Niqab. Une cérémonie brestoise jette le trouble

Par Anne-Cécile Juillet et Stéphane Jézéquel

Des femmes entièrement voilées -visage compris- dans l'assistance d'une cérémonie militaire : la scène se déroulait lundi dernier, à Brest, au sein de l'Ensta-Bretagne. Selon la direction de l'école, aucun manquement à la loi : il s'agissait d'une « cérémonie traditionnelle saoudienne ».

Les familles saoudiennes avaient fait le déplacement, lundi à Brest, pour assister à ce passage de grade d'officier. Un « temps particulier » à l'Ecole nationale supérieure de techniques avancées - Bretagne.
Les familles saoudiennes avaient fait le déplacement, lundi à Brest, pour assister à ce passage de grade d'officier. Un « temps particulier » à l'Ecole nationale supérieure de techniques avancées - Bretagne. (photo Pauline Bourdet)

En matière de voile intégral, y aurait-il des intouchables ? Lundi, une trentaine d'élèves saoudiens participaient à un moment clé de leur formation, au sein de l'École nationale supérieure de techniques avancées (ENSTA-Bretagne). Dix d'entre eux recevaient leurs galons d'officiers, en présence de leurs familles venues spécialement de Riyad. Ces futurs cadres militaires saoudiens se forment dans l'Hexagone -d'autres grandes écoles en accueillent aussi- en vertu d'un accord bilatéral entre la France et le royaume arabe. Dans l'assemblée, une dizaine de femmes de leurs familles assistaient à cette cérémonie militaire -organisée dans un établissement public et où la presse était invitée- intégralement voilées : leurs visages étaient dissimulés derrière un « niqab », ne laissant apparaître que leurs yeux. Parmi les invités de cette cérémonie présidée par le préfet maritime de l'Atlantique, on comptait bon nombre de représentants civils et militaires, attachés de près ou de loin à la Direction générale de l'armement et au ministère de la Défense, les deux autorités de tutelle de l'école. Certains se sont émus de la présence de ces femmes au visage masqué, ostensiblement contrevenantes à la loi du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public (lire ci-dessous).

« Une cérémonie propre aux Saoudiens »


Pas le moins du monde embarrassée, la direction de l'école explique officiellement ne s'être « jamais émue de la situation » : « Il s'agit d'un temps particulier, d'une cérémonie qui est propre aux Saoudiens », justifie le directeur de l'Ensta, Patrick Puyhabilier. Les élèves prêtent serment sur le Coran, comme ils le font en Arabie Saoudite, au cours d'une cérémonie appelée « Al Qasam ». « Quant à ces mères de famille, elles se vêtent ainsi dans leur pays, nous ne pouvons pas leur demander de s'habiller différemment pour cette cérémonie », poursuit-il, estimant que son caractère « traditionnel » fait exception à la loi.

« Une nation amie »


Contacté hier, le préfet maritime, plus haut représentant de l'État présent à cet événement, s'est « refusé à tout commentaire ». Son entourage précise toutefois que le royaume d'Arabie Saoudite est une « nation amie ». Selon un rapport parlementaire de décembre 2014, le royaume des Saoud représente le premier client de la France pour les ventes d'armes sur la période 2003-2014. En 2013, il a acheté pour 1,9 milliard d'euros d'armes à la France. Les deux pays ont également noué de puissants liens via ces programmes de formation,
qui constituent une forme de « diplomatie parallèle ». Selon certaines sources, la scolarité d'un seul de ces élèves rapporterait plusieurs dizaines de milliers d'euros.
Interrogé sur ce point, Patrick Puyhabilier ne nous a pas répondu.

29 verbalisations à Brest depuis 2014


En « off », un membre de la direction d'une autre grande école française au profil similaire à celui de l'Ensta, et qui accueille également des élèves de la péninsule arabique, lâche qu'il est « délicat de traiter avec ces populations » : « Je me mets à la place du directeur de l'Ensta, il n'avait pas le choix : demander à une de ces femmes d'ôter son niqab, c'était aller directement au clash diplomatique ». Reste qu'à Brest, depuis début 2014, les forces de l'ordre ont dressé 29 procès-verbaux à des femmes « lambda » pour s'être dissimulé le visage dans un espace public. Pour mieux comprendre ces chiffres, il convient de préciser qu'ils concernent en fait neuf femmes, dont certaines ont été verbalisées plusieurs fois. L'une d'entre elles l'a été à dix reprises.

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