Le peuple vs les élites, acte I
Le vote grec est intervenu dans un climat nouveau de défiance envers la politique.
Par Cécile Cornudet
Marine Le Pen se réjouit d'un « "non" de liberté, de rébellion face aux diktats européens » ; Jean-Luc Mélenchon fête le « non » place de la République; les deux tentent de faire du moment l'acte I d'une révolution citoyenne contre les partis politiques. Le référendum grec ne ressemble pas aux votes hostiles du passé que l'Union européenne avait su contourner ("non" danois de 1992, "non" français de 2005, "non" irlandais de 2008), il intervient dans un climat politique radicalement différent, populiste diront les uns, de rejet des élites diront les autres.
Quoi de mieux que ce bras de fer entre une Union européenne tétanisée et un peuple grec à bout de souffle ? Pour ceux qui rêvent en France de détrôner les partis de gouvernement - Front national, Front de gauche, gauche du PS -, le succès d'Aléxis Tsípras est aussi le leur. Il montre combien est intenable le décalage entre le peuple et ses élites. « Le dogme et l'idéologie ont changé de camp, affirme Jean-Luc Mélenchon, nous avons abandonné notre catéchisme marxiste des années 1970 et, pendant ce temps-là, ce sont les autres qui ont changé. Le discours pro-européen est sans nuance, aveuglé dans la doxa ordo-libéraliste. » Les citoyens grecs se sont réveillés, les citoyens français le feront aussi, en conclut-il.
L'Union européenne, elle aussi, est percutée par ce vent citoyen. Avec le résultat grec, « l'Europe entière découvre cette semaine que deux souverainetés s'affrontent : une souveraineté consensuelle et élitaire d'un côté, une souveraineté populaire et davantage conflictuelle de l'autre », remarque le politologue Gaël Brustier (Slate). L'UE ne s'est pas construite en associant les peuples, rappelle-t-il, et « la crise a renforcé et révélé les traits autoritaires du processus d'intégration ». Plus le consentement des citoyens fait défaut, plus « les solutions autoritaires sont vouées à se multiplier », ajoute-t-il. Lorsqu'elles réfléchissent aux moyens d'éviter les crises à venir, les grandes voix européennes répondent essentiellement, en France, par plus d'intégration. Jacques Attali prône « l'union fiscale et budgétaire », Alain Juppé estime qu' « on ne peut faire fonctionner une monnaie unique sans un véritable gouvernement économique, capable de prendre des décisions rapides et d'organiser la convergence des économies de la zone ». Européens et eurosceptiques, deux logiques, «deux mondes qui ne se comprennent plus », dit Jean-Luc Mélenchon.
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Cécile Cornudet