Dans ses campagnes marketing, l'OM vante souvent la qualité de son public, qualifié de «véritable 12e homme». Ce lundi, jour de la reprise de l'entraînement, le club a appelé en renfort un «13e homme», à savoir la police nationale. En début de matinée, trois fourgons, deux motos et une dizaine d'uniformes ont rejoint l'entrée de la Commanderie, sur les hauteurs de Marseille, bloquant les accès au centre d'entraînement. A l'intérieur, une équipe de la BAC, histoire d'épauler le service de sécurité en cas d'intrusion… de supporters, le fameux 12e homme ! Une réaction vigoureuse à l'appel à manifester lancé sur Facebook le week-end dernier et intitulé «Mouvement anti-Labrune, Commanderie» et ciblant nommément le président de l'OM.
Le club s’est emballé, la vingtaine de contestataires présents ce matin n’ayant rien d’une bande de hooligans. Parmi eux, on a pu noter la présence de Chantal et surtout de Martine, dite «Mamiche», la cinquantaine. Ces membres des Marseille Trop Puissant (MTP), groupe du virage nord du Stade-Vélodrome, ont brandi férocement une pancarte «Labrune, casse-toi. L’OM est à nous.» Les policiers se sont grattés la tête devant ce déferlement de non-violence, puis ont rouvert la route et laissé les rebelles s’approcher de l’entrée de la Commanderie, devenue un bunker depuis l’été 2014 : seul un footing de joueurs par semaine est ouvert au public. Des «Labrune démission» et des chants à la gloire de Marcelo Bielsa, le fantasque entraîneur marseillais absent en ce jour de reprise, ont été entonnés le long des grilles.
Période de flou
Dans la nuit de jeudi à vendredi, les murs en face du centre avaient été tagués : «Ambition zéro», «Labrune, casse-toi», «Rendez nous notre club», «L'OM, c'est nous». Quelques jours plus tôt, l'auteur de ces lignes avait reçu des coups de téléphone énigmatiques de plusieurs membres véhéments des South Winners, groupe important du virage sud du Vélodrome : «On va faire sauter Labrune, son temps est fini. On a le soutien de tout le monde, et notamment du conseil général (sic).»
Cette profonde défiance entre l'état-major actuel du club et ses supporters resurgit à chaque période de flou (série de défaites, clash Bielsa-Labrune, ou mercato morose comme en ce mois de juin). Elle est réellement née le 3 mars 2013, après un énième clasico perdu au Parc des Princes. Le jour d'OM–Troyes (2-1), à l'orée du Vélodrome, une centaine de personnes ont manifesté contre la direction, jeté des objets et craqué des fumigènes, et elle a obligé le bus des joueurs marseillais à prendre un autre chemin pour gagner le stade. Labrune et son entourage n'ont jamais compris ce mouvement, qu'ils ont estimé (à tort) téléguidé par d'anciens dirigeants. Ils ont porté plainte contre X pour «provocations publiques et incitation à la commission de crimes ou délits».
En mars 2014, Adrien, fondateur d'une page intitulée «La révolution commence», a été interpellé avant OM-Rennes (0-1) et auditionné quelques jours plus tard à l'Evêché, l'hôtel de police de Marseille, par un enquêteur de la brigade sports et violence. L'OM avait porté plainte pour «incitation au crime et au délit sur support numérique», mais cela avait été rapidement classé sans suite. «Notre but ultime, c'était d'agiter des mouchoirs blancs au stade, nous confiait-il à l'époque. Il n'y avait aucun message de violence, de haine. On avait juste une banderole "Tous coupables". Au club, certains devraient se regarder dans un miroir pour comprendre pourquoi on en arrive là.»
La gloire ou le désespoir
Les aficionados de l’OM supportent mal que leur club soit rentré dans le rang (un podium de L1 seulement sur les quatre dernières saisons) et vivote dans l’ombre du Paris-SG. La propriétaire, Margarita Louis-Dreyfus, est soupçonnée de radinerie (ce qui est vrai à l’échelle des Qatariens, moins à celle des autres clubs de L1), et Labrune, son homme-lige, est suspecté de n’avoir pas plus de vision qu’un «cost-killer».
Le magicien Bielsa, au style de jeu enthousiasmant et capable d'envoyer bouler son président, permet encore de calmer la majorité des fans. Mais la parenthèse ne durera pas, et les racines de la fronde demeurent. «J'en suis presque à espérer que Bielsa ne prolonge pas, pour qu'on ait enfin une bonne raison de dégager Labrune», assurait Matthieu Franceschi, porte-parole des Winners, mardi dernier. L'OM semble fonctionner ainsi depuis la nuit des temps : la gloire ou le désespoir. Aucun entre-deux n'est acceptable.