Benjamin Stora, l'historien qui a l'Algérie dans la peau

Par Marie Lemonnier

Publié le

L'historien BENJAMIN STORA.

L'historien BENJAMIN STORA.  ©SIMON ISABELLE/SIPA

Alors qu'il accompagne François Hollande à Alger ce lundi 15 juin, l'historien publie un émouvant récit de son enfance juive dans l’Algérie française. 

En bref


  • François Hollande s'est déjà rendu une fois en Algérie. C'était en décembre 2012. Il y avait notamment reconnu, devant le parlement, les «souffrances infligées» au peuple algérien par la colonisation. 

  • Ce lundi 15 juin 2015, il s'y rend donc pour la deuxième fois depuis le début de son mandat. Et l'historien Benjamin Stora est également du voyage. 

  • Né en 1950 à Constantine, Benjamin Stora est historien et président du conseil d’orientation de la Cité nationale de l’Histoire de l’Immigration. Il enseigne l’histoire du Maghreb contemporain et des guerres de décolonisation à l’université Paris-XIII et à l’Inalco (Langues Orientales, Paris). Auteur d’une trentaine d’ouvrages, il a codirigé avec Abdelwahab Meddeb l’encyclopédie sur «l’Histoire des relations entre juifs et musulmans» (Albin Michel, 2013).

  • Dans « les Clés retrouvées », il livre aujourd'hui un émouvant récit de son enfance juive dans l’Algérie française jusqu’au choc de l’exil.

La story Stora

Les lieux de l’enfance hantent toute l’existence. Quand ils sont, de plus, le théâtre d’événements historiques, ils peuvent même décider d’un destin. L’irruption, dans la chambre du petit Benjamin Stora, alors âgé de 4 ans et demi, de soldats français installant une mitrailleuse au milieu de ses jouets pour tirer sur des fellagas, ces combattants algériens de l’indépendance, explique en partie qu’il soit devenu ce grand historien de l’Algérie et des guerres de décolonisation.

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Ce jour-là, 20 août 1955, le soleil de Constantine sous lequel il grandit se couvre de rouge. Ce jour-là s’enclenche aussi le compte à rebours pour le grand départ de sa famille vers la France, sept ans plus tard.

Entre-temps, on découvre à travers ses yeux d’enfant et au fil de son écriture sensible tout un monde désormais englouti : celui du vieux quartier juif imbriqué dans le quartier arabe à l’écart du «quartier européen» où les juifs ne commenceront à migrer qu’au milieu du conflit, celui des prières mêlées des synagogues et des mosquées et d’une vie rythmée par les fêtes religieuses, celui encore de l’anisette Phénix que buvait son père au café, du hammam partagé avec les femmes jusqu’à 8 ou 9 ans, des westerns découverts au cinéma Vox et des chansons de Presley au Jacky Bar…

Entre-temps, Stora se redécouvre Benjamin, parlant arabe avec sa mère à la maison sans pouvoir l’écrire, et apprenant des lettres d’hébreu à l’école talmudique sans pouvoir le comprendre, avant que l’école française ne vienne bien vite effacer les deux.

Et puis arrive le temps de l’angoisse et des «nuits bleues», des attentats à la grenade et des plastiquages de l’OAS. Jusqu’à l’assassinat du célèbre chanteur Raymond Leyris, alias «Cheikh Raymond», abattu d’une balle dans la nuque en plein marché le 22 juin 1961. Ce sera «le grand tournant», «l’heure terrible du choix» : «Ainsi allait prendre fin la présence séculaire des juifs en Algérie.»

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Le 16 juin 1962, chacun a donc pris deux valises, et son père a pour la dernière fois fermé la porte du petit appartement constantinois. C’est le trousseau de clés du domicile algérien qu’en 2000, à la mort de sa mère, Benjamin Stora a redécouvert caché au fond du tiroir de la table de nuit, faisant remonter à la surface toute cette « mémoire vive et douloureuse », qui offre la matière à son livre le plus intime.

Marie Lemonnier

Les Clés retrouvées. Une enfance juive à Constantine,

par Benjamin Stora, Stock, 152 p., 17 euros.

LireQuand la mosquée de Paris sauvait des juifs

Paru dans "l’Obs" du 11 juin 2015.

Les 1ères pages des "Clés retrouvées"

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