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Impôts : les questions que pose le prélèvement à la source

La déclaration d’impôt va-t-elle disparaître ? Qui va prélever ? Comment sera gérée l’année de transition ?... Alors que le gouvernement a présenté sa feuille de route vers le prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu tour d'horizon des questions qui se posent.

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Photo prise le 07 août 2013 à Lille de figurines posées devant des lettres composant le mot "impots". AFP PHOTO / PHILIPPE HUGUEN

Par Frédéric Schaeffer

Publié le 17 juin 2015 à 10:34

Le chantier du prélèvement à la source est lancé. Pour une application au 1er janvier... 2018 ! Les ministres des Finances et du Budget présentent ce mercredi en Conseil des ministres leur feuille de route vers le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu, un parcours semé d’embûches, mais qui doit être « irréversible », prévient Michel Sapin. Dès la rentrée, le projet de budget pour 2016 devrait poser des jalons, en encourageant le paiement mensualisé et la télédéclaration. Dans le même temps, le gouvernement veut ouvrir une vaste concertation, et prévoit un livre blanc pour le milieu d’année prochaine.

1 - La déclaration d’impôt va-t-elle disparaître?

Non. La nécessité de remplir une déclaration de revenus subsistera, de même que la nécessité d’informer l’administration des changements de situation personnelle (déménagement , divorce…) intervenant en cours d’année. « C’est un point qui a été souligné avec constance par les précédents travaux sur ce sujet », souligne le Conseil des prélèvements obligatoires. Outre la nécessité de déterminer le taux d’imposition définitif des revenus salariaux, « la déclaration sera toujours nécessaire pour imposer les autres revenus (du patrimoine, par exemple) », indique l'avocat fiscaliste Dominique Villemot. La déclaration est aussi utile pour les abattements (emplois à domicile...).

Dans quasi tous les pays pratiquant la retenue à la source, la déclaration annuelle de revenus reste soit obligatoire, soit souscrite par une grande majorité de contribuables bien qu’elle soit facultive. Et cette déclaration peut parfois être très lourde, comme aux Etats-Unis ou en Allemagne alors qu’en France la déclaration préremplie (qui existe pour 90 % des contribuables) a fortement simplifié les choses.

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2 - Quel est le principal intérêt de la retenue à la source?

L’intérêt majeur du prélèvement à la source est de collecter l’impôt des ménages en temps réel, c’est-à-dire au moment du versement des revenus imposables. « Actuellement, comme l’impôt est prélevé avec un an de retard, les contribuables qui voient leurs revenus baisser (retraite, chômage), doivent attendre un an avant que leur impôt ne baisse, ce qui les met dans une situation difficile », explique Dominique Villemot. « Un tiers des contribuables subissent des pertes de revenu d’une année sur l’autre, dont 10 % d’au moins 30 % », indique Terra Nova pour qui « une telle organisation génère de l’incertitude et accentue la constitution d’une épargne de précaution ». Le think tank y voit donc une réforme « utile pour l’économie » (ce qui n’est pas épargné est consommé) mais aussi le moyen de « renforcer » l’effets des stabilisateurs sociaux (une personnes tombant au chômage n’aura plus à acquitter le même impôt) et « d’améliorer l’efficience de la politique fiscale » (en supprimant les délais important entre le vote d’une mesure et sa répercussion financière sur les ménages).

3 - Qui va prélever l’impôt?

La retenue à la source ferait entrer dans le circuit de recouvrement de l’impôt un nouvel acteur : le tiers payeur. Sur le papier, plusieurs pistes sont possibles, comme les banques ou l’employeur. Mais tous les rapports recommandent de passer par l’employeur. Et, de fait, c’est le choix effectué dans tous les pays passés au prélèvement à la source. C’est déjà l’employeur qui est chargé de retenir à la source les cotisations sociales salariales et la CSG.

Pour le CPO, ce mode de recouvrement pourrait toutefois engendrer une charge de travail supplémentaire « non négligeable » pour les entreprises (ou caisses de retraites) ainsi que des surcoûts. Si leur ampleur dépendra des options choisies, le CPO en identifier deux types « à minima ». D’une part, un coût d’adaptation lors de l’année de transition, l’entreprise devant adapter ses logiciels de paie et les circuits de transfert d’acomptes et d’informations. D’autre part, un coût de gestion en régime de croisière, l’entreprise devant gérer un nouveau flux d’échanges avec l’administration tous les mois pour le versement des acomptes d’impôt mais aussi en cours d’année pour ajuster les des taux d’imposition . « Un tel projet va ajouter de la complexité et un stress supplémentaire aux entreprises », s’inquiète Pierre Gattaz, le président du Medef. « Un mécanisme de compensation serait alors indispensable », estime la CGPME. L’entrée en vigueur en 2016 de la déclaration sociale nominative (qui doit se substituer à plusieurs déclarations faites par les entreprises) devrait faciliter la transition.

4 - Comment préserver la confidentialité des données?

C’est l’un des principaux obstacles à la mise en œuvre du prélèvement à la source. « A salaire égal, deux salariés n’auront pas le même montant retenu à la source, ce qui donne une indication sur la situation de chacun d’entre eux », indique Vincent Drezet, secrétaire général de Solidaires Finances publiques. Les syndicats craignent que l’employeur utilise ces nouvelles informations pour orienter sa politique salariale. Le calcul du taux d’imposition nécessitant de connaître les autres revenus perçus par le contribuable et sa situation de famille (comme les revenus du conjoint), « il conviendrait de s’assurer que l’employeur (...) n’ait pas à calculer le taux de la retenue, ne dispose que des éléments strictement nécessaires au seul prélèvement des retenues, puisse faire l’objet de contrôles et, si besoin, de sanctions », jugeait le député PS dominique Lefebvre dans son rapport sur la fiscalité des ménages publié l’an passé. Mais même la communication d’un « taux moyen d’imposition n’est pas une solution suffisamment protectrice de la confidentialité des informations des contribuables », juge le CPO. « Il suffit que l’employeur utilise un taux résultant d’un barème fourni par l’administration ne prenant en compte que le montant du salaire individuel », propose Dominique Villemot.

5 - Comment gérer l’année de transition?

C’est l’autre difficulté. Dans l’hypothèse où le prélèvement à la source est effectif au 1er janvier en 2018, l’Etat percevrait l’impôt sur les revenus de 2018, après avoir perçu en 2017 ceux sur les revenus de 2016. La piste d’une double imposition en 2018 étant impensable, Bercy a annoncé que les revenus salariaux de 2017 ne seront pas imposés. Cette piste d’une « année blanche » avait été déjà proposé par Thierry Breton.... avant que le gouvernent Fillon abandonne le projet. « Concernant les revenus salariaux, je suis prêt à faire cadeau d’une année, disait il y a peu Michel Sapin . Mais que se passe-t-il sur les revenus du capital qui sont déclarés postérieurement ? Si on n’y prend pas attention, on risque des phénomènes d’optimisation fiscale agressive ».

Des mécanismes « anti-abus » sont donc indispensables afin d’empêcher que des contribuables logent artificiellement certains revenus sur l’année d’exonération plutôt que sur l’année de taxation. Sans quoi, « cela ne ferait qu’accroître l’injustice du système fiscal entre ceux qui ont la possiblité de différer ou avancer l’imposition de leurs revenus et ceux qui ne l’ont pas », avance Solidaires. Se pose aussi la question de la prise en compte des crédits et réductions d’impôts au titre de l’année blanche. « Ces incitations fiscales peuvent être nécessaires pour assurer la continuité du financement de certains secteurs économiques, notamment pour les services à la personne », relève le rapport Lefebvre-Auvigne.

LIRE AUSSI : Le casse-tête de « l’année blanche »

6 - Quid du quotient familial?

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Réformer la collecte de l’impôt n’est pas réformer le calcul de l’impôt. Les ministres de Bercy ont rappelé que la retenue à la source ne modifiera en rien, à elle seule, ni le niveau des impôts, ni le principe du quotient familial. Un sujet très sensible, sachant que le gouvernement a durci par deux fois le plafonnement du quotient, et que des voix s’élèvent régulièrement à gauche pour le « forfaitiser ».

Si l’existence du quotient familial n’est donc pas antinomique avec le prélèvement à la source, elle complique la mise en œuvre de ce dernier. Parmi les pays de l’OCDE pratiquant le prélèvement à la source, la plupart prennent en compte les enfants à charge dans le calcul de l’impôt sur le revenu (souvent de façon forfaitaire), mais aucun n’applique un système de quotient familial similaire à la France. De même, si la plupart des pays prennent en compte la situation du conjoint, seul le Luxembourg applique un système équivalent à notre quotient conjugal. « Ces spécificités rendent une retenue à la source particulièrement complexe à mettre en œuvre », estime le syndicat Solidaires Finances publiques, hostile à la réforme, qui pointe aussi les risques de confidentialité si c’est l’entreprise qui prélève. La difficulté n’est toutefois pas insurmontable, juge le CPO, pour qui « la mise en oeuvre de la retenue à la source n’appelle pas nécessairement de réforme en profondeur de l’imposition des revenus. »

7 - Pourquoi attendre 2018?

La réforme « ne peut pas se faire en moins de trois ans » et sera engagé « dès 2016 pour être pleinement appliqué en 2018 », a expliqué François Hollande dans « Sud-Ouest ». Donc, après la présidentielle de 2017... L’exécutif argue de la complexité du dossier et des nombreux obstacles techniques. Le député PS Dominique Lefebvre évoquait un « délai incompressible d’au moins deux à trois ans » dans son rapport publié l’an dernier. L’économiste Alain Trannoy estime, lui, que le dossier n’est pas si complexe et que la meilleure solution serait de basculer dès 2017. « En un an, un an demi, il y a largement le temps, ce ne sont pas des problèmes insurmontables », explique directeur de recherche à l’EHESS.

Mais une mise en application au 1er janvier 2017, en plein campagne présidentielle, ne serait pas sans risque pour l’exécutif. Techniquement « le moindre bug sur les impôts à quelques mois de la présidentielle serait mortel », met en avant un député de la majorité. « Cela peut être risqué politiquement, avance un autre. Quand on ouvre un dossier comme celui-là, la tentation est grande de se poser d’autres questions sur les impôts ».

L’exécutif voudrait aussi s’éviter un effet « bas de feuille de paie » durant la campagne présidentielle. Avec le prélèvement à la source, le salaire net va chuter d’un coup. « Au vu de la baisse du salaire net, la première réaction du salarié en début d’année risque d’être négative », indique Dominique Villemot.. Cet effet psychologique suivi d’une revendication salariale généralisée avait été au cœur du débat sur le prélèvement à la source en 1973. Et contraint le ministre de l’Economie et des Finances Valéry Giscard d’Estaing à abandonner son projet.

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