Olivier Poivre d’Arvor s'explique : “Je n’ai pas de compte à régler avec Mathieu Gallet"

Mathieu Gallet, le patron de Radio France, lui reproche ses propos lors de deux interviews, et a décidé de le limoger de la direction de France Culture. Olivier Poivre d’Arvor donne sa version des faits à Télérama.

Par Aude Dassonville

Publié le 10 juillet 2015 à 09h21

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 05h45

«Moi, je suis très légitimiste, je ne suis pas très “1793”. [Mathieu Gallet] est là et nous avons tous tiré les leçons des événements récents. Aujourd’hui, Radio France a besoin d’un projet, d’une vision. (…) Car on ne peut entraîner personne avec un projet construit uniquement sur une logique budgétaire et comptable. » Le 16 mai dernier, à l’occasion d’une interview accordée à L’Obs, Olivier Poivre d’Arvor n’économisait pas sa liberté de parole. L’addition lui est parvenue jeudi soir : au cours d’un entretien en tête à tête, le président de Radio France lui a demandé de quitter la direction de France Culture, qu’il occupait (avec de certains succès d’audience) depuis 5 ans. Il explique à Télérama les conditions de son limogeage.

Que vous reproche Mathieu Gallet ?

Il y a cette interview à L’Obs, dans laquelle je disais qu’il fallait un souffle pour Radio France, et une autre que j’ai accordée, fin juin, à l’AFP. A mes yeux, elle me semble très anodine, mais j’y explique mon attachement au projet A l’école des créateurs – qui a pour ambition d’emmener des grands créateurs dans des établissements de zones prioritaires – et ajoute que je l’ai présenté au président de la République. Mathieu Gallet a découvert à cette occasion que j’en avais parlé à Fleur Pellerin, la ministre de la Culture et de la Communication ;  effectivement, sans être particulièrement intime avec elle, j’étais allé plaider un quart d’heure pour obtenir une subvention… Pour lui, c’est une preuve de déloyauté. Bon. De son côté, il n’est pas venu accueillir Manuel Valls lorsque le chef du gouvernement est venu à la matinale de France Culture ; il a préféré rester au Festival de Cannes... Si, après la grève que l’on a connue au printemps, on n’a pas cette liberté d’une autocritique minimum… Je comprends qu’il soit effectivement mieux, pour Mathieu Gallet, de se séparer de ceux qui s’expriment.

Vos rapports étaient tendus depuis longtemps ?

En novembre, alors que nous faisions un pot pour nos bonnes audiences, il avait dit devant mes équipes qu’il avait, à son arrivée, « choisi de ne pas me couper la tête ». C’est vrai qu’il ne m’avait pas choisi – je ne sais d’ailleurs pas pourquoi il m’a gardé ! Mais ma méthode était peut-être déconcertante. Quand on a commencé à travailler sur son projet stratégique, j’étais très surpris qu’il imagine pouvoir, en quelques semaines, passer France Musique entièrement sur le web, lui retirer ses fréquences et en enlever à Culture pour les donner au Mouv’, céder un orchestre, mener la réforme des modes de production pour la rentrée 2015 sur la base d’un document établi par un cabinet d’audit… J’étais stupéfait de ça, et je lui ai demandé : « est-ce que, politiquement, tu as un soutien ? » Mais l’unanimité du CSA à son élection (dont on sait qu’elle est sujette à quelques interrogations) faisait qu’il se sentait tout puissant.

Comment s’est passée la grève ?

Nous ne pouvions pas exprimer une opinion, ou une critique, et ceux qui le faisaient quand même se le voyait reprocher. Mais nos différends de ces dernières semaines étaient bien plus compliqués.

C’est-à-dire ?

Alors que l’on élabore les grilles de rentrée, on m’a demandé de laisser des espaces vacants. Je ne pouvais pas disposer du 19-20, libre depuis que Laurent Goumarre a été recruté par France Inter. L’idée, semble-t-il, était de proposer cette tranche à un producteur, dont on pensait qu’il allait la refuser, afin de le faire partir. Je peux décider de demander à des producteurs de partir, mais on ne peut pas m’obliger à leur proposer des schémas impossibles  dans le but de se séparer d’eux…

L’arrêt des émissions de Colette Fellous, ou Sophie Nauleau relèvent-elles vraiment de votre décision ?

Oui. Les raisons de ces départs sont purement éditoriales. D’ailleurs Manou Farine présentera une émission d’une heure sur la poésie à la rentrée, alors que Sophie Nauleau n’avait qu’une demi-heure.

Vous n’étiez pas déterminé par les raisons économiques ?

Ah oui, bien sûr : quand on vous dit « il faut faire avec moins tant », vous n’avez d’autre choix que de supprimer des émissions. Celle d’Alain Veinstein l’année dernière, parce qu’il s’agissait de ne plus proposer de production fraîche après minuit. Et puis un certain nombre d’émissions cette année. La saison dernière, je l’ai élaborée avec un budget en baisse de 200 000 euros. La prochaine, je devais la faire avec 250 000 euros de moins. Et la saison 2016-2017 devra, elle aussi, s’élaborer avec un budget encore en baisse.

Vous avez confirmé Marc Voinchet à la matinale…

Oui mais j’ai appris qu’il allait être nommé à la direction de France Musique, tandis que Marie-Pierre de Surville pourrait récupérer une mission sur la programmation culturelle ? Je suis vraiment content pour Marc, mais c’est vrai qu’il faut trouver à le remplacer, maintenant. Ce n’est pas moi qui le ferai, même si je ne quitterai France Culture qu’à la fin du mois d’août. Je ne me plains pas de mon sort, et je n’ai pas de compte à régler avec Mathieu Gallet. J’ai eu la chance de rencontrer une maison vivante, avec des métiers passionnants, des gens braves (même si, parfois, ils vous rentrent dedans !), une liberté de parole… Une maison exceptionnelle. Ça a été un privilège et, modestement, je remercie mes collaborateurs.

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