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Récit

Le rectorat de Paris recale des élèves admis en section internationale

Des enfants qui avaient réussi le concours d'entrée pour intégrer un collège public international de Paris ont été écartés des listes parce qu'ils vivaient en banlieue.
par Marie Piquemal
publié le 23 juin 2015 à 18h21

Dix-huit familles s’apprêtent à déposer un recours contre le rectorat de Paris, d’autres devraient suivre. Elles se sont épaulées les unes les autres, sûres de leur bon droit. Leurs enfants ont réussi avec brio les examens pour intégrer une section internationale du collège Honoré-de-Balzac, porte de Clichy, dans le nord de Paris. Mais, au dernier moment, le rectorat a changé les règles, décidant finalement de réserver les places… aux seuls Parisiens. Exit les banlieusards, même s’ils habitent à quelques mètres de l’établissement situé tout près du périph.

Ce collège public international – il en existe sept autres dans la capitale –, est en partie désectorisé, c’est-à-dire ouvert à tous les enfants, quels que soient leurs lieux de résidence. Seul critère de sélection pour intégrer l’une des sections internationales : le niveau en langue. Il faut être bilingue. Si elles sont ouvertes à tous, ces sections ont été pensées d’abord pour les enfants qui jonglent avec deux langues maternelles. Soit parce qu’ils ont grandi dans un autre pays, soit parce qu’ils parlent une autre langue avec leur famille. L’idée est de leur permettre de cultiver cette double culture en approfondissant l’apprentissage de leur deuxième langue et viser un bac à option internationale.

«Quel signal donne-t-on en termes de mixité ?»

A Balzac, six langues sont proposées : allemand, anglais, arabe, espagnol, italien et portugais. Toutes les sections ne sont pas pareillement demandées. C'est variable selon les années mais, de manière générale, les sections d'anglais, arabe et espagnol sont les plus prisées. Et donc, pour ces sections-là, le niveau de langue est particulièrement élevé. Depuis vingt ans, la direction de l'établissement procède de la même façon : épreuves écrites et orales, puis le classement en fonction des résultats est transmis au rectorat pour validation. Mais cette année, les services du rectorat ont fait leur marché, ne retenant que les élèves domiciliés à Paris. «On n'a pas compris. Le rectorat a pris cette décision de façon tout à fait arbitraire et qui plus est, au dernier moment, raconte Isabelle Dennieau, la présidente de l'association des parents d'élèves de Balzac. Vous imaginez pour les familles ? On leur dit : votre enfant a réussi mais en fait désolé, vous n'habitez pas du bon côté du périphérique. Et quel signal donne-t-on en termes de mixité ?»

L'élue de parents d'élèves insiste sur ce point : «Ces sections ne sont pas élitistes comme on pourrait le penser. Elles sont très hétérogènes, que ce soit en termes de niveau des élèves, un enfant bilingue n'est pas forcément bon élève par ailleurs, que d'origine sociale : c'est mélangé, certains viennent de milieu populaire.» A Balzac, jusqu'ici, 20% des élèves en section internationale étaient boursiers. La proportion va certainement baisser avec l'éviction des enfants de banlieues. «C'est terrible pour ces familles populaires qui sont toutes très investies dans la scolarité de leurs enfants, et qui croient au public.»

«Si encore elle avait failli à l’examen, mais là…»

La mère de Jassmin, 11 ans, prépare sa fille depuis six ans pour cet examen. Elle est égyptienne, vit à Asnières-sur-Seine, est formatrice en langue arabe dans une association. «On a beaucoup travaillé toutes les deux pour qu'elle soit prête. Le niveau de l'examen est élevé, surtout à l'écrit, il faut savoir rédiger un texte de cinq lignes mais, pour moi, c'était vraiment important qu'elle entre dans ce collège.» La mère attendait impatiemment les résultats. «On devait savoir le 10 juin. Le 15, comme je n'avais toujours pas de réponse, j'ai appelé. Et là, on m'a expliqué que Jassmin avait réussi l'examen mais elle n'était pas admise parce qu'on n'habite pas au bon endroit.» Depuis, elle a dû faire le pied de grue devant le rectorat pour obtenir la lettre de refus… Et pouvoir la contester devant la justice.

Derek Ferguson, un Ecossais vivant en France depuis vingt ans, a lui reçu une lettre écrite du rectorat. Sa fille Alice, avec son 13,5 à l'écrit et 18 à l'oral, a été recalée pour des «raisons de priorité». «Que le rectorat change les règles comme ça, au dernier moment…» Il cherche ses mots, lui qui se dit être tant attaché à la France, sa culture et ses valeurs. «Ce collège pour moi, c'était le modèle d'excellence de la France moderne. Un collège public, avec une idée de mixité sociale et ouvert aux valeurs biculturelles.» Douche froide. Il est allé inscrire Alice au collège du secteur, à Colombes, «parce que je reste attaché au service public», mais ne sait que dire pour la consoler. «Si encore elle avait failli à l'examen, on aurait compris, mais là…»

«Il est normal de tenir compte de la provenance des élèves»

Quelle mouche a donc piqué le rectorat ? Interrogé, le service de communication répond qu'«il y a un gros malentendu», parlant d'abord du cas de Ravel, un autre collège de la capitale où les effectifs de la section internationale ont été divisés par deux en mai, prenant là aussi tout le monde de court : «Il n'y pas du tout une volonté de mettre en difficulté ce dispositif, c'est simplement un problème de places physiques dans le collège : le nombre d'élèves de 6inscrits dans le quartier est en augmentation cette année, le collège doit donc d'abord les accueillir, c'est tout à fait normal». Et concernant le collège Balzac ? «Il n'y a pas de difficultés particulières : les effectifs n'ont pas bougé et les règles du jeu sont les mêmes que les années précédentes.»

Pourquoi ne garder que les enfants parisiens ? « Il est normal de tenir compte de la provenance des élèves, répond le rectorat. Il y a toujours une discussion avec les académies voisines. Vous comprenez, il serait dommage que l'académie de Paris prenne tous ces bons élèves, alors que les académies voisines proposent aussi des classes internationales.»

Pour les parents d’élèves de Balzac, la raison est peut-être à chercher du côté du collège international de Noisy-le-Grand, à 20 km à l'est de Paris, inauguré en grande pompe en septembre par Manuel Valls et Najat Vallaud-Belkacem et qu’il faut désormais remplir (langues proposées : anglais, arabe, chinois et portugais). Mais cet établissement, dans l’Est parisien, est bien moins accessible en transports en commun que Balzac pour les élèves concernés.

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