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A la barre

Le journal «la Nouvelle République» condamné pour harcèlement sexuel

Le quotidien d'Indre-et-Loire vient d'être condamné aux prud'hommes pour harcèlement sexuel dit «environnemental». Une première depuis la redéfinition de ce délit en 2012.
par Juliette Deborde
publié le 9 juillet 2015 à 18h36

Photos de femmes nues affichées sur les murs de la rédaction, fond d'écrans porno, insultes dégradantes visant des collègues : le quotidien la Nouvelle République du Centre Ouest a été condamné le 1er juillet en première instance par le conseil de prud'hommes de Tours pour harcèlement sexuel. Non pas pour des agissements à caractère sexuel visant personnellement une journaliste, mais pour l'ambiance sexiste et misogyne régnant dans la rédaction, rapporte un communiqué de l'association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT), repéré par le site collaboratif local la Rotative.

A l'origine de la plainte, une ex-salariée de la Nouvelle République, depuis licenciée, qui a été directement témoin en 2012 de propos et de comportements plus que déplacés de la part de trois collègues masculins. Le communiqué de l'association détaille, citations à l'appui, les commentaires graveleux que doit supporter au quotidien la journaliste. Ces propos ne s'adressent pas directement à elle. Ils sont échangés entre ses collègues, qui se surnomment mutuellement «petite bite» ou «mes couilles» et «miment bruyamment» des actes sexuels. Ils visent aussi d'autres confrères, comme cette femme, qui se fait traiter de «salope» et de «chaudasse» parce qu'elle collabore à un magazine féminin sur la sexualité. «Des photos légendées, détournées de leur contexte et ayant un caractère sexuel ou obscène sont également affichées au sein de la rédaction sportive», note également l'association, qui a défendu la journaliste.

Avant de porter l'affaire devant les prud'hommes, cette dernière a tout essayé. Le 22 novembre 2012, elle alerte son employeur, sans succès. Trois jours plus tard, à l'occasion de la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, elle affiche dans la rédaction une campagne contre le harcèlement sexuel, finalement arrachée par les principaux concernés. On lui reproche «de manquer d'humour, et de ne pas comprendre que les gens ont besoin de se lâcher».

Quelques mois plus tard, elle saisit le Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). L'expertise, confiée à un cabinet privé, est accablante : «Nous sommes en mesure d'affirmer que la gravité de la situation est largement sous-estimée par les personnes dont la mission est pourtant de prévenir les risques professionnels quels qu'ils soient», peut-on lire dans le document, cité par l'AVFT. L'article L1153-5 du Code du travail pose en effet l'obligation pour l'employeur «de prévenir les faits de harcèlement sexuel, d'y mettre un terme et de les sanctionner» - par exemple par un licenciement pour faute grave.

Une décision judiciaire inédite

La Nouvelle République a finalement été condamnée à verser à la plaignante 16 mois de salaire (alors qu'elle était en poste depuis 1989) et 10 000 euros de dommages et intérêts pour harcèlement moral et sexuel. Une première. «On n'a jamais vu de jugement de conseil de prud'hommes ou de Cour d'appel s'autorisant à définir le harcèlement sexuel de cette manière-là», c'est-à-dire sans que la salariée ne soit directement la cible des agissements, analyse Marilyn Baldeck, déléguée générale de l'AVFT. Le quotidien local pourrait faire appel.

Rares sont les personnes qui portent plainte, et de toute façon, jusqu'ici, la justice ne leur avait jamais donné raison. «Elle assimile souvent cela à des ambiances grivoises, gauloises, et considère que ça ne relève ni du droit du travail ni du droit pénal, explique Marilyn Baldeck. On répond aux femmes qu'il faut bien que les équipes se soudent, que c'est aux femmes, quand elles travaillent dans des milieux à dominante masculine, de s'adapter à la culture des hommes, et non pas aux hommes de revoir leurs standards.» Les agissements pour lesquels la Nouvelle République a été condamnée n'ont d'ailleurs pas été contestés, ni par les salariés concernés, ni par l'entreprise, ce qui pour Marilyn Baldeck, «révèle un fort degré de sentiment d'impunité».

Depuis 2012, le Code du travail, ainsi que le Code pénal, condamnent pourtant le harcèlement sexuel dit «environnemental». L'article L1153 alinéa 1 du Code du travail définit en effet le harcèlement sexuel comme «des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à [la dignité de la salariée] en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à [l'encontre de la salariée] une situation intimidante, hostile ou offensante».

La journaliste de 47 ans, licenciée pour inaptitude en 2014, est au chômage, et doit désormais, note l'association, d'«envisager une reconversion professionnelle».

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