
« C’est comme un immense puzzle où toutes les pièces seraient vertes ! » Patrick Houdry rit un coup. Responsable des activités Forêts pour Airbus Defence and Space, il a pour tâche de mener un projet titanesque : prendre en photo satellite l’ensemble de la forêt du bassin du Congo. Une affaire de haut vol, même pour un satellite. Les forêts du bassin Congo, deuxième massif tropical au monde après l’Amazonie, s’étalent sur six pays (Cameroun, Gabon, Centrafrique, Congo Kinshasa, Congo Brazzaville et Guinée Equatoriale) et plus de 3 millions de km² (près de six fois la taille de la France).
Le projet, nommé OSFT (Observation spatiale des forêts tropicales), est né en 2009, des suites de la décevante Conférence de Copenhague sur le climat. La France y annonce sa volonté de fournir le meilleur de la technologie spatiale aux pays du bassin du Congo, dans le cadre du programme REDD +, une initiative coordonnée par l’ONU, encourageant les pays à protéger leur massif forestier afin de lutter contre le réchauffement climatique (un cinquième des émissions de gaz à effet de serre sont dus à la destruction des forêts).
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En 2010, un partenariat est vite signé entre l’Agence française de développement (AFD)[partenaire du « Monde Afrique »] et Airbus Defence and Space. Un consortium est ensuite créé, piloté par IGN France Internationale (IGN FI, filiale privée de l’IGN pour l’international), désignée maître d’ouvrage, et auquel prennent part l’Institut de recherche pour le développement (IRD), le Centre national d’études spatiales (CNES) et l’ONF International (ONFI, filiale de l’Office national des forêts).
« L’Afrique centrale, à la différence de l’Amazonie, était une zone vide, non-couverte par les photos satellites. Il y avait un vrai déficit d’image », explique aujourd’hui Karen Colin de Verdière, chef de projet biodiversité à l’AFD. A une altitude de 694 kilomètres au-dessus de la canopée congolaise, les satellites commerciaux SPOT 6 et 7, derniers nés de la famille satellitaire SPOT, pilotés par Airbus Defence and Space depuis Toulouse, effectuent une révolution autour de la terre en (exactement) 101 minutes, et prennent en permanence des photos de la forêt.
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« Les nuages représentent la principale contrainte, explique Patrick Houdry. Il y a des zones très compliquées à couvrir, du fait d’une couverture nuageuse presque constante, comme dans la bande littorale du Cameroun ou au Gabon. Il faut se battre pour trouver un petit coin de ciel bleu. » Initialement prévu pour couvrir 2 millions de km², le projet a finalement été élargi à 3,3 millions.
« On s’est rendu compte que nos utilisateurs s’intéressaient aussi aux zones de savanes et aux forêts sèches, explique Camille Pinet, chef du projet à IGN FI. En effet, les zones en bordures, et pas seulement le cœur de la forêt tropicale, sont celles qui subissent le plus fortement la pression de la déforestation. »
Les clichés bruts sont ensuite découpés en carrés de 60 km de côté, soit 3 600 km2, et envoyés à l’IGN. Ils subissent alors plusieurs contrôles, dont « une vérification technique, où l’on fait attention qu’ils ne comportent pas plus de 20 % de nuages », explique Camille Pinet.
Corriger les effets du relief
L’image reçoit également un traitement géométrique, très technique, d’ortho-rectification, afin de corriger les effets de relief. Les images sont enfin mises à la disposition des gouvernements, ministères de l’environnement et administrations responsables dans les pays concernés, ainsi que des universités, instituts de recherche, ONG, partenaires du projet.
La livraison se fait « à l’ancienne ». « Les connexions Internet sont trop lentes. Du coup : on fait des valises de disque dur, et on part en Afrique faire la tournée des associations et des ministères ! », raconte Camille Pinet. Depuis 2010, plus de 1 300 images ont été produites, couvrant la quasi-totalité du bassin du Congo. Une bonne cinquantaine d’acteurs locaux, travaillant sur plus d’une centaine de zones d’étude ont pu utiliser les images des satellites SPOT.
L’AFD a financé le projet à hauteur de 8,5 millions d’euros. Une licence d’utilisation spécifique, créée par Airbus, permet aux utilisateurs d’accéder gratuitement aux images, à condition qu’elles servent bien à la préservation de la forêt. A partir des photos récentes, et des archives des satellites SPOT, Airbus crée également des cartes forestières. Près de 300 000 km² de forêt ont ainsi été cartographiées en République centrafricaine, montrant l’évolution de la forêt entre les années 1990, 2000 et 2010.
« Aucune cartographie forestière de cette envergure n’existait pour la Centrafrique jusqu’à présent », explique Camille Pinet. La même opération a été menée pour les deux-tiers sud du Cameroun. Sur les cartes, les petits points rouges, couleur de la déforestation, grignotent le vert tropical. C’est dans ses périphéries que la forêt recule le plus…

« Au Cameroun, c’est très flagrant sur le littoral par exemple », explique Camille Pinet. Un récent rapport de WWF classe d’ailleurs le bassin du Congo parmi les 11 forêts en péril dans le monde, et 12 millions d’hectares pourraient y être rasés si rien n’est fait d’ici 2030. Le bassin est le refuge d’au moins 1 000 espèces d’oiseaux, 400 mammifères et 10 000 plantes. Elle est aussi la maison de l’éléphant de forêt, de l’okapi, du chimpanzé et du gorille de montagne.
La forêt y est menacée par l’essor de l’agriculture, la pression démographique (la population du bassin du Congo aura doublé entre 2000 et 2030), l’instabilité politique et le commerce illégal du bois tropical rare. L’initiative OSFT est cependant critiquée par Greenpeace : « C’est bien de mettre à disposition des outils cartographiques, mais si, derrière, il n’existe pas d’administration capable de se saisir de ces problèmes, ça ne sert à rien, lance Frédéric Amiel, chargé des campagnes Forêts à Greenpeace. L’Agence française de développement fournit des images de la forêt aux gouvernements du bassin du Congo, mais dans le même temps elle finance des projets entraînant la déforestation dans la même région, comme le barrage de Lom Pangar au Cameroun par exemple. »
Pour parer la critique, l’AFD soutient un projet parallèle, Geoforafri, financée par le Fonds français pour l’environnement mondial pour 3,5 millions d’euros. « On organise des sessions de formation pour apprendre aux utilisateurs à exploiter les photos, on fournit les équipements informatiques manquants, comme des serveurs de stockage, des écrans adaptés, des traceurs et des imprimantes », explique Karen Colin de Verdière. Le consortium réunit à présent des clichés afin de bâtir une nouvelle couverture complète du bassin du Congo pour l’année 2015.
Besoin d’un système durable pour tenir les objectifs
Mais le projet sera-t-il ensuite pérennisé ? L’AFD ne se prononce pas mais indique qu’aucune nouvelle carte forestière n’est en route, et que l’appui durera encore « quelques années supplémentaires. »
Les pays de la région auront cependant besoin d’un système durable, afin de pouvoir tenir les objectifs de réduction de CO2 et faire bonne figure à la Conférence des Nations unies sur le Climat (COP21) organisée en décembre à Paris.
« Je le vois comme un effet d’amorce, soutient Patrick Houdry. Ma conviction profonde est qu’il faut donner à ces pays les moyens de mettre en place des stratégies de développement respectueuse de l’environnement. Il faut que ce soit un projet de long terme. »
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