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Areva connaissait de longue date les anomalies de l’EPR de Flamanville

L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) n’a été prévenue qu’en 2015 des graves défauts sur la cuve du réacteur. L’entreprise nie toute dissimulation.

Par  et

Publié le 07 juillet 2015 à 21h46, modifié le 08 juillet 2015 à 12h19

Temps de Lecture 4 min.

Le chantier de l'EPR de Flamanville en avril 2014.

Areva a-t-il sciemment dissimulé – dès 2007 – les malfaçons dans la cuve de son réacteur EPR de troisième génération en chantier à Flamanville (Manche), qui n’ont finalement été communiquées à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) en février 2015, puis rendues publiques deux mois plus tard ? La question se pose à la lecture de la « fiche technique » de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) révélée par Le Canard enchaîné du 8 juillet.

Ce document de 32 pages, auquel Le Monde a eu accès, a été adressé le 3 avril au président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), Pierre-Franck Chevet, qui a décidé d’en rendre les conclusions publiques quatre jours plus tard. Le gendarme du nucléaire avait alors fait état d’une « anomalie de la composition de l’acier » de la cuve, que M. Chevet avait jugée « sérieuse, voire très sérieuse » puisqu’elle touche au cœur même de la centrale où se produit la réaction nucléaire.

La note de l’IRSN évoque les « analyses chimiques effectuées au cours de la fabrication » du couvercle de la cuve, en septembre 2006, date à laquelle cette coiffe métallique a été forgée à l’usine Areva du Creusot (Saône-et-Loire). Or, les résultats de ces tests « avaient montré d’importantes ségrégations majeures positives au centre de la calotte de couvercle du réacteur », indique l’Institut. En clair, une teneur excessive en carbone qui réduit la résistance de l’acier à la propagation de fissures. Ces anomalies, poursuit-il, « n’avaient pas conduit alors à s’interroger sur l’origine et les conséquences potentielles de cette ségrégation ».

« Un manque de surveillance ? De vigilance ? »

Durant toute cette période, l’IRSN et l’ASN n’ont visiblement pas été mis au courant de ces graves défauts. « Nous n’avons été informés qu’en 2015, par une note d’Areva datant de 2010. Nous ne savions absolument rien avant », indique Sylvie Cadet-Mercier, directrice des systèmes nouveaux réacteurs et démarches de sûreté à l’IRSN, qui a rédigé le document. Quant au fait qu’Areva ne se soit pas préoccupé de ces défauts dès qu’ils ont été repérés, Mme Cadet-Mercier s’interroge sur « un manque de surveillance et de vigilance » du groupe nucléaire.

De son côté, le directeur des équipements sous pression nucléaires de l’ASN, Rémy Catteau, indique que l’ASN a reçu en 2010 « les premiers documents de qualification technique de la cuve ». Mais ils ne portaient pas sur la partie centrale des calottes qui pose précisément un problème aujourd’hui. De nouveaux examens ont donc été demandés à Areva sur cette zone centrale : ils ont révélé « une concentration de carbone beaucoup plus importante que prévu et des propriétés mécaniques dégradées », mais n’ont été communiqués à l’Autorité de sûreté que « fin 2014 ». « A posteriori, se pose la question de la culture de sûreté d’Areva », estime M. Catteau.

Pour sa défense, Areva ne pourra pas s’abriter derrière le durcissement en 2005 – au nom de la sûreté – des normes techniques sur les équipements sous pression nucléaires comme la cuve de l’EPR, qui est soumise à d’énormes pressions et à de violents chocs thermiques. Même avec l’ancienne réglementation remontant à 1974, la cuve aurait été recalée. « L’anomalie, si elle avait été détectée à l’époque [de la précédente réglementation], aurait été qualifiée et traitée de la même manière qu’aujourd’hui, c’est-à-dire comme une anomalie sérieuse, voire très sérieuse », affirme le président de l’ASN.

Areva n’exclut pas un défaut dans le contrôle qualité

En matière de résilience d’un matériau (capacité à absorber de l’énergie sous l’effet d’un choc et à ne pas se fissurer), les règles de sûreté ont peu évolué : exprimée en joules, la limite a été portée de 56 à 60, alors que les plus basses valeurs mesurées sur la cuve de l’EPR de Flamanville sont de seulement 36, très en dessous des seuils tolérés avant et après 2005.

Chez Areva, on indique que ce n’est qu’en 2012 que l’ASN a réclamé des tests de résilience et de teneur en carbone de la cuve. « Leurs résultats lui ont été communiqués dès la fin des analyses », souligne son porte-parole. En revanche, les tests effectués en 2006-2007 sur les copeaux de métal de la pièce forgée, qui n’étaient « pas une zone à risque où les caractéristiques du métal étaient systématiquement mesurées », n’avaient qu’un but : « vérifier l’orientation de la pièce [le haut et le bas] dans le lingot d’acier ».

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Toutefois, Areva indique qu’il avait quand même transmis à l’ASN, en 2008, puis en 2009, ses résultats sur l’excessive teneur en carbone de ces copeaux d’acier, mais parmi d’autres données. A l’époque, ce n’était pas une priorité, les tests ayant d’autres objectifs. « A la question de savoir s’il y a eu dissimulation, la réponse est catégoriquement non », conclut le porte-parole. Cependant, Areva n’a pas, à l’époque, pointé du doigt ce défaut sur un équipement ultra-sensible.

Mais Areva n’exclut pas un défaut dans le contrôle qualité et ses dirigeants ont lancé une revue interne et commandé un audit externe des usines du Creusot et de Châlon Saint-Marcel, en Saône-et-Loire, à un expert indépendant, la société franco-britannique Lloyd’s Register Apave Limited.

Pour Denis Baupin, vice-président (Europe Ecologie-Les Verts) de l’Assemblée nationale, « l’enquête administrative que j’avais demandée à Ségolène Royal [ministre de l’écologie] s’impose plus que jamais ». Il souligne que « toute la lumière doit être faite sur les erreurs ayant conduit à la fabrication d’une cuve défectueuse, et peut-être plus grave encore, sur l’absence d’alerte sur les défauts constatés ».

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