En Grèce : « Ce vote est un espoir pour d’autres pays d’Europe »

En Grèce : « Ce vote est un espoir pour d’autres pays d’Europe »

Large victoire du « non » en Grèce ce dimanche. Rue89 a passé cette journée de référendum à Athènes, avec Dionysos et Dimitris, deux voisins qui ont fait des choix opposés.

Par ismaa_l_mereghetti
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« OXI ! » - Baudry

(D’Athènes) Rue89 a passé cette journée de référendum avec Dionysos, chef de projet dans une entreprise de piscines, et Dimitris, professeur d’université : ils vivent l’un en face de l’autre mais ont fait des choix opposés. Dans le pays, le « non » l’a largement emporté.

1Dionysos : « J’ai l’impression que nous allons devenir un pays vraiment pauvre »

 

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21 heures (heure d’Athènes). L’écart semble se creuser entre le camp du « oui » et celui du « non ». Les sondages parlent maintenant d’une victoire du « non », soutenu par le gouvernement, à près de 60%.

Ce qui préoccupe Dionysos ce dimanche soir, c’est la réaction des Européens :

« Comment vont-ils recevoir notre message ? Parce que la position du gouvernement Syriza n’est pas simple : ils rejettent les créanciers mais veulent rester dans la zone euro. Donc, c’est quitte ou double pour nous. Soit cela permet réellement de négocier un meilleur accord mais les banques sont asphyxiées et le gouvernement est pris à la gorge pour négocier. Soit en face à Bruxelles, ils n’acceptent pas le vote et dans ce cas-là, on peut dire au revoir à l’Europe ! »

L’ingénieur a conscience qu’il n’est pas le plus à plaindre en Grèce. Son salaire a certes été diminué de 30% en moyenne mais il n’a contracté aucun crédit à la banque. Seulement, il réfléchit davantage à ses dépenses et n’a plus vraiment de quoi se payer de loisirs. Le seuil de pauvreté est encore loin.

Malgré tout, il redoute de voir l’économie du pays se dégrader encore.

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« Des entreprises internationales comme la mienne risquent de prendre peur et vont vouloir minimiser les risques et préserver leur capital. Peut-être qu’ils vont en profiter pour faire pression sur les salaires à nouveau ? J’ai l’impression que nous allons devenir un pays vraiment pauvre... »

« L’heure est grave »

19 heures. Les bureaux de vote ont fermé, les premières estimations commencent à tomber. Le « non » serait en tête de quelques points. 52/48 en moyenne selon les instituts de sondage.

Dionysos, juillet 2015,  Athnes
Dionysos, juillet 2015, à Athènes - Ismaël Mereghetti/Rue89

« Qu’est-ce qu’il va se passer maintenant ? » demande Dionysos.

« Il n’y a plus d’argent dans les caisses. Est-ce que les banques vont rouvrir ? »

Au-delà des craintes pour la vie quotidienne des prochains jours, Dionysos a un souhait pour son pays, quel que soit le résultat définitif de ce dimanche soir : un gouvernement d’union nationale.

« L’heure est grave, nous n’avons plus vraiment le temps de faire la politique. Le parti To Potami [parti de centre-gauche, quatrième aux élections de janvier denier avec 6% des suffrages, ndlr] a proposé de former une grande coalition, c’est une bonne idée je trouve. Il faut s’unir, parce que Syriza ne semble pas savoir où aller. La preuve, ils ont fait un référendum pour demander l’avis du peuple. »

17 heures. Dionysos entreprend de répondre aux questions posées par les riverains dans les commentaires.

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« Ce référendum est un piège »

14 heures. Dionysos vote dans une école primaire, là même où il s’était rendu en janvier dernier, à dix minutes de chez lui. Une chance dans un pays où beaucoup d’électeurs doivent traverser le territoire, prendre le train, le bateau, pour rejoindre leur île natale et glisser un bulletin dans l’urne.

Dionysos, juillet 2015,  Athnes
Dionysos, juillet 2015, à Athènes - Ismaël Mereghetti/Rue89

Le bureau de vote n’est pas plein. « Les gens sont moins passionnés qu’avant », note le père de famille.

« Il y a dix ans, tous les partis politiques étaient présents, débattaient dehors, s’écharpaient. Ça a changé, comme si les Grecs n’y croyaient plus... »

Dionysos a coché la case « nai » (oui) mais il l’avoue, sans grand enthousiasme :

« Ce référendum est un piège. C’est un coup politique du gouvernement, Tsipras a voulu se couvrir en demandant au peuple son avis. En réalité ce devrait être aux députés de trancher ce genre de questions techniques. »
Dionysos, juillet 2015,  Athnes
Dionysos, juillet 2015, à Athènes - Ismaël Mereghetti/Rue89

Pour l’ingénieur, l’intitulé de la question posée est trop complexe. Voici ce que les Grecs ont pu lire sur leur bulletin :

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« Faut-il accepter le plan d’accord soumis par la Commission européenne, la Banque centrale européenne (BCE) et le Fonds monétaire international (FMI) lors de l’Eurogroupe du 25 juin, qui est composé de deux parties : réformes pour l’achèvement du programme en cours et au-delà et analyse préliminaire de la soutenabilité de la dette ? »

« Le cœur crie “non” mais la tête dit “oui” »

10 heures. Dionysos Bougatsos a longtemps hésité sur le choix qu’il allait faire dans l’isoloir ce dimanche. Sa famille, traditionnellement de droite, a pourtant voté Syriza en janvier dernier, portée par l’espoir de voir le pays changer. Lui n’avait pas franchi le pas même s’il reconnaît qu’Alexis Tsipras « tente de redonner de la dignité au peuple grec ».

Pour cet ingénieur de 52 ans, chef de projet dans une entreprise de piscines, le gouvernement n’est pas à la hauteur de la situation :

« En cinq mois, rien n’a changé. Beaucoup de promesses avaient été faites mais depuis l’élection, les vrais problèmes n’ont pas été abordés. La fraude fiscale et la corruption par exemple ravagent toujours le pays. J’ai l’impression que Syriza n’a aucun programme. Voter “non” d’accord, mais pour quoi à la place ? »
Dionysos, juillet 2015,  Athnes
Dionysos, juillet 2015, à Athènes - Ismaël Mereghetti/Rue89

Dionysos a décidé de cocher la case « nai » (« oui ») sur son bulletin de vote. Une manière pour lui de montrer que les Grecs sont prêts à faire des réformes :

« Nous ne pourrons pas nous en sortir tout seuls, la Grèce a besoin d’investissements européens. Quitter la zone euro, ce serait suicidaire ! »

L’austérité et la crise que traverse le pays, Dionysos, qui réside dans un quartier aisé en périphérie d’Athènes avec sa femme archéologue et ses deux enfants, ne les ignore pas. Il avoue même que son pays n’est pas loin de l’impasse :

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« Les créanciers nous mettent une pression démesurée, et ils ne nous traitent pas d’égal à égal. Ils ne pensent qu’à la dette. »

Malgré tout, voter « oui » lui semble vital :

« C’est une question de survie. Personne n’est capable de prédire les conséquences d’une victoire du “non”. J’ai bien conscience que la situation ne s’améliorera pas vraiment en votant “oui” et que des années difficiles nous attendent. Mais au moins, nous savons à quoi nous en tenir. La crise, on a l’habitude ! Choisir le “non” au contraire, c’est prendre le risque de détruire la Grèce. Mieux vaut aller vers ce que l’on connaît... »

2Dimitris : « Il faut relever la tête ! »

 

21 heures (heure d’Athènes). « C’est un miracle ce résultat ! Vingt points d’écart alors que les banques sont restées fermées toute la semaine et que tous les moyens de propagande ont été utilisés pour faire peur aux Grecs... »

Dimitris reste scotché devant la télévision, comme pour se convaincre que le score est bien réel.

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« 60/40, ça donne de l’espoir pour la suite ! Nous allons enfin pouvoir parler de la dette et demander de la renégocier. Après tout, les Allemands ont bien vu toute leur ardoise effacée après la Seconde Guerre mondiale, pourquoi pas nous ? »
Dimitris, juillet 2015,  Athnes
Dimitris, juillet 2015, à Athènes - Ismaël Mereghetti/Rue89

Si le professeur d’université ne semble pas inquiet quant à l’avenir très proche du pays et ne doute pas de la réouverture des banques, il accorde en revanche une grande importance à l’exemple donné par les Grecs aujourd’hui :

« Ce vote est un espoir pour tous les pays d’Europe du Sud, handicapés par des dettes. Il faut relever la tête ! Et plus largement, peut-être que ce dimanche historique en Grèce va pousser d’autres peuples à demander des référendums pour faire entendre leurs voix. Je suis sûr que les Français vont suivre le mouvement ! »

« Il ne fallait pas la perdre cette bataille ! »

19 heures. La télévision hurle les premières estimations. Le volume semble au maximum.

Estimations,  la tl grecque
Estimations, à la télé grecque - Ismaël Mereghetti/Rue89

Dimitris le professeur commence à retrouver le sourire. L’heure n’est pas encore aux questionnements sur la suite des événements, on savoure plutôt ce début de victoire.

« Il ne fallait pas la perdre cette bataille ! La gauche va peut-être enfin pouvoir mettre ses idées en œuvre. Espérons que ce “non” lui permette d’avoir une vraie marge de manœuvre. Une nouvelle ère va s’ouvrir, j’en suis sûr. Nous avons montré que nous pouvions résister à la pression des élites européennes. Je suis fier d’être grec ! »

17 heures. Dimitris entreprend de répondre aux questions posées par les riverains dans les commentaires.

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« Je suis très fier d’avoir voté “non” »

14 heures. Peu importe la formulation de la question du référendum, jugée trop alambiquée par son voisin. Ce qui compte au contraire, selon Dimitris, c’est la portée symbolique que revêt la consultation populaire :

« Je suis très fier d’avoir voté “non” car je considère avoir fait un acte de résistance. Dans notre histoire, plusieurs Etats européens ont tenté d’occuper la Grèce militairement. Avec les créanciers, il s’agit d’une nouvelle forme d’occupation, économique. Ils nous ont soumis, il faut le dire ! Mais nous sommes un peuple fier, nous ne baissons jamais la tête. »

Le professeur d’université, qu’on devine d’ordinaire plus rugueux, a la voix tremblante, chargée d’émotion. Il n’hésite pas à parler de jour historique pour son pays :

« Si les Grecs ne disent pas “non”, les drames vont continuer. Nous avons l’occasion de faire entendre une autre voix et de montrer l’exemple en Europe... il faut que cette tragédie cesse. »

« C’est à nous de dire “non” aujourd’hui »

10 heures. Dimitris Georgoulis, 70 ans, le voisin d’en face de Dionysos, crie haut et fort son soutien au camp du « oxi », du « non ». Une évidence pour ce professeur d’université, spécialisé en urbanisme, toujours pas à la retraite.

« J’ai perdu 55% de mon salaire, donc je continue à travailler pour joindre les deux bouts. »

Lui non plus ne souhaite pas sortir de la zone euro, mais considère que continuer dans la voie de l’austérité est une mort à petit feu :

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« Leurs solutions ne fonctionnent pas. En cinq ans, le chômage a atteint des taux dignes de la Seconde Guerre mondiale. La dette a explosé. Je ne sais pas à quoi jouent les créanciers, mais je pense qu’ils ont d’autres intérêts que de nous voir sortir de la crise. »

Dimitris a deux fils, l’un avocat et l’autre médecin, Ernesto, qui s’est exilé en France.

« La Grèce se vide de ses cerveaux. C’est une douleur et pour le pays et pour ces jeunes qui se retrouvent déracinés et n’ont qu’une envie, rester là. Ce référendum peut changer la vie de nos enfants. »

Electeur de gauche, il défend le bilan des premiers mois de Syriza au pouvoir :

« Ils ont fait passer des mesures pour aider les plus démunis, comme l’échelonnement des remboursements de prêts pour les ménages endettés. Les frais médicaux ont aussi été diminués. Malheureusement, dès qu’ils commencent à s’attaquer aux riches, les créanciers leur barrent la route. Tsipras a voulu obliger les grands groupes de télévision privés à payer leur licence de diffusion, dont ils se passent depuis quinze ans. Il n’a pas pu, la Troïka a dit “non” ! C’est à nous de dire “non” aujourd’hui... »
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