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Environnement

SOS : Des experts nous ont expliqué comment sauver la planète

Apparemment, on a plutôt intérêt à faire moins d'enfants et devenir des personnes meilleures.

Toutes les photos sont de David Benjamin Sherry et tirées de sa monographie Earth Changes, à paraître chez Mörel Books. Images publiées avec l'aimable autorisation du Salon 94, New York.

FAIRE MOINS D'ENFANTS
Alan Weisman, écrivain

Tous les quatre jours, un million de personnes s'ajoutent à notre planète. Au cours du dernier siècle, le nombre d'humains a quadruplé ; il s'agit de la progression de population la plus rapide de l'histoire biologique, microbes mis à part.

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La surpopulation n'est pas qu'un énième problème environnemental : c'est celui qui est à la base des autres. Sans tous ces humains qui consomment de plus en plus de matière à chaque nouvelle génération, expulsant déchets et CO2, il n'y aurait pas de problèmes environnementaux – pas même d'anthropocène.

Heureusement, il s'agit du problème le plus facile (et le moins coûteux) à résoudre – et ce, sans avoir recours à la politique de l'enfant unique comme en Chine. Cela entraînerait des conséquences économiques inattendues ; les injustices diminueraient de fait ; le changement de climat serait quant à lui maîtrisé.

Au XXe siècle, l'humain a réussi à supplanter la nature. L'invention du fertilisant à l'azote, et la révolution verte qui l'a suivie, a permis le développement des croisements génétiques et donc, de produire plus de céréales. Au lieu de mourir de faim, les humains ont vécu pour engendrer plus d'humains, qui à la suite d'eux ont fait de même.

Cette explosion de nourriture fut néanmoins chimiquement forcée. Elle est liée à l'explosion des combustibles fossiles, des fertilisants synthétiques et des gaz à effet de serre. La culture en laboratoire requiert également des herbicides, des pesticides et des fongicides. Nous connaissons à présent les conséquences de ces toxines sur l'écosystème, et sur nous. Mais comme 7 milliards d'humains comptent dessus pour se nourrir, nous sommes coincés.

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Il ne faut pas sous-estimer non plus les problèmes sociaux. La révolution verte fut d'abord implantée en Inde et au Pakistan. De fait, la population de l'Inde surpassera bientôt celle de la Chine. Actuellement, 188 millions de Pakistanais occupent un pays de la taille du Texas, dont la population est de 26 millions. D'ici 40 ans, le Pakistan atteindra les 395 millions – plus que la population américaine d'aujourd'hui – mais sera toujours aussi grand que le Texas.

Juste après la révolution islamique de 1979, le voisin du Pakistan, l'Iran, somma chaque femme de tomber enceinte, afin d'aider le pays à bâtir une armée de 20 millions d'hommes à même de combattre l'envahisseur irakien. Le taux de natalité grimpa en flèche. Ne disposant pas de l'armement des Irakiens, l'Iran compta sur ses nombreux soldats pour neutraliser son ennemi. Ce n'est qu'après la trêve que le chef du budget iranien réalisa que tous les mâles nés pendant la guerre auraient bientôt besoin d'emplois, et d'habitations. Il avertit alors le Guide suprême de l'instabilité potentielle d'une nation composée exclusivement de jeunes hommes frustrés et sans boulot.

L'Ayatollah s'en sortit par une fatwa, et déclara : « Lorsque la sagesse vous dit que vous n'avez plus besoin d'avoir d'enfants, une vasectomie est autorisée. » Des équipes médicales parcoururent le pays, offrant tout, des préservatifs jusqu'aux ligatures des trompes. Chaque couple pouvait désormais décider le nombre d'enfants qu'il souhaitait.

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L'Iran pressa également les filles de rester à l'école. Dans les pays riches, l'éducation des femmes demeure le meilleur des contraceptifs. Les femmes éduquées ont des choses utiles et intéressantes à faire de leur vie, et un moyen d'aider leurs familles. Avec 60 pourcent de femmes parmi le nombre total d'étudiants, l'Iran est tombé à un taux de natalité proche de zéro – un an avant la Chine.

L'Institut démographique de Vienne a calculé que si l'éducation des femmes était universelle, la population mondiale n'augmenterait « que » de 1,5 milliard d'habitants d'ici à 2050, au lieu des 2,5 milliards prévus.

Mais même les femmes éduquées ont besoin de contraceptifs. À l'inverse des énergies sans émission, c'est une technologie que nous possédons déjà. Permettre l'accès à la contraception à travers le monde coûterait à peine 1,8 milliard par an – ce que les États-Unis dépensent chaque mois dans les conflits en Irak et en Afghanistan.

D'ici deux à trois générations, toutes ces femmes éduquées aideraient à la transition vers une population viable et un monde plus équitable, où la prospérité économique ne sera plus définie par une croissance incontrôlée. (Car lorsque moins de travailleurs naissent, ils ont plus de valeur, et en conséquence leurs salaires augmentent.)

Aujourd'hui, près de la moitié de la masse terrestre de la Terre sert à nourrir une seule espèce : la nôtre. Moins de gens signifierait plus d'espace pour les autres espèces, que nous continuons chaque jour à éjecter de la planète – jusqu'au jour où nous perdrons celle de trop.

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Auquel cas, notre population pourrait bien s'effondrer pour de bon.

Alan Weisman est l'auteur de Homo Disparitus et de Compte à rebours : Jusqu'où pourrons-nous être trop nombreux ?

ENCOURAGER L'AGRICULTURE INTELLIGENTE
Michael Pollan, expert de la nourriture et de l'agriculture

Propos rapportés par Wes Enzina

Le département de l'agriculture américain distribue des subventions aux fermiers pour chaque boisseau de blé, de maïs, et de riz qu'ils font pousser. Et si à la place, on leur donnait des subventions pour chaque parcelle de carbone qu'ils retiennent dans leur sol ? Environ un tiers du carbone dans l'atmosphère était auparavant contenu dans le sol sous forme de matière organique, mais depuis que nous avons commencé à labourer, nous avons libéré d'énormes quantités de carbone dans l'atmosphère. Le système alimentaire contribuerait à hauteur de 20 à 30 pourcent aux gaz à effet de serre produits dans le monde. Le fertilisant est l'un des plus grands coupables, et ce pour deux raisons : il est fait de combustibles fossiles et lorsqu'on en répand dans les champs et qu'il devient humide, il se transforme en protoxyde d'azote – bien pire en termes de production de gaz à effet de serre que le dioxyde de carbone.

Permettre que les sols retiennent plus de carbone pourrait bien être la clé pour contrer certains effets du réchauffement climatique. Si nous pouvions augmenter la quantité de carbone dans le sol de quelques points, cela ferait une énorme différence d'un point de vue climatique mais aussi au niveau de l'agriculture. Lorsqu'on produit plus de carbone, on augmente aussi la fertilité et la capacité à retenir l'eau ; ainsi les sols avec beaucoup de carbone résistent mieux à la sécheresse, autre conséquence du réchauffement climatique. C'est une forme de géo-ingénierie qui entraîne peu de risques et possède de nombreux avantages.

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Nous avons besoin d'encourager nos fermiers à faire en sorte que leurs terres absorbent autant de carbone que possible. On pourrait offrir des subventions aux fermiers pour qu'ils investissent dans des cultures couvertes. Parce que lorsque les champs sont laissés en jachère, ils sont soumis à l'érosion et libèrent énormément de carbone. Il y a une association à Santa Fé, la coalition de Quivira, où un homme, Courtney White, travaille avec des fermiers afin de développer des « pâturages rotationnels » qui aideront à terme, à conserver le carbone. Beaucoup des fermiers avec lesquels il travaille ne croient pas au réchauffement climatique, mais voient suffisamment de bénéfices dans ces pratiques pour y avoir souscrit. L'institut Rodale en Pennsylvanie a expérimenté de nombreuses formes d'agriculture. Lorsque tel pan de culture est inutilisable, on l'écrase avec un aplatisseur, la culture meurt, et ensuite on plante une nouvelle culture dans le lit de cette matière organique en décomposition. Du coup, on obtient plus de carbone dans le sol, plus d'humidité, moins de mauvaises herbes, et globalement, une meilleure fertilité.

En tant que civilisation, nous restons bloqués sur cette idée sommaire selon laquelle, pour obtenir ce dont nous avons besoin – nourriture, énergie ou même, toute forme de divertissement – la nature devrait être soumise à l'homme. Mais ce n'est pas nécessairement le cas. La culture au carbone est l'une des choses les plus optimistes à avoir émergé de la recherche sur le changement climatique. Il s'agit d'un système dans lequel les plantes sécrètent des glucides dans le sol, et qui est relié au soleil – une sorte de redite de la photosynthèse. Cela prouve qu'il existe encore des moyens peu coûteux qui nous permettent de nous nourrir et de guérir la planète à la fois. C'est le grand changement que nous devons faire : aller vers un système alimentaire viable où les pâturages récoltent l'énergie solaire et propage du carbone dans le sol, nourrissant les plantes donc les animaux que nous mangerons ensuite. J'ai bon espoir qu'une constitution se forme pour investir dans ce projet. Nous avons dès aujourd'hui les moyens de voir où nous devons aller – à présent, nous avons besoin de construire l'élan politique nécessaire pour y arriver.

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Michael Pollan est l'auteur du Manifeste pour réhabiliter les vrais aliments.

RENDRE LES GENS MEILLEURS
Ken Caldeira, spécialiste du climat

La chose la plus importante que les gens puissent faire aujourd'hui serait d'initier un programme de recherche afin de comprendre comment nous pouvons développer des systèmes sociaux qui encourageront les gens à mettre de côté leurs profits personnels (et à court terme) au profit de bénéfices environnementaux et sociaux sur le long terme. À moins que nous puissions développer des systèmes sociaux qui allient intérêt sur le court terme avec des bénéfices sociaux et environnementaux sur le long terme.

En Italie, quand un bus arrive, les gens luttent autour de l'entrée pour être les premiers à y entrer. En Grande-Bretagne, les gens forment à l'inverse une queue ordonnée. Qu'est-ce qui pousse les gens à attendre sagement à la fin de la file ?

L'une des possibilités tient dans le fait que les gens reconnaissent qu'il est dans leur intérêt de vivre dans une société où chacun attend, et en conséquence, qu'il fasse aussi la queue afin de soutenir cette manière de faire. Cela peut être aussi lié au fait que les gens situés à la fin de la queue y restent parce que leurs voisins citoyens leur interdisent tout simplement de couper la file. En d'autres termes, ces derniers luttent pour le maintien d'un système qui leur tient à cœur et sert le bien public.

Ken Caldeira est un scientifique de l'institution Carnegie. Il travaille au département des sciences de l'écologie globale.

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LIBÉRALISER LE MARCHÉ DE L'ÉNERGIE
Naomi Oreskes, historienne du climat

Propos rapportés par Ryan Grim

Les gens font semblant de ne pas croire au changement climatique parce qu'ils n'aiment pas envisager ses conséquences. Celles auxquelles je m'intéresse, ce sont les conséquences sur le capitalisme et la peur que le changement climatique soit utilisé comme une excuse pour justifier de possibles interventions du gouvernement sur le marché, ou une éventuelle gouvernance mondiale.

Beaucoup de ceux qui ne croient pas au changement climatique se réfèrent à cette idée et prétendent que le réchauffement serait un complot. D'autres avancent que le changement climatique détruit les libertés individuelles et empiète sur le libre marché.

Ma réponse, c'est : « Pas de problème. Essayons de voir à quoi ressembleraient les interventions les plus potentiellement dérisoires du gouvernement. Et parlons aussi de la nature du marché de l'énergie. » Pour moi, c'est la partie la plus cruciale, parce qu'au fond le marché de l'énergie n'est pas un marché libre. Les gens arguent qu'ils protègent la liberté politique, sociale et économique qui va avec le marché capitaliste, mais la réalité, c'est que l'industrie des gaz fossiles est subdivisée d'une autre façon. Alors voilà trois solutions simples pour faire du marché de l'énergie un véritable marché libre de l'énergie et permettre la compétitivité du segment des énergies renouvelables :

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1. Instaurer une taxe carbone. C'est une veille idée : mettre une taxe sur le carbone pour que le prix que nous payons sur le marché reflète son prix véritable. L'une des manières les plus faciles de le faire serait de taxer directement les puits ou les mines. Quand vous possédez une mine de charbon, le gouvernement vous prélève une taxe. Quand vous pompez du gaz, vous êtes aussi taxé. Cela aura forcément un impact sur les consommateurs. Plus ces produits utilisent de combustibles fossiles, plus ils sont chers. Ceci pourrait nous contraindre à nous éloigner des énergies fossiles afin de les remplacer par des énergies renouvelables efficaces.

2. Arrêter de verser des subventions à l'industrie des gaz fossiles. Certaines d'entre elles remontent même au tout début de l'histoire des industries du gaz et du pétrole, dans les années 1910. Pourquoi devrions-nous subventionner l'industrie la plus riche et la plus prospère de l'histoire de l'humanité ? Nous voulons des marchés libres, alors faisons des marchés libres. Laissons-les se concurrencer sur un pied d'égalité et voyons quelles technologies l'emportent en arrêtant de sponsoriser le pétrole et le gaz.

3. Renforcer les lois environnementales. Il existe toutes sortes d'exemptions environnementales pour les segments du pétrole et du gaz. La plus flagrante, c'est le Clean Water Act, qui a été mis en place pendant l'administration Bush et qui a joué un rôle majeur dans le boom de l'extraction hydraulique. Avant, les inquiétudes au sujet d'une éventuelle contamination de la nappe phréatique allaient bon train. Mais quand le Clean Water Act a été mis en place, l'industrie a immédiatement décollé. Parce que si j'ai envie d'ouvrir un puits dans mon jardin, je devrai faire attention au Clean Water Act. Mais si une grosse compagnie veut faire de même, comme elle est en cheville par l'État, son puits sera approuvé de toute façon. Ce n'est donc plus un marché libre ; il s'agit d'une subvention massive délivrée par l'État aux grosses entreprises pétrolières.

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Les gens ont l'impression que l'industrie des énergies renouvelables est hautement subventionnée. Mais c'est faux – il l'est beaucoup moins. Pourquoi devrions-nous continuer à subventionner les entreprises les plus riches et les plus prospères ?

Instaurer une taxe carbone, éliminer les subventions, et éliminer les multiples exemptions de taxes : ces simples mesures nous mèneront à la création d'un vrai marché libre qui permettra aux énergies renouvelables de lutter avec les autres énergies sur un véritable pied d'égalité.

Naomi Oreskes est professeur d'histoire des sciences et professeur des sciences de la vie et de la terre à Harvard.

ADHÉRER À LA GÉO-INGÉNIERIE
David Keith, expert en politique des questions climatiques

Imaginez un médecin refusant d'administrer une chimiothérapie à un patient en phase terminale de cancer du poumon, de crainte que cela réduise sa motivation à passer de deux paquets à un par jour. C'est, pour résumer, la pensée moralement obtuse qui a miné la plus belle entreprise de l'humanité en vue de refréner le changement climatique : les géo-ingénieries solaire et carbone.

Le premier fait scientifique à savoir sur le changement climatique, c'est que le carbone est (presque) là pour toujours. Supposons que j'émette une tonne de dioxyde de carbone au-dessus de l'Atlantique. Le résidu de mon voyage stagnera pendant plusieurs décennies et restera constant pendant plus d'un siècle. D'ici un millénaire, environ un cinquième de ma tonne sera toujours dans l'atmosphère – à moins que l'humanité ne fasse quelque chose contre ça.

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De nombreux scientifiques considèrent la géo-ingénierie comme la seule méthode viable pour ralentir l'impact du carbone sur le climat. Les technologies géo-ingénieriques solaires pourraient partiellement et temporairement réduire les risques de changement de climat en réfléchissant la lumière solaire dans l'espace, compensant de fait les effets accumulateurs de chaleur des différents gaz à effet de serre. Les technologies de géo-ingénierie carbone pourraient aussi évacuer le dioxyde de carbone de l'atmosphère et le transférer vers des réservoirs géologiques, de manière à intervertir l'empreinte géologique de l'humanité causée par les extractions de gaz, de pétrole et de charbon.

La géo-ingénierie solaire est rapide et peu chère mais elle est aussi risquée et non permanente. La géo-ingénierie carbone est, à l'inverse, lente et coûteuse, mais une fois que l'humanité aura stoppé ses émissions en passant à des sources d'énergies sans carbone – comme le solaire ou le nucléaire –, cela permettra aux générations futures de remettre définitivement le mauvais génie du carbone dans sa bouteille.

Le petit rôle de la géo-ingénierie dans les débats majeurs sur le climat est un cas classique de sacrifice des approches scientifiques sur l'autel de l'orthodoxie politique. Les politiciens craignaient que le public soutienne seulement la réduction des émissions, c'est pourquoi ils ne parlent que de cette solution. Et les avocats pro-géo-ingénierie n'arrangent rien à l'affaire ; eux-mêmes la présentent comme un simple « dernier recours ».

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J'ai échoué à comprendre comment la seule politique qui pourrait permettre une réduction majeure des risques du climat de ce siècle pouvait être considérée comme une mauvaise idée. Même si le monde parvenait à s'associer sur les réductions des émissions, l'inertie du cycle du carbone signifie que – au moins pour la durée d'une vie humaine – réduire les émissions empêcherait seulement le problème de s'aggraver. De plus, il n'y a rien à propos de la géo-ingénierie solaire qui change le besoin de réduire aussi les émissions. Le seul chemin vers un climat stable, c'est de ramener l'émission nette des gaz de souche à zéro. Mais une combinaison de géo-ingénierie solaire et d'émissions réduites permettrait au monde de réduire au moins le changement climatique en l'espace d'une vie humaine. De stopper la montée du niveau de la mer. D'inverser l'augmentation des précipitations et des vagues de chaleur.

Nos descendants pourront, eux, se servir de la géo-ingénierie pour restaurer graduellement la balance mondiale du carbone. La quantité de géo-ingénierie solaire nécessaire pour stabiliser le climat déclinerait de fait si le carbone était réduit ; on peut penser que le climat serait alors ramené à son état préindustriel.

Plusieurs critiques, comme Naomi Klein, présente la géo-ingénierie comme un outil du capitalisme technocratique qui chercherait juste à nous éloigner des réformes obligatoires telles que nous occuper de la perturbation du climat à la racine. Au même moment, certains à droite utilisent déjà la géo-ingénierie comme une excuse pour ne rien faire, un peu comme un nouveau médicament anticancéreux qui encouragerait les fumeurs à continuer de fumer.

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Il sera difficile de construire une vision concertée autour de cette longue route qu'est la restauration du climat en réduisant en même temps les différentes émissions et en utilisant activement la géo-ingénierie. Il sera plus difficile encore de construire les institutions internationales capables de gérer ces technologies. Néanmoins, travailler dans cette voie laissera un meilleur héritage aux prochaines générations que si nous continuons d'entretenir nos réticences par rapport à la géo-ingénierie – de peur que celle-ci nous « éloigne » de notre seul véritable but, la réduction d'émissions.

Le slogan « dites non à… » n'a jamais marché pour la consommation de drogue, ni pour la maternité chez les ados. Pourquoi marcherait-il pour le changement climatique ?

David Keith est professeur à l'école de l'Ingénierie et des sciences appliquées, et professeur à la Kennedy School of Government de Harvard.

RÉINVENTER LA VILLE
Lauren Markham, journaliste

Il est possible que nous ayons fait, mon petit ami et moi, une terrible erreur. L'année dernière, nous avons acheté une maison à West Berkeley, en Californie, juste à quelques blocs de l'océan. Quoique nous l'aimions beaucoup, le niveau de la mer montant, l'eau salée devrait engloutir notre maison au cours des prochaines années. Le débat public sur l'adaptation aux changements climatiques se concentre souvent sur les zones périphériques – les communautés de l'Arctique forcées de se déplacer pour échapper au permafrost, les villes de fermiers touchées par le manque d'eau, etc. Mais qu'en est-il de nous, dans les villes ? Nous sommes loin d'être immunisés. Nous avons déjà vu les dégâts causés par la tornade de La Nouvelle Orléans, et il n'est pas difficile d'imaginer un tsunami ravageant Los Angeles ou une vague de froid s'abattant sur Boston.

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J'ai entendu parler du boulot fourni par une boîte de design de San Francisco, le Future Cities Lab, qui imagine de nouveaux plans pour le front de mer de San Francisco, à cette époque où le niveau de la mer ne cesse de monter.

Leurs bureaux sont installés dans un énorme immeuble postindustriel au sud-est de San Francisco. À l'intérieur, on croise des imprimantes 3-D allumées en permanence, tandis que des dizaines de designers assemblent les morceaux d'un robot ; ensuite, on les voit tester les différents mécanismes sur une grande table carrée saturée d'outils de mesure et autres matériaux électriques. Au-dessus de l'entrée est suspendue une maquette du Bay Bridge, sous laquelle pend ce qui semble être des îles en suspension. Il y a peu de temps, le cofondateur du laboratoire Jason Kelly Johnson m'expliquait que l'aile ouest du Bay Bridge nécessitait d'être reconstruite. Et si, en ces temps de hausse du niveau de la mer, le pont servait à abriter des gens déplacés qui pourraient ici, ponctuellement, planter, pêcher et subvenir à leurs besoins ? Un épais ruban fait monter et descendre les petites îles selon le moment de la journée et la météo – plus bas quand il y a du vent, plus haut pour avoir une meilleure vue et une meilleure exposition au soleil. Ces rubans peuvent aussi récolter l'eau présente dans le brouillard, transformant la vapeur en eau qui pourra ensuite servir à l'agriculture ou à la consommation.

« Les designers d'aujourd'hui s'intéressent au changement climatique à l'œuvre. Tous savent que nous avons atteint un point critique, m'a dit Kelly Johnson. Les grands groupes environnementaux aussi haussent le ton. Il ne s'agit plus de résoudre le problème du changement climatique. Désormais, il s'agit de vivre avec. »

L'équipe du Future Cities Lab pense que le changement de climat laisse entrevoir des possibilités à étudier à travers une collusion de travaux architecturaux, industriels et liés à l'aménagement du paysage, à l'écologie ou à la robotique – tout cela apporte aux designers des idées futuristes, parfois fantasques. Kelly Johnson nous a montré le projet Hydramax, une sœur du projet de la colonie sous le Bay Bridge, qui réinvente le front de mer de San Francisco et pourrait s'avérer payante une fois que la mer se sera mise à monter. Des collecteurs de brouillard comblent l'air chargé de rosée de la baie et siphonnent l'eau de manière à créer une véritable ferme hydroponique. Le trop-plein agricole est ensuite versé dans des sortes de réceptacles aquatiques, alimentant de nombreux poissons qui serviront ensuite à la consommation humaine. En plus de la production de nourriture, on trouve un réseau de squares publics et de passage piéton disposés en stands, comme sur les marchés. Aussi, lorsque le brouillard se dissipe et que le soleil revient, les collecteurs de brouillard forment une voûte destinée à parer le soleil.

« C'est vraiment l'idée que les immeubles peuvent être autre chose que des endroits où vivre », explique la cofondatrice Nataly Gattegno. « Nous cherchons à vivre avec les choses qui nous soutiennent, au lieu de les garder loin de nous. Aussi, nous souhaitons faire grandir toutes les ressources présentes au naturel dans la vallée. »

Lorsqu'une ville est aménagée intelligemment, elle peut produire plus de ressources que n'importe quel village de campagne ou n'importe quelle banlieue résidentielle. Pourtant, le type d'aménagement que Future Cities Lab tente de mettre en place est, à l'heure qu'il est, encore tout nouveau sur le marché.

« Le corps des ingénieurs de l'armée est vraiment bon pour construire des choses concrètes », m'a dit Kelly Johnson tandis qu'il branchait un modèle 3-D de l'Hydramax, le collecteur de brouillard dont les différentes lamelles, à la manière des tentacules, se déplaçant à travers l'air imaginaire de la baie comme des coraux sur une vague. « En gros, ils construisent des murs. » Les murailles des villes sont un moyen archaïque de tenir ses ennemis à distance, mais lorsque l'ennemi est la Terre, un mur ne peut pas y faire grand-chose (allez demander aux habitants de La Nouvelle Orléans). Au lieu de ça, peut-être que nous devrions examiner les moyens de vivre en synergie avec ce que va engendrer le changement climatique – et non pas continuer à garder les yeux fermés.

Car inverser la tendance que nous avons nous-mêmes créée requiert d'abord de l'admettre – et de se rendre à l'évidence : notre train de vie est excessif pour notre environnement. En tant qu'humains et créatures d'habitudes et de confort, nous avons de toute évidence besoin de nous rapprocher au plus près du désastre pour voir les choses telles qu'elles sont. Mais peut-être que l'apocalypse environnementale qui approche est une opportunité pour à la fois nous accommoder de cet environnement en évolution et créer des environnements alternatifs symbiotiques – du type de ceux qui auraient pu nous éviter ce désastre.

Le design de Future CIties Lab est intelligent, c'est certain. Mais leur vision personnelle d'un nouveau monde de coopération environnementale est également magnifique – ils arrivent à imaginer un endroit où j'aimerais vivre. Souvent, Gattegno et Kelly Johnson se plaignent du design environnemental et de sa vocation purement utilitaire. Prenez les panneaux solaires ou les éoliennes : pure fonction, mais aucune forme. Pourquoi le design écologique devrait-il se tenir à distance du souci esthétique ? Pourquoi nos paysages urbains ne pourraient-ils pas être à la fois écologiques et beaux ? Pourquoi nos villes ne pourraient-elles pas ressembler plus aux voitures Tesla – jolies et non-polluantes à la fois ?

History Channel a invité le Future Cities Lab à une compétition afin de reconcevoir la ville de Washington et pour minimiser l'impact du niveau de la mer sur celle-ci. Gattegno et Kelly Johnson se sont basés sur des prévisions météorologiques qui donnent le National Mall pour englouti dans les années à venir. Ils n'ont pas tenté d'empêcher l'inondation. Leur conception incluait un réseau de colonies composées de citoyens adaptés – une qui se concentrerait sur la culture de l'énergie du vent, une autre sur la croissance de ressources viables, une dernière sur la purification de l'eau – qui, ensemble, réinventeront comment les humains peuvent vivre sur cette Terre en plein bouleversement.

Le projet faisait partie des huit finalistes du concours. « Une autre conception imaginée par un finaliste était de bâtir une ville littéralement emmurée », a jouté Kelly Johnson. « Je pense que notre idée était un peu trop bizarre pour les juges », m'a dit Gattegno. « Mais je pense aussi qu'elle était bien plus optimiste que toutes les autres. »

Le Future Cities Lab a finalement reçu la médaille d'argent. Entendre l'optimisme de leurs créations nécessite d'envisager la ville d'une nouvelle manière, loin du déni et du défaitisme typiquement occidental. Reconnaître qu'un changement arrive, qu'il faut l'accepter et s'y préparer avec sens du devoir et enthousiasme est quelque chose d'assez radical. Mais j'ai le sentiment que quand la pression montera et que nos maisons commenceront à sombrer, on viendra frapper à ma porte pour se renseigner sur ces mystérieux collecteurs de brouillard.

Après avoir visité le labo, j'ai conduit jusqu'à chez moi à proximité de la partie ouest du Bay Bridge. Je me suis imaginé vivre là, sur une parcelle de terre suspendue quelque part au-dessus du pont et de la baie, entre l'obsolescence des créations de l'homme et la menace imminente de la mer. Car c'est peut-être là que nous en sommes aujourd'hui, quelque part entre les deux : entre ce que la nature a créé et ce que l'homme a bâti.