"Il est urgent de dépouiller la dette grecque une fois pour toutes"

Que la Grèce ait accumulé une lourde dette, qu’elle est aujourd’hui incapable de rembourser, chacun l‘a compris. Mais elle continue de s’accroître. Les historiens savent, et les économistes devraient tous savoir, que la Grèce a connu depuis son indépendance, dans les années 1830, quelque chose comme sept ou huit graves défauts. Opinion.

Contribution externe
"Il est urgent de dépouiller la dette grecque une fois pour toutes"
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Une opinion de Emmanuel Gueulette, Avocat au barreau de Bruxelles

Dans la confusion générale qui règne à présent en Europe à propos de la dette grecque, qui donc, enfin, expliquera au « bon peuple » le fin mot de l’affaire de façon à clarifier une fois pour toutes la situation, et les moyens de la résoudre ?

Que la Grèce ait accumulé une lourde dette, qu’elle est aujourd’hui incapable de rembourser, chacun l‘a compris. Mais ce qu’on ne voit peut-être pas nettement, c’est bien que la dette publique continue de s’accroître, et ne cessera pas d’exister avant longtemps, même au-delà de 2050, en dépit des réductions ou remises successives qui lui ont été « accordées » notamment depuis 2010 et 2012. Les historiens savent, et les économistes devraient tous savoir, que la Grèce a connu depuis son indépendance, dans les années 1830, quelque chose comme sept ou huit graves défauts. On dit même qu’un acte de patriotisme consistait aux siècles antérieurs à n’y point payer l’impôt aux Ottomans. Dans les années 1860 déjà, un livre célèbre d’Edmond About sur « La Grèce contemporaine » insistait sur les multiples carences de l’Etat, mauvais payeur, et chacun aura retenu tout de même que ce pays, bien qu’aux origines de la civilisation en Europe, et ailleurs, paraît ignorer pour beaucoup ce que sont les impératifs d’une comptabilité publique digne de ce nom : encore aujourd’hui, pratiquement pas de cadastre, en tout cas rien de fiable ni complet ; encore aujourd’hui, une administration mal gérée, pléthorique, un impôt irrégulier, assorti de mille exceptions ( comme en nombre d’autres pays, du reste), une fraude fiscale provenant aussi bien des plus riches qui éludent l’impôt à grand erre comme des moins riches, dont une pratique large et répandue consiste à payer de la main à la main, sans reçu.

Il résulte de cet ensemble de considérations que : 1. La dette publique de la Grèce est ancienne comme elle-même, 2. que la Grèce s’est enlisée dans une dette publique perpétuelle ( comme nombre d’autres Etats, par ailleurs), 3. que son administration publique est terriblement défaillante ( plus qu’ailleurs en apparence), 4. qu’en dépit de tout cela, elle a continué à trouver des prêteurs qui, visiblement y prenaient goût et se satisfaisait de son statut simplement parce que cette situation de prêteurs leur assure des rentes véritables. Quand on prête des fonds, c’est en vue non seulement de les récupérer mais d’en tirer bénéfice. En accordant leurs facilités, les prêteurs savent ce qu’ils font et prennent ainsi leurs risques en pleine connaissance de cause. …

Taux d’intérêts souvent usuriers, grotesques et immoraux

La Grèce n’étant plus en mesure d’assurer comme auparavant le « service » de sa dette, étant donné la crise, ses prolongements et sa dureté, elle sollicite et vient d’obtenir de nouveaux prêts qui l’étranglent plus encore, et pour longtemps.

La Grèce continue d’emprunter ( à l’instar des autres Etats, du reste) mais en subissant de la part des marchés des .

Immoraux, parce que, sauf erreur en Europe et dans l’islam, en bien d’autres pays de surcroît, des pourcentages d’intérêts à deux chiffres sont en principe toujours considérés comme trop lourds et s’apparentent à un profit tiré du malheur où tombe un débiteur. Grotesques, parce que des taux d’intérêts avoisinant par moments les 30% ne peuvent être qualifiés autrement et sont in-sou-te-nables. Des taux usuraires ne sont-ils pas réprimés par la législation ?

Plus personne ne sait au juste comment la dette grecque est structurée, du moins dans le grand public : les montants totaux qu’on en présente au jour le jour des informations diffusées par la presse varient beaucoup. Tantôt on parle de 320 ou 321 ou même de 322 milliards d’euros, tantôt de 270. Bien sûr, la dette fluctue au gré des remboursements qui se font ou ne se font pas, et des frais et intérêts qui s’additionnent en pagaille, mais en outre elle s’allonge dans le temps jusqu’en 2030 et même 2050 selon les cas. Enfin, elle dépend des créanciers très divers, dont certains sont privés, des banques, des organismes particuliers et d’Etats. Il faut arrêter ces débordements, fixer une borne au vrai calcul de la dette.

La première chose qui s’impose d’évidence devant cet imbroglio est au moins que la dette grecque soit arrêtée par exemple au 5 juillet 2015, jour du referendum qui a dit non aux autorités européennes quant à leur plan prétendu de remboursement. Il convient que cette dette, aussi rapidement que possible, soit fixée dans son montant principal, c’est-à-dire hors frais et hors tout intérêt. Une fois ce chiffre défini, il deviendra singulièrement plus aisé de préciser, ou d’approcher au moins, chacune des composantes de ce montant principal, à savoir quand et pour quelles sommes la Grèce s’est endettée au fur et à mesure du temps qui passe. Etant donné qu’il est impossible de remonter à Mathusalem, qu’au moins ces calculs soient menés depuis son entrée dans l’euro en 2001. De telles opérations ne relèvent pas de l’exploit : la banque centrale de Grèce et les services gouvernementaux auront bien noté quelque part l’historique de chacune de ces tranches d’emprunts. Et puis, on peut faire confiance aux créanciers, qui ne manqueront pas de faire valoir leurs réclamations exactes.

L’énormité des remboursements partiels

Si l’on veut voir clair un jour enfin dans le tourbillon de ces emprunts, remboursements, emprunts encore et remises de dette, voilà qui paraît constituer la seule bonne méthode de travail. Elle apporterait de l’objectivité dans les comptes et dans un débat qui en est aujourd’hui totalement dépourvu. Cette remontée dans le temps, au moins jusqu’en 1981, ferait alors apparaître d’un seul coup l’énormité certes des emprunts successifs mais aussi des remboursements partiels et, par la même occasion, l’accumulation phénoménale des intérêts dans ces totaux divers par eux tellement appesantis.

Il est indispensable de connaître avec la plus extrême précision à combien se sont élevés jusqu’ici les intérêts comptés, que la Grèce, évidemment contrainte par les marchés, a dû consentir au fil des ans, tout cela, en fin de compte, pour ne pas être libérée d’un principal qui, loin de diminuer, ne fait que s’alourdir et de courir durant des lustres encore.

Le calcul des intérêts se situe au cœur même de la dette grecque. C’est une question dont on ne parle guère, du moins dans le grand public, et pourquoi donc ?

Plus un intérêt s’alourdit, plus le remboursement devient problématique du seul fait qu’il accable le débiteur : ce sont là des évidences que nombre de créanciers ne perçoivent pas et que les tribunaux peinent à reconnaître quand un débiteur fait défaut. On préfère l’assommer d’un poids en plus du principal en le couvrant d’intérêts. On s’étonnera ensuite qu’il tombe en faillite ou refuse de s’exécuter ! N’est-ce pas exactement ce qui se passe avec la Grèce qui ploie sous l’énormité, non tant du principal que des accessoires dont on l’affuble sous forme d’intérêts ?

Il convient de dire aussi que, pour beaucoup, ces intérêts ont été capitalisés, à savoir inclus dans la dette principale elle-même et considérés au même titre qu’elle par le mécanisme de l’anatocisme. Et que dire de la prescription des intérêts après l’écoulement d’un certain temps ?

Il est, par conséquent, urgent et essentiel maintenant de dépouiller la dette grecque une fois pour toutes de l’ensemble des accessoires énormes et indus qui l’encombrent à l’excès …Ce travail une fois réalisé, parmi les créanciers divers et multiples, on verra en particulier l’Allemagne, cette Allemagne à si juste titre pointée du doigt par la Grèce qu’elle a honteusement pillée ( comme en d’autres pays) durant la seconde guerre mondiale. L’Allemagne apparaît ainsi en cette affaire, bien sûr, comme un créancier particulier, mais également dans l’habit d’un débiteur qui est redevable et sans conteste d’énormes indemnités au peuple grec. N’a-t-elle pas bénéficié en 1953 d’une remise de sa dette de la part des Alliés ? Pourquoi ne pas lui appliquer au moins en l’espèce la loi pourtant bien normale de la compensation de sa dette envers la Grèce ? On saurait dans ces circonstances si ces deux dettes peuvent ou non s’éteindre ou se réduire !

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