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Prélèvement de l’impôt à la source : les questions que posent l’« année blanche »

Le gouvernement évoque un « cadeau » aux contribuables pour 2017, année précédent l’instauration du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu. Il s’agit en réalité surtout d’éviter la double imposition.

Par  et

Publié le 17 juin 2015 à 13h50, modifié le 17 juin 2015 à 18h25

Temps de Lecture 5 min.

Une année sans impôts ? Certains commencent à en rêver depuis l’annonce, mercredi 17 juin par le ministre des finances, des modalités de mise en œuvre du prélèvement à la source. Michel Sapin a expliqué que la réforme serait effective en 2018, tandis que le secrétaire d’Etat au budget, Christian Eckert, a précisé que l’année 2017 serait une « année blanche » pour les revenus salariés perçus cette année-là.

Mais attention : ce n’est pas tout à fait exact. Concrètement, il faudrait parler d’une année « semi-blanche » car les contribuables n’auraient pas une année sans impôts et l’Etat continuerait à percevoir les recettes de l’impôt. Explications :

Qu’est-ce que le prélèvement de l’impôt à la source ?

Serpent de mer de la fiscalité, promesse de campagne de François Hollande en 2012, le prélèvement à la source consiste à retenir l’impôt directement sur le salaire du contribuable au lieu que celui-ci reçoive son salaire pleinement, déclare ses revenus et paye l’impôt ensuite.

Pour le contribuable, le salaire mensuel est ainsi moins élevé mais il n’y a plus de paiement automnal – ou de mensualisation sur dix mois, comme le font déjà 60 % des contribuables.

Comment se déroulera la mise en place ?

Il y avait trois possibilités pour la mise en œuvre de la réforme :

  • les deux systèmes auraient pu cohabiter pendant une année (impôt déjà prélevé à la source pour les revenus de l’année en cours et payé à l’automne pour ceux de l’année précédente). Intéressant pour l’Etat, beaucoup moins pour les contribuables qui auraient payé deux fois plus d’impôts cette année-là.
  • le gouvernement envisageait initialement une mise en place progressive, avec une part (graduellement plus importante) de l’impôt prélevé à la source et une autre payée avec le système existant. Cette option semblait très compliquée à mettre en place.
  • Finalement, le gouvernement a opté pour une mise en place immédiate d’une année à l’autre : pendant la première année (2017), les contribuables paieraient les impôts sur les revenus de 2016 (avec l’ancien système), et pendant la seconde (2018), les impôts seraient prélevés à la source.
Les ministres des finances et de l'économie, Michel Sapin et Emmanuel Macron, le 9 juin à l'Assemblée.

Pourquoi vous payerez tout de même :

Le gouvernement a promis, dans les colonnes du Figaro, un « cadeau pour les salariés » en 2017. Mais attention aux fausses joies : quel que soit le mode de bascule retenu, il y a toutes les chances pour que les contribuables n’aient aucun « cadeau » à attendre.

En réalité, le « cadeau » sera de ne pas faire subir aux contribuables de double imposition. Mais tous les assujettis à l’impôt sur le revenu s’acquitteront, en 2017 de leur impôt… 2016. Et l’année suivante, en 2018, si le principe du prélèvement à la source est en place, nous paierons l’impôt sur le revenu… 2018.

Pour le contribuable, le fait de ne pas être imposé sur ses revenus 2017 ne changera donc pas grand-chose : il paiera, cette année-là, ses impôts sur ses revenus 2016. Et l’année suivante, si le prélèvement à la source démarre, il paiera également, mais pour ses revenus de l’année en cours.

Le principal syndicat des impôts, Solidaires finances publiques, met en garde contre « de nombreux effets pervers » de cette mesure. Il souligne notamment que « certains contribuables pourraient en profiter pour réaliser des plus-values qui ne seraient pas imposées alors que d’autres qui auraient bénéficié de restitution au titre de certains crédits d’impôt seraient lésés ». « Ceci ne ferait donc qu’accroître l’injustice du système fiscal entre ceux qui ont la possibilité de différer ou avancer l’imposition de leurs revenus et ceux qui ne l’ont pas », ajoute-t-il dans un dossier sur la retenue à la source, publié début juin.

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Mais on aura quand même une année blanche ! La rédaction du Monde.fr, comme sans doute nombre de Français, a beaucoup débattu autour de ce projet de réforme. Il est vrai que tout n'est pas aisé à comprendre. Oui, on l'a dit, il y aura bien une « année blanche » fiscale, puisque les revenus 2017 ne seront pas imposés. Néammoins, les salariés paieront en 2018 leurs impôts sur les revenus... 2018. Il y a cependant un « cadeau », mais il est quelque peu morbide : jusqu'ici, le fisc réclamait les impôts sur le revenu d'une personne décédée dans l'année, puisqu'il s'agissait de ses revenus de l'année précédente. Avec le système de prélévement à la source, cela disparaît. Donc il y a bien un « cadeau » : votre famille n'aura plus à payer l'impôt pour vous après votre décès.

Quelles questions restent en suspens ?

Un impôt individualisé. Le prélèvement à la source pose une grande question : en France, ce ne sont pas les individus mais les ménages qui paient l’impôt, avec notamment un système de quotient familial destiné à avantager les familles avec enfants.

Un prélèvement à la source implique donc soit de passer à une imposition individuelle, ce que le gouvernement ne souhaite pas, soit de mettre en place des mécanismes pour appliquer le quotidien familial sur les prélèvements à la source sur les salaires de chacun des membres du foyer réglant l’impôt.

Une collecte par les entreprises. Autre motif de grogne possible : l’instauration d’un prélèvement à la source implique que les entreprises seront chargées de collecter l’impôt, ce qui représente une nouvelle charge pour elles, déjà pointée du doigt par le Medef ou par la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME). Les syndicats de salariés, eux, s’inquiètent de l’accès qu’auront les entreprises à des données personnelles de leurs salariés.

Quid des travailleurs indépendants ? Si le système du prélèvement à la source est « relativement » simple pour les salariés, il est plus difficile à mettre en place pour les travailleurs indépendants (artisans, commerçants, professions libérales…). Dans un rapport publié en février 2012, la Cour des comptes soulignait que « les revenus des professions indépendantes sont difficilement compatibles avec une retenue à la source ». La juridiction financière prônait pour elles un statu quo avec un maintien de l’impôt déclaratif – cela concernerait environ 5 % des contribuables. Dans une décision de décembre 1983, le Conseil constitutionnel a assuré que le principe d’égalité n’était pas rompu si certaines règles fiscales étaient adaptées à la « nature particulière de l’activité (…) des travailleurs indépendants ».

Dons et associations : Comme nous le fait remarquer un lecteur, ce changement risque d’avoir un autre effet : actuellement, on peut déduire de ses impôts une part des dons effectués à des associations ou des partis politiques. Si l’année est « blanche », les contribuables qui faisaient ce type de démarche n’auront donc plus cet avantage, ce qui pourrait se traduire par une diminution des dons.

Combien cela coûtera-t-il à l’Etat ?

Si, pour les contribuables, l’année « blanche » ne changera, on l’a dit, pas grand-chose, pour l’Etat, en revanche, il s’agira bien d’une année sans recettes fiscales issues de l’impôt sur le revenu. Mais le manque à gagner serait, lui, étalé dans le temps.

En 2014, le produit de l’impôt sur le revenu était supérieur à 75 milliards d’euros. Certes moins que la TVA, mais plus que l’impôt sur les sociétés.

Cette somme « manquera » donc – comptablement – en 2018, même si l’Etat pourra alors compter sur les rentrées fiscales de l’année en cours. Le gouvernement a indiqué qu’il ferait en sorte d’éviter l’effet d’aubaine sur les transactions et autres primes.

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