un droit du sang datant de Napoléon

M. Ciotti évoquait un « retour » au droit du sang, laissant entendre que ce seul principe a été la règle à un moment de notre histoire. Ce qui n’est pas faux, mais remonte assez loin : comme le rappelait le philosophe et écrivain Yves Roucaute dans une tribune au Monde en octobre 2013, dès Clovis, le droit du sol apparaît, mais c’est en 1515 qu’il sera formalisé, essentiellement pour des questions d’héritage : naître et résider en France suffit à devenir un « sujet du roi ».

La Révolution française transformera le sujet en citoyen, mais conserve le principe du droit du sol : la Nation est composée des citoyens qui y résident. C’est en réalité Napoléon qui sera le premier à remettre en cause le droit du sol, sans toutefois l’abandonner. Le code civil de 1802 précise ainsi (art.9) :

« Tout individu né en France d’un étranger pourra, dans l’année qui suivra l’époque de sa majorité, réclamer la qualité de Français pourvu que dans le cas où il résiderait en France, il déclare que son intention est d’y fixer son domicile, et que, dans le cas où il résiderait en pays étranger, il fasse sa soumission de fixer en France son domicile et qu’il s’y établisse dans l’année. »

Le durcissement est alors réel : il faut justifier de « grands services [rendus] à l’Etat » pour obtenir la nationalité française lorsqu’on est étranger. Néanmoins, note Thierry Lentz dans le tome III de sa « Nouvelle Histoire du premier empire », « pendant toute la période, on ne remit pas en cause le droit pour un étranger d’élire domicile en France, à condition qu’il présentât un passeport ou un titre prouvant qu’il n’était pas un vagabond ».

Même Napoléon n’avait donc pas totalement supprimé le droit du sol au profit du droit du sang. Et la IIe, puis la IIIe République reviendront, en 1851 et 1889, sur ces restrictions, et rétabliront la situation antérieure.

L’automaticité en cause

Comme l’explique l’historien Patrick Weill, spécialiste de la question, rétablir le « droit du sang » serait, pour le moins, extrêmement compliqué, notamment car cela changerait totalement les pratiques en la matière : aujourd’hui, être né en France de parents français vous rend automatiquement français, c’est le « double droit du sol ».

En cas de droit du sang, il faudrait prouver la nationalité des ascendants, ce qui peut s’avérer dans bien des cas très complexe, voire impossible. Non seulement pour des Français dont les ascendants venaient de l’étranger à quelques générations, mais aussi pour nombre d’autres cas : pieds noirs, alsaciens dont les familles furent allemandes au début du siècle…

Mais en réalité, l’idée avancée par la droite n’est pas véritablement un passage au « droit du sang » : celui-ci, on l’a vu, coexiste avec le droit du sol. L’objectif est en réalité plus modeste, comme M. Ciotti le précisait à Paris Match en mai : « Je suis favorable au rétablissement du droit du sang pour que la naturalisation ne soit plus automatique pour les personnes nées sur le territoire français de parents non ressortissants de l’UE. »

On l’a vu, un enfant né en France de parents étrangers devient actuellement automatiquement français à ses 18 ans, s’il vit dans notre pays et s’il y a vécu plus de cinq ans. Cela n’a pas toujours été le cas. En 1993, le gouvernement Balladur avait supprimé le caractère automatique de l’acquisition de nationalité pour un enfant né en France de parents étrangers : il devait en faire la demande à sa majorité. La loi a été supprimée par le gouvernement Jospin en 1998. La Droite forte, courant droitier de l’ex-UMP, avait proposé de la rétablir en 2010.

Une question symbolique avant tout

M. Ciotti veut donc remettre en place ce principe, car, selon lui, « ceux qui veulent devenir français doivent s’assimiler, adhérer aux valeurs de la République ». Un argumentaire qui peut surprendre : on ne parle pas ici d’adultes venus de l’étranger et demandant la nationalité, mais d’enfants, nés en France, qui ont effectué leur scolarité dans notre pays avant leurs 18 ans.

Mais on est ici dans un registre bien plus symbolique, semblable à l’argumentaire du FN, qui propose lui aussi de « supprimer » le droit du sol depuis longtemps. Car si l’on regarde les chiffres, on constate que le « droit du sol » n’est pas le premier pourvoyeur de nouveaux citoyens français.

Le « droit du sol » ne concerne en effet que les personnes nées en France de parents étrangers. Or, si l’on regarde le détail des acquisitions de nationalité, ce sont les naturalisations (donc le fait pour des étrangers résidant en France et justifiant de certains critères d’obtenir la nationalité française par décret) qui sont largement en tête : 40 941 adultes et 16 669 enfants ont obtenu la nationalité ainsi en 2014.

Les acquisitions de nationalité par déclaration anticipée, donc de mineurs nés en France de parents étrangers, représentaient seulement en 2013 un peu plus de 25 000 cas. Les acquisitions de nationalité par mariage arrivent ensuite, avec 19 725 personnes l’an dernier.

Les acquisitions de nationalité en 2013
Les déclarations anticipées ne représentent que 25 000 personnes sur 97000
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