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François Pérol, un banquier dans la tourmente

ENQUETE François Pérol a redressé BPCE après la crise financière. Mais il traîne une faute originelle : sa nomination précipitée, en 2009, après deux ans à l’Elysée. Le procès pour prise illégale d’intérêts qui s’ouvre lundi sera décisif pour son avenir. Et celui de BPCE.

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Le procès pour prise illégale d’intérêts qui s’ouvre lundi sera décisif pour l'avenir de François Pérol, et celui de BPCE

Par Véronique Chocron

Publié le 21 juin 2015 à 13:12

Son avenir à la tête du groupe Banque Populaire-Caisse d’Epargne (BPCE) ne lui appartient plus entièrement. François Pérol est jugé à partir de lundi pour prise illégale d’intérêts. Le banquier, qui, après la crise financière, a redressé avec succès ces réseaux mutualistes au bord du précipice, est renvoyé devant le tribunal correctionnel de Paris pour ce que les syndicats Sud et CGT, qui ont déposé plainte, considèrent être sa faute originelle : avoir pris en 2009 la tête d’un groupe dont il avait suivi de près le sauvetage et le processus de fusion dans ses précédentes fonctions de secrétaire général adjoint à l’Elysée.

Depuis l’annonce de son renvoi en correctionnelle, François Pérol a plusieurs fois été amené à évoquer publiquement sa « situation personnelle », lors de conférences de presse ou en assemblée générale. Il devance généralement les questions pour exposer, impénétrable, l’objet du procès. Mais, en coulisse, plusieurs membres du conseil de surveillance le disent « très préoccupé ». « C’est une épreuve », un épisode « humainement très dur », reconnaît un de ses amis. François Pérol a toujours estimé que les intérêts de l’Etat avaient été défendus et protégés dans cette affaire, et qu’il n’avait obtenu aucun avantage en échange de sa nomination. « S’il avait pensé que cela poserait un problème, il aurait décliné la proposition. Il aurait très bien pu repartir chez Rothschild », réagit un proche.

Depuis six ans, les différentes procédures judiciaires engagées sur les conditions de son arrivée à la tête de BPCE ont fait peser une pression permanente, à laquelle il aurait presque fini par s’habituer… A plusieurs reprises, par le passé, il a pu lâcher devant son entourage qu’il conservait sa liberté et qu’il ne s’accrocherait pas à son fauteuil. Mais, au pied du mur, François Pérol entend mettre toute son énergie dans la bataille pour tenter d’obtenir sa relaxe.

Quel rôle réellement joué dans le dossier BPCE ?

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Il reviendra au tribunal de se prononcer sur le rôle réellement joué par François Pérol à l’Elysée dans le dossier Banque Populaire-Caisse d’Epargne. S’est-il réellement contenté de conseiller le président de la République ? Ou bien a-t-il « formulé un avis » aux autorités compétentes, à savoir la Banque de France et la direction du Trésor ? Ces questions, qui se posent régulièrement lorsqu’un haut fonctionnaire rejoint un groupe privé, sont du ressort de la Commission de déontologie. Mais, dans ce cas précis, et c’est l’un des nœuds de l’affaire, François Pérol n’a pas saisi cette instance. L’Etat jugeait alors extrêmement urgente la nomination d’un nouveau patron pour les Banques Populaires et les Caisses d’Epargne. Le délai demandé par la Commission de déontologie pour rendre sa décision avait été jugé trop long à l’Elysée.

Cette nomination précipitée, François Pérol risque de la payer cher : la prise illégale d’intérêts était punie, à l’époque des faits, de deux ans de prison et 30.000 euros d’amende. Au-delà, c’est bien son avenir à la tête de BPCE qui se joue. Car s’il était condamné, qu’il fasse ou non appel, le conseil de supervision de la Banque centrale européenne - le gendarme européen des banques - aurait à se prononcer sur son maintien au poste de président du directoire du groupe coopératif. Une perspective qui inquiète en interne. « On peut parler d’un certain mal-être. Pérol a fait le job et il l’a bien fait. Il y a d’ailleurs beaucoup de reconnaissance de la part des salariés », confie, sous couvert d’anonymat, le responsable d’une organisation syndicale, qui ne soutient pas les plaintes de Sud et de la CGT, à l’origine de l’enquête.

« Sa nomination peut paraître choquante, mais nous avions le pistolet sur la tempe. On a tendance à oublier le contexte de la crise financière de l’époque. On considérait qu’il fallait quelqu’un à la hauteur, et tant mieux s’il connaissait bien la boutique », se souvient un représentant syndical. Des propos qui reflètent assez bien l’ambivalence du « cas Pérol » : incarnation du « pantouflage » pour les uns, mais véritable patron pouvant compter en interne sur de réels soutiens… « C’est un séducteur. Il est marrant, très abordable, très atypique dans un environnement plutôt feutré. Il a apporté une forme de jeunesse intellectuelle à l’intérieur du groupe », résume Stéphanie Paix, présidente du directoire de la Caisse d’Epargne Rhône-Alpes.

Humour et réflexions acides

François Pérol n’avait pas rêvé toute sa vie de devenir banquier. De la brume des souvenirs n’émerge que l’envie du très bon élève de quitter sa ville natale du Creusot. Et de réaliser un parcours exigeant et prestigieux, sans but défini. Il entre alors à HEC, s’y ennuie, et entame en parallèle l’année suivante un cursus à Sciences po, plus conforme à son intérêt pour la vie publique. Puis ce sera l’ENA et l’Inspection générale des finances. Une filière d’excellence, méritocratique, pour le jeune homme ambitieux dont la famille n’avait pas d’entregent particulier.

Dans cette sphère, il détonne. Il aime « galéjer » et résiste difficilement à la tentation d’un bon mot ou d’une moquerie. Son humour l’emmène souvent aux frontières de l’absurde. Comme lorsqu’il débuta la conférence de presse sur le dernier plan stratégique de BPCE par une longue tirade surréaliste sur la gamelle de Rantanplan, pour signifier qu’un buffet suivrait la présentation. Ses collaborateurs apprécient. « Son humour est un atout, car c’est un brise-glace formidable. Il permet aussi de faire passer des messages de manière élégante. Il travaille sérieusement, sans se prendre au sérieux », glisse un membre de sa garde rapprochée. Une façon, aussi, de se cacher et de se protéger pour l’intéressé…

Autre particularité : à cinquante et un ans, il dit volontiers ce qu’il pense, sans beaucoup s’auto-censurer. En privé, ses réflexions acides n’épargnent pas les socialistes. L’arrivée de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle en 2002 l’a surpris et attristé, le nouveau visage de l’extrême-droite l’inquiète. Elevé par des parents catholiques pratiquants, ce non-croyant repousse à plus tard ses interrogations métaphysiques. Par appréhension. Il reconnaît avoir du mal avec les rites, comme avec toutes les manifestations collectives. Libéral avant tout, sur les questions de société - il est favorable au mariage gay - comme en économie. « C’est un homme d’action. Elaborer des solutions pour venir à bout de problèmes compliqués, c’est ce qui l’intéresse. Il a une force de travail tout à fait exceptionnelle, dit de lui, admiratif, Cyril de Mont-Marin, associé chez Roth­schild. Le pendant, c’est qu’il est exigeant avec les autres comme avec lui-même. Il peut être dur en affaires. » On le dit aussi colérique. « Il se permet d’être tonique dans l’échange, mais pas avec une personne qui est en position de subordination à son égard », nuance un proche collaborateur.

La fronde des barons régionaux

Pourtant, en dépit des résultats solides enregistrés par BPCE et d’une forte popularité parmi les managers maison, le mandat de François Pérol à la tête du groupe coopératif est loin d’être un chemin fleuri de roses. L’ex-inspecteur général des finances doit faire face à la fronde de plusieurs barons régionaux, qui a repris de la vigueur depuis sa mise en examen. Les opposants comptent en effet pousser leur avantage, en profitant de la fragilité actuelle de François Pérol. « Il a fait un excellent travail de rapprochement des Banques Populaires et des Caisses d’Epargne. J’étais favorable à l’arrivée d’un dirigeant extérieur au groupe pour nous permettre de surmonter nos différends. Mais est-ce qu’il est l’animal qu’il nous faut pour diriger le groupe désormais ? La procédure judiciaire est un catalyseur », observe un patron de banque régionale.

Le front anti-Pérol lui reproche son manque d’intérêt pour le modèle mutualiste. « Ce n’est pas sa tasse de thé. Il préférerait un système plus pyramidal, alors que, dans un groupe coopératif, beaucoup de personnalités ont des choses à dire », explique un dirigeant régional non-exécutif. Illustration ? « Natixis, la structure cotée en Bourse, est en train de devenir le centre du groupe. Les métiers de Natixis doivent être au service du développement des territoires, pas au service des actionnaires », s’alarme-t-il.

D’autres reprochent à François Pérol d’avoir voulu placer la marque BPCE sur les publicités des Caisses d’Epargne et des Banques Populaires. « Ce n’est pas un fana du mutualisme, concède Stéphanie Paix. Il a passé la plus grande partie de sa carrière dans la fonction publique, dont le modèle est centralisateur. J’ai passé vingt-sept ans de la mienne dans une banque au modèle décentralisé. Mais il est loyal à son mandat de patron d’un groupe coopératif. » En coulisse, ceux qui guettent sa chute travaillent déjà à sa succession. Pour eux comme pour lui, la semaine qui vient sera sans doute décisive.

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