Le Laboratoire de matériaux et environnement (Lame) de l’université de Ouagadougou a accompli une prouesse scientifique qui risque de révolutionner la façon de mesurer la pluviométrie dans des pays comme le Burkina Faso. Le laboratoire a réussi, à partir de la téléphonie mobile, à mesurer la quantité d’eau de pluie tombée au sol. Cette méthode innovante vient d’être expérimentée par le Pr François Zougmoré et les scientifiques du consortium Rain Cell Africa.
Les méthodes traditionnelles utilisent des pluviomètres, des radars ou des données satellitaires. Ces différents dispositifs ont donné et continuent de donner satisfaction ; mais ils présentent des faiblesses. Pour ce qui est des pluviomètres, l’insuffisance porte surtout sur la capacité de couverture, qui est assez limitée [les mesures sont ponctuelles et il faut de nombreux pluviomètres pour disposer d’informations sur de grandes surfaces]. Pour le radar, c’est le coût qui est prohibitif pour des pays comme le Burkina.
Selon le directeur du Lame, François Zougmoré, le suivi satellitaire des prévisions météorologiques demeure entaché d’incertitudes, notamment aux échelles spatiales et temporelles très fines. En effet, les satellites ne permettent pas d’avoir de données précises sur un territoire donné pendant un temps donné.
Pour pallier ces insuffisances, le Lame a proposé une nouvelle technique utilisant les liaisons de télécommunication de la téléphonie cellulaire commerciale.Le principe est simple. Il s’agit de tirer parti d’une propriété des eaux de pluie bien connue des professionnels de la télécommunication. Selon François Zougmoré, [qui est aussi] le coordinateur de Rain Cell Africa, les gouttes d’eau atténuent le signal radio transmis entre deux antennes.
Deux phénomènes interviennent. D’une part, les gouttes absorbent une fraction de l’énergie véhiculée par les ondes. De l’autre, elles diffusent ces ondes et les détournent de leur trajet initial. Ainsi, lorsqu’il pleut entre deux antennes-relais, l’intensité des signaux reçus chute.
Pour les compagnies de téléphonie mobile, qui doivent connaître en permanence l’état de fonctionnement de leur réseau, mesurer et enregistrer ces perturbations du signal hertzien est une préoccupation majeure. Ces compagnies possèdent ainsi une grande quantité d’informations sur les pluies dans leur pays. Une aubaine pour les études de suivi de la spatialisation [la position de l’espace] des précipitations, en particulier en Afrique.
En termes simples, lorsque le signal télécom est émis entre deux pylônes, il transporte de l’information : lorsqu’il rencontre un nuage de précipitation pluvieuse, il perd en puissance, et c’est la mesure de cette perte de puissance qui est utilisée pour déterminer la quantité d’eau de pluie tombée au sol.
“Pouvoir extraire ces types de données sur des fréquences aussi basses est une première au plan mondial, et nous avons obtenu un résultat très satisfaisant qui a été publié à la mi-juillet dans la revue Geophysical Research Letters [une publication scientifique de référence]. Notre objectif est de pouvoir également exporter cette technique dans des pays voisins”, a précisé le Pr Zougmoré.
Selon lui, le Lame et deux laboratoires de l’Institut français de recherche pour le développement (IRD), le Laboratoire d’étude des transferts en hydrologie et environnement à Grenoble et Géosciences Environnement Toulouse, ont mis au point une technique innovante d’estimation de la hauteur de pluie [la quantité d’eau tombée] et de sa répartition spatiale.
Des données téléphoniques utiles aux scientifiques
Cette prouesse technologique a été possible grâce à la collaboration de la compagnie téléphonique Telecel Faso, qui a accepté de mettre ses données à la disposition des chercheurs. Selon Moumini Sawadogo, ingénieur de transmission à Telecel Faso, les problèmes climatiques concernent tout le monde et il va donc de soi que sa structure collabore avec les scientifiques.
Il est persuadé que l’accompagnement de Telecel Faso va se poursuivre, car les données utilisées ne sont pas des données sensibles qui touchent aux individus, mais des données scientifiques qui vont aider le Burkina dans son effort de développement.
Sur la question de l’utilité d’une telle méthode, le directeur du Lame est convaincu qu’il s’agit d’une découverte importante, surtout pour un pays comme le Burkina, dont 80 % de la population dépend de l’agriculture et de l’élevage.
D’autant que le pays regorge de barrages hydroélectriques et de retenues d’eau. Pour toutes ces questions, il est nécessaire de connaître la quantité d’eau de pluie qui tombe dans le pays, sans oublier les préoccupations liées à la prévention des inondations, aux poches de sécheresse ou aux famines.
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