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ENQUETE : On achève bien les portiques écotaxe

Huit mois après avoir torpillé définitivement les portiques prévus pour la taxe poids lourds par crainte d’un blocus des routiers, le gouvernement prépare leur démantèlement partiel. Mais les prochaines régionales en décembre ne hâtent pas le processus.

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Après avoir procédé au démantèlement des portiques en Bretagne, fin 2013, l’Etat devrait faire de même sur le reste du territoire, à conditions que les collectivités territoriale le demandent.

Par Denis Fainsilber

Publié le 24 juin 2015 à 15:39

Le réseau routier français n’est pas près de se débarrasser des portiques écotaxe, ces rutilants perchoirs à oiseaux qui ont coûté entre 600.000 et un million d’euros pièce, et qui n’ont jamais connu d’autre utilité depuis l’enterrement de la «taxe poids lourds», en octobre dernier. Car le démantèlement de ces carcasses d’aluminium bourrées d’électronique, officiellement à l’ordre du jour, s’annonce décidément aussi confus et laborieux que le fut toute la saga de cette taxe-fantôme, depuis son adoption en 2009.

En théorie, tout roule: le ministère de l’écologie et des transports a bouclé fin avril un appel d’offres portant sur « la dépose, le transport et le stockage des dispositifs déployés pour la mise en place du système écotaxe », et devrait désigner prochainement des prestataires privés pour ce marché complexe, qui nécessitera des engins de levage et des travaux nocturnes. Sur le papier, il s’agit de démonter 160 portiques sur tout le territoire (173 avaient été installés par l’Etat, mais une bonne dizaine, vandalisés en Bretagne et d’autres départements voisins pendant la révolte des « bonnets rouges », sont déjà hors circuit). A cela s’ajoute bien d’autres éléments à remiser, comme les 230 bornes de contrôle automatiques disposées le long des routes secondaires, 986 panneaux, 400 terminaux de paiement carte bancaire, les 718.000 boîtiers électroniques GPS installés dans les camions français ou étrangers, sans oublier le démontage du centre informatique de l’ex-société Ecomouv, installée à Metz (770 serveurs), dont les 190 salariés ont reçu leur lettre de licenciement.

Démontage à la demande

Dans les faits pourtant, l’Etat a choisi de se hâter lentement. Est-ce l’approche des élections régionales, en décembre prochain? Le contrat de démontage s’échelonnera en fait sur deux années pleines, alors que depuis un an déjà, la moitié des portiques étaient déjà voués à la ferraille: en juin 2014, dans une reculade qui ne sera pas la dernière, l’Etat avait considérablement réduit le réseau routier visé par l’écotaxe, le ramenant de 15.000 à 3.800 kilomètres de routes, et mettant hors jeu de ce fait quelque 80 portiques électroniques.

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Surtout, l’exécutif renvoie la balle dans le camp des collectivités territoriales, sur le thème « si vous le souhaitez, on démontera ces installations »... lesquelles sont pourtant généralement placées sur le routier national non concédé. C’est donc peu dire que les départements ne se sentent pas concernés par ce symbole de gabegie. « Tout le monde s’en fiche, les élus n’ont pas envie de remettre le doigt sur des mesures impopulaires », avance Bertrand Pancher, député UDI de la Meuse, qui considère que l’on devrait réutiliser ces portiques pour d’autres usages routiers.

Dans la plupart des régions sondées, grands axes de transit routier comme le Nord, la Moselle, la Drôme ou la Gironde, la réponse est la même: « ce n’est pas de notre ressort, tout est géré par l’Etat et à notre connaissance, le démontage n’a pas commencé », dit-on à l’unisson. Exemple, dans la DIR Nord, qui compte 16 portiques de l’Oise jusqu’au Pas-de-Calais, « il n’est pas question de démontage ». Quant aux possibilités de réemploi, qui avaient été brandies par Ségolène Royal (comptage du trafic, repérage de voitures volées, message météo...), les idées semblent lentes à émerger. « Ces portiques sont des structures trop légères pour recevoir des panneaux à messages variables », regrette par exemple un fonctionnaire dans l’une des directions interdépartementales des routes (DIR), le bras armé de l’Etat en région. En Ile-de-France, région largement pourvue, la DIR se refuse à communiquer, mais certains élus commencent à juger qu’il serait dommage pour la suite de jeter le bébé avec l’eau du bain.

Pérenniser la surtaxe sur le gazole

Politiquement parlant, l’Etat aura bien du mal à boucler quoi que ce soit actuellement avec des régions en fin de bail, dont la plupart ont vocation à changer sensiblement leurs frontières. « Comment discuter du démontage avec des territoires qui n’existent pratiquement plus? On ne va pas prendre des décisions suite à une ouverture de pli, il faut que les nouveaux exécutifs régionaux s’installent, et voir dans quelle escarcelle tomberont les futures redevances », ajoute Bertrand Pancher.

En attendant, le gouvernement est surtout pressé de boucher les trous sur le plan financier, pour pousser ses divers projets d’infrastructures de transport. Et de pérenniser, avec les moyens du bord, les expédients improvisés en octobre. Alain Vidalies, secrétaire d’Etat aux transports (dont les services se retranchent dans un mutisme complet), doit faire son choix prochainement, suite à un groupe de travail ad hoc, dont la dernière réunion se tenait ce mercredi. En toute logique, il devrait reconduire à partir de janvier 2016 la surtaxation du carburant de 4 centimes par litre: à l’automne dernier, il avait été décidé, d’une part, d’alourdir de deux centimes la fiscalité du gazole (TICPE) pour les camions comme pour les automobiles et, d’autre part, d’annuler «exceptionnellement» une exonération de deux centimes par litre accordée aux professionnels de la route. Une double hausse « de substitution » qui permettait de renflouer à hauteur de 330 millions d’euros le budget de l’Agence de financement des infrastructures de transport (AFITF). Celle-ci, faute de voir la couleur de la taxe camions éternellement repoussée pendant deux ans, commençait à vivre à crédit et accumulait les retards de paiement vis-à-vis de RFF, le gestionnaire des infrastructures ferrées, selon son président, le député Philippe Duron. Avantage de la reconduction des +4 centimes: être relativement invisible pour les usagers. Inconvénient notoire : les semi-remorques étrangers qui traversent la France sans ravitailler peuvent aisément échapper à cette surtaxe, alors qu’ils participent comme les autres à la dégradation du réseau national (un camion équivaut au passage de 1.000 voitures).

L’Alsace maintient son dispositif

Autre solution examinée récemment, mais défendue par le seul syndicat professionnel OTRE: une « vignette dématérialisée » pour les poids lourds de plus de 7,5 tonnes, qui frapperait plus équitablement les véhicules étrangers que la surtaxe de 4 centimes. Mais comme son nom de l’indique pas, ce droit d’usage impliquait « non seulement de garder les portiques écotaxe, mais même d’étoffer leur parc, puisqu’elle s’appliquerait non plus sur 15.000 kilomètres de réseau, mais sur la totalité», selon Nicolas Paulissen, délégué général de la FNTR. Il aurait en outre fallu créer une nouvelle structure ad hoc, réminiscence d’Ecomouv’, pour une facture de 50 millions, selon lui. On comprend que le gouvernement n’ait pas été très inspiré à l’idée de se lancer sur cette route...

Condamnées au niveau national, les potences d’aluminium, livrées par le groupe nantais Lacroix Signalisation pour 15,2 millions d’euros, semblent pourtant bien parties pour survivre sous forme de réminiscences régionales. En Alsace, les élus se battent en ce sens, non sans résultat. « Les six portiques installés en Alsace ne seront pas démontés, c’est décidé. François Hollande, en visite à Strasbourg fin avril, nous l’a confirmé », relate Eric Straumann, le nouveau président du conseil départemental du Haut-Rhin (Les Républicains), qui veut mettre fin au sempiternel problème local: les camions étrangers qui sillonnent depuis 2005 le corridor alsacien,pour couper à la taxe côté allemand. « Nous avons 1.500 poids lourds par jour sur nos routes et ça progresse sans cesse, posant des pros problèmes locaux, comme autour de l’aéroport de Bâle-Mulhouse», fulmine l’élu.

Utiliser l’allemand Toll Collect

Son idée depuis l’euthanasie d’Ecomouv? S’appuyer pour la facturation sur le système allemand Toll Collect, marginalement détenu par le français Cofiroute (Vinci), et désormais bien connu des flottes. « Même les camions lituaniens sont forcément équipés de ce système », justifie-t-il. Pourtant, bénédiction de l’Elysée ou non, la feuille de route tarde: les réunions avec l’Etat sont reportées régulièrement, et aucun courrier officiel n’a encore scellé cette exception régionale, reconnaît Eric Straumann. Une exception décisive, car d’autres régions comme la Lorraine ou Champagne-Ardenne pourraient suivre le chemin du « non-démontage », conformément à la future carte des « super-régions », qui se profile pour 2016.

Justifiée ou non, cette entorse à la mise sous cocon des mouchards électroniques fait des vaguelettes, jusqu’à l’autre bout de la France. L’idée même d’une écotaxe régionale, récemment confirmée par Ségolène Royal? « C’est un mauvais coup pour l’économie bretonne, car même si la région Bretagne refusait de voter cette nouvelle taxe, les transporteurs bretons risquent d’y être assujettis dans les autres régions de France », osait récemment Marc Le Fur, député (Les Républicains) des Côtes d’Armor. Plus sérieusement, « l’idée même de voir réapparaître une écotaxe régionale est inacceptable. Cela va créer des distorsions de concurrence entre régions », selon Nicolas Paulissen de la FNTR. «Sur le fond, la meilleure solution était l’écotaxe, mais personne n’en a voulu... » Pas facile de trouver le bon régime fiscal, alors qu’en France, le transport routier de marchandises « pèse » 37.700 entreprises et fait vivre 396.000 salariés, constamment soumis au dumping de leurs concurrents d’Europe de l’Est...

Loin de ces tergiversations, le système allemand de taxation des poids lourds, instauré dès 2005, monte lui en régime. Et répond bien au double objectif énoncé en vain par les gouvernements Ayrault, puis Valls: reporter le prix de l’entretien des routes du contribuable vers les gros utilisateurs, et favoriser in fine un usage plus rationnel du réseau routier. C’est ainsi que la « LKW Maut » sera appliquée à compter du 1er juillet à 1.100 kilomètres de routes supplémentaires, puis sera réclamée à l’automne aux camions dès 7,5 tonnes, contre 12 tonnes et plus jusqu’ici. Même si le système a connu une gestation très difficile dans le passé, pas de manifestations type « bonnets rouges» en vue outre-Rhin... L’Allemagne n’est d’ailleurs pas un cas isolé, puisque la Suisse, l’Autriche ou la République tchèque s’inspirent des mêmes dispositifs « pollueur-payeur».

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160 portiques sur le territoire

En France, les inégalités régionales devenaient tellement criantes à la fin que l’on a peut-être bien fait de tout arrêter: « dans la dernière version gouvernementale, le seul département de l’Allier, avec ses deux axes de circulation (N7 et N79) était autant écotaxé que les quatre grandes régions du sud, PACA, Languedoc-Roussillon, Midi-Pyrénées plus Aquitaine! », s’indigne le dirigeant de la FNTR, «ce qui pénalise évidemment les transporteurs locaux».

On saura donc d’ici quelques mois quelle part des 160 portiques sera finalement démontée, laissant augurer d’une ardoise supplémentaire de 7 millions d’euros au maximum pour l’Etat. L’épaisseur du trait par rapport aux 800 millions déjà engagés pour la rupture du contrat avec la société Ecomouv’, et par rapport au trou financier imposé à l’AFITF, qui heureusement pour elle, vit aussi des redevances domaniales ou du plantureux produit des radars routiers.

Le danger, finalement, serait surtout de prendre une mesure à contre-temps. « Avant de démonter, on aurait dû se poser la question de la stratégie, tranche le député Bertrand Pancher. Le modèle de transport de demain, c’est de faire financer les usagers, et moins les contribuables. Cette solution des portiques, elle va forcément revenir: la vérité, c’est que si l’on veut arriver à 800 millions ou un milliard de recettes par an, on aura à terme les deux formules: la pérennisation de la surtaxe et le système des péages. Surtout si l’on remet dans la corbeille des projets pharaoniques comme la ligne Lyon-Turin ou le canal seine-Nord».

Loin de ces débats, le secrétaire d’Etat aux transports Alain Vidalies a déjà fixé le prix qu’il compte tirer des multiples lasers, caméras et récepteurs radio « état neuf, jamais servi » qu’il compte mettre bientôt à l’encan: 50 millions d’euros si tout va bien. Un raisonnement de bon père de famille ou de pro du vide-grenier, c’est selon.

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