Dans quelques jours, la famille Casartelli fera, comme tous les ans en juillet, le déplacement pour une cérémonie autour de la stèle au bord de la route dans le col de Portet d’Aspet, dans les Pyrénées. Erigée en mémoire de Fabio Casartelli, un jeune Italien qui trouva la mort à 26 ans en faisant son métier de coureur cycliste. Un corps immobile, recroquevillé, du sang sur le bitume.

Le cyclisme, un sport dangereux

Ces images ont traumatisé des générations de cyclistes et d’amateurs de vélo. Jean-Paul Ollivier parle de ce 18 juillet 1995 comme le pire jour de sa carrière de suiveur. « Je m’en souviens comme si c’était hier », explique celui qui a commenté quarante ans le Tour de France à la télévision. « Chaque fois que la course repasse là, c’est l’occasion de rappeler que le vélo est un sport très dangereux ».

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Mais la montagne n’est pas seule en cause. Il suffit de revoir les images de la chute spectaculaire du lundi 6 juillet 2015 sur la route de Huy pour s’en convaincre. Dans un faux plat descendant, où les hommes roulaient à 80 km/h, le Français William Bonnet a chuté, entraînant avec lui une vingtaine de coureurs dont certains ont dû abandonner, à commencer par le responsable de l’accident.

La chute groupée à haute vitesse, une hantise

« Quand on a vu que la direction neutralisait la course, ce qui est rarissime, on a craint le pire, j’ai eu très peur et quand je suis remonté sur le vélo. J’avais, comme beaucoup, les jambes coupées », confesse Thibaut Pinot, son coéquipier dans l’équipe FDJ. Thibaut Pinot est tombé lui aussi le 8 juillet 2015 dans l’étape du Havre, heureusement sans dommage, contrairement au sprinteur Nacer Bouhanni, qui a dû abandonner sur chute.

La chute groupée à haute vitesse est la hantise de beaucoup de vieux routiers, qui revivent de mauvais souvenirs à chaque carambolage massif. « Chaque fois la même image revient », explique Pierrick Fédrigo, 36 ans, un des doyens du peloton. « On entend un grand cri puis on voit une montagne de vélos monter devant soi et on sait qu’on va foncer dedans. »

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Les chocs sont d’autant plus violents quand la course est importante. Sur le Tour de France, les cris d’avertissement des coureurs à l’avant sont couverts par les bruits de l’hélicoptère ou du public.

Retrouver la confiance pour remonter en selle

De moins en moins tabou, le sujet a aujourd’hui quitté le secret des soirées d’hôtel et les directeurs sportifs en ont fait un axe de travail officiel. Ainsi, à l’issue de la terrible chute de Domenico Pozzovivo au Tour d’Italie, son équipe AG2R a mis en place un dispositif de soutien psychologique, qui a d’autant mieux fonctionné que le coureur a subi une perte de connaissance et ne se souvient plus de rien.

Ce n’est pas le cas d’Arnold Jeannesson, traumatisé par une chute violente en course début mai, et qui a renoncé au Tour de France parce qu’il avait peur de rouler dans un peloton nerveux. « Il va falloir que je retrouve de la confiance si je veux continuer ce métier », dit-il.

Thibaut Pinot évoque souvent cette appréhension qui l’envahit parfois au moment de basculer dans une zone très rapide. Il a pris des cours de pilotage sur un circuit automobile pour s’habituer aux trajectoires, mais ne sera jamais un risque-tout, à l’instar de beaucoup de grimpeurs qui préfèrent monter que… descendre.

Beaucoup de têtes brûlées dans le peloton

C’est le cas des Colombiens en général et de Nairo Quintana en particulier, l’un des quatre favoris de ce Tour 2015. Il avait perdu le Tour d’Espagne après une chute en descente dans un contre-la-montre.

En son temps, les jambes d’Andy Schleck, si véloces en montées, avaient tendance à flageoler en descente. « En fait, les meilleurs descendeurs sont souvent les sprinteurs, car ils sont habitués à prendre d’énormes risques », souligne Sébastien Hinault, actuel directeur sportif de l’équipe Bretagne Séché Environnement et ex-membre de ce club particulier des fous du guidon qui foncent tête baissée à 300 m de l’arrivée.

Les têtes brûlées sont nombreuses dans le peloton, mais elles se lestent souvent de plomb avec l’âge. C’est le cas de Sylvain Chavanel, 35 ans, qui avouait au lendemain de la chute collective du 8 juillet 2015 trouver les jeunes « de plus en plus nerveux ».

Les plus vieux ne veulent plus s’exposer ainsi

« Quand un gars commence à parler comme ça, c’est qu’il est déjà un peu dans une autre vie. Les grands rouleurs prennent moins de risques en vieillissant. Ils sont devenus pères de famille, ils se disent que ce serait bête de connaître un accident grave en fin de carrière », analyse Jean-Paul ­Ollivier qui cite pour exemple le grand André Darrigade. Celui-ci fut marqué à vie par la mort d’un jardinier du Parc des Princes qu’il avait percuté lors d’un sprint final en 1958.

Jacques Anquetil lui-même n’a-t-il pas décroché après une échappée dangereuse où il avait laissé filer ses adversaires lors de son dernier Tour de France ?

À l’arrivée, son directeur sportif osa lui poser la question décisive. « Tu as eu peur, Jacques ? » « Oui j’ai eu peur, ce métier n’est plus pour moi », répondit le quintuple vainqueur de la Grande Boucle, qui poursuivit sa route quelque temps, mais sans conviction, avant de ranger son vélo.