Le peu de soutien qu’il a reçu de ses collègues lorsqu’il a voulu se battre contre la loi punissant l’aide aux étrangers en situation irrégulière a été déterminant, estime Laurent Zimmermann, maître de conférence à l’Université Paris-Diderot.
Alexandre Grothendieck, généralement tenu pour le plus grand mathématicien du XXe siècle, est mort le jeudi 13 novembre. La nouvelle donne lieu à de nombreux articles rappelant son parcours et les extraordinaires avancées que son œuvre a rendues possibles dans le domaine des mathématiques.
On parle moins, sinon par allusion, de son autobiographie, Récoltes et semailles. Réflexions sur un passé de mathématicien. On a tort, car cet ouvrage, qui n’est pas publié mais qui se trouve sur Internet, est passionnant. Si les mathématiciens proposent souvent au public profane des réflexions permettant de saisir ce qu’est l’invention mathématique, à la fois ce qui la rend possible et les chemins qu’elle ouvre dans la connaissance du monde, l’autobiographie d’Alexandre Grothendieck, par sa simplicité, son honnêteté, son obstination à dire dans le détail ce qui fait un créateur dans le domaine des mathématiques, se situe de loin à la première place de ces diverses tentatives.
Il faudrait citer beaucoup de pages, par exemple celles où Grothendieck montre comment l’invention dépend de la capacité à trouver un autre regard au lieu de chercher à aménager ce que l’on voit déjà. Pages où l’on entend un écho de Proust disant que le seul vrai voyage consiste à pouvoir voir le monde « avec d’autres yeux ». Les pages de Grothendieck sont lumineuses, et cette autobiographie devrait absolument être publiée. Mais dans l’ensemble des questions que traite Grothendieck, il en est une, tout à fait capitale, qu’il faut rappeler. Dans les articles qui lui sont consacrés, on ne manque pas de souligner qu’il a passé la dernière période de sa vie retiré du monde, et passablement mécontent de ses contemporains.
Retrait du monde
Ne pas ajouter d’autre précision à ce constat revient à accréditer, au moins implicitement, une idée fausse. C’est en effet faire appel, ou risquer de faire appel, à un certain cliché, celui du savant fou, peut-être autiste ou demi-autiste, qui finit par devenir ermite parce qu’au fond il l’aurait toujours été plus ou moins dès le départ. Figure sympathique, mais qui n’a aucun rapport avec la réalité. Alexandre Grothendieck, dans son autobiographie, explique très clairement pourquoi sa vie a changé, à partir de quel événement calamiteux auquel il a été confronté. Et cette explication a de quoi nous interpeler, car la question qu’il pose est grave, et touche à l’actualité.
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