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Pourquoi les lycées algériens s’embrasent en fin d’année scolaire

Un lycéen algérien sur deux (51,36 %) vient de fêter l’obtention de son baccalauréat. Mais depuis une quinzaine d’années, c’est avant cette épreuve que les plus grandes célébrations se déroulent dans certains lycées, parfois jusqu’à l’excès.

Le Monde

Publié le 13 juillet 2015 à 18h53, modifié le 15 juillet 2015 à 16h57

Temps de Lecture 19 min.

Au lycée Tarik Ibn Ziad de Baraki, en mai 2014.

Il y a des cris, des fumigènes, des applaudissements et des youyous assourdissants. Tous les smartphones du lycée filment la scène qui sera diffusée plus tard sur les réseaux sociaux. Ce matin, des centaines d’élèves paralysent la rue Mohamed Belouizdad, dans le quartier de Ruisseau, à l’est d’Alger. Agglutinés des deux côtés de la rue, ils regardent s’approcher une immense limousine noire. Arrivent ensuite une Citroën DS de collection, deux autres limousines, un Hummer…

En costumes et tenues de soirées, les lycéens sortent des véhicules sous l’œil d’un policier passablement dépassé, avant de s’engouffrer dans leur établissement pour y faire… la fête. Aujourd’hui n’est pas un jour comme les autres pour les lycéens.

« C’est la Journée du Classique, explique Kamel Bendaikha, ancien élève et enseignant, de 1993 à 2007, au lycée technique. Elle a été lancée à la fin des années 1990. Autrefois, l’établissement était l’un des meilleurs d’Afrique et la discipline y était très stricte. Alors un jour, les élèves ont organisé une fête pour se défouler. Elle se déroule 100 jours avant les épreuves du Bac. »

La rumeur, puis Internet, ont propagé ces célébrations vers les lycées voisins. « Ça ne se fait pas partout en Algérie, fait remarquer Redouane, lui aussi enseignant. Je ne connaissais pas le phénomène avant ma première année à Alger, en 2014. Mais j’en ai entendu parler au cœur de la capitale, dans des quartiers plus périphériques et plus huppés. »

Les filles et les garçons, qui respectent un code couleur noir et blanc, viennent au lycée pour y parader, et surtout s’amuser. C’est une journée pizzeria, salons de thé, qui se termine parfois en soirée et boîte de nuit pour ceux qui le peuvent financièrement et socialement. L’événement a été critiqué par des milieux conservateurs comme une importation de l’Occident, mais c’est surtout le fait que les lycéens sèchent le troisième trimestre pour réviser leur Bac qui attriste les enseignants.

Mais parfois, les fêtes dégénèrent. « Juste après la journée du Classique, les lycéens de Ruisseau ont lancé la Journée « Hool », indique Kamel Bendaikha. Il s’agit d’une célébration, davantage reprise en province, qui a pris une mauvaise tournure depuis quelques années. On y retrouve l’ambiance « ultras » des stades les plus chauds d’Algérie avec « craquage » de fumigènes, chants et banderoles déployées depuis les étages des établissements.

En avril, la fête a mal tourné au lycée Tarik Ibn Ziad de Baraki, une ville située dans la grande banlieue sud d’Alger. Le mobilier a été incendié et une élève a failli perdre la vue, selon le quotidien El Watan. « Tout ce qu’on voulait, c’était mettre un peu d’ambiance, marquer notre passage au lycée », a raconté un lycéen. Les jours suivants, c’est à Bou-Ismaïl, dans la wilaya de Tipasa, puis à Bougara, dans celle de Blida, que des feux ont été déclenchés.

« À Ruisseau, ils ont incendié un bureau de surveillants, raconte Kamel Bendaikha. Le problème est qu’une minorité en profite pour régler ses comptes en insultant les profs sur les banderoles ! Du coup, la Journée hool est souvent suivie par une grève des enseignants… À Baraki, les enseignants ont dû se barricader dans les classes parce que les élèves leur faisaient peur ! »

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Les forces de l’ordre sont intervenues à plusieurs reprises et le ministère de l’éducation nationale a promis des sanctions sévères. Les enseignants eux dénoncent la faible qualité de leur formation, l’absence d’encadrement et de moyens ou encore la délinquance qui se propage.

« Dénoncer le conformisme de l’école et la société »

Redouane, qui a grandi à Baraki – une région durement frappée durant la décennie 1990 par la guerre qui a fait jusqu’à 200 000 morts – pointe le sentiment d’impunité qui habite les élèves et qui est accentué par la démission des adultes :

« La triche est quelque chose d’acquis. Des gens qui en ont égorgé d’autres pendant des années se promènent libres aujourd’hui. Les autres ne comprendraient pas qu’ils soient sanctionnés pour avoir triché à des examens. »

Il admet néanmoins que les générations actuelles, qui n’étaient pas nées en 1995 au plus fort de la violence islamiste, légitiment davantage leurs comportements en citant les cas de corruption qui font les « unes » des journaux. Bien qu’il condamne la violence des jeunes, Idir Achour, enseignant à Bejaïa, à 260 kilomètres à l’est d’Alger et porte-parole du Conseil des lycées d’Algérie, préfère s’attarder sur « l’intelligence et la capacité d’organisation de ces jeunes », qui se cotisent pendant plusieurs mois, parfois aidés de leurs parents.

Faut-il voir dans ces journées étudiantes des exutoires de la jeunesse algérienne ? « Ces fêtes sont une façon de dénoncer le conformisme de l’école et de la société, analyse le responsable syndical. Manque de liberté, excès de religiosité, oisiveté… c’est un enfermement social que tout le monde vit. »

Fahim Djebara (contributeur Le Monde Afrique, en Algérie)

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