ca. 1945-1946, Germany --- Numbers identify prisoners in the dock during a war crimes trial in Luneberg, Germany. Among the prisoners are a number of women, including (7) Elizabeth Volkenrath, (8) Herta Ehlert, (9) Irma Grese, (10) Ilse Litre, and (11) Hilde Lebauer. Number (12), also distinguishable, is Joseph Klippel. | Location: Luneberg, Germany. --- Image by © CORBIS

Les femmes jugées à la fin de la guerre (ici, en 1946, à Luneberg) furent peu nombreuses.

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"En ce temps-là, quand je participais aux exécutions, j'avais à peine 25 ans, j'étais jeune et inexpérimentée. Je vivais sous la seule autorité de mon mari, qui appartenait à la SS et dirigeait des exécutions de juifs. J'avais rarement des contacts avec d'autres femmes, si bien qu'à la longue je me suis endurcie et désensibilisée. Je ne voulais pas rester derrière les SS. Je voulais leur montrer que je pouvais, en tant que femme, agir comme un homme. Et j'ai donc tué quatre juifs et six enfants juifs."

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C'est après un long interrogatoire, en 1961, qu'Erna Petri, épouse d'un haut gradé SS nommé en Pologne, passe aux aveux. Lorsqu'on demande à cette mère de famille d'où lui est venue cette cruauté, elle explique : "On me l'avait dit. Je devais détruire des juifs." Les recherches récentes ont révélé qu'Erna Petri n'est pas une exception parmi les femmes de cadres de la Gestapo. En revanche, elle est l'une des rares Allemandes à avoir été condamnées pour ses crimes commis pendant la Seconde Guerre mondiale.

Absence de preuves, disparition des témoins, aveuglement, les femmes allemandes ont longtemps été présentées comme des victimes, simples pions d'un régime phallocrate et profondément misogyne. Hormis les surveillantes de camps de concentration et d'extermination, jusqu'à récemment leur rôle comme leur influence étaient minimisés, voire ignorés. Absentes des organes de pouvoir qui participèrent à la machine nazie, elles ne sont pas jugées à Nuremberg, au lendemain de la capitulation allemande.

Secrétaires, sténos, agents d'entretien, tout le petit personnel de bureau de la Gestapo ne passe pas devant les juges. Or les femmes sont en nombre au sein de cette population. Les pressions du gouvernement américain sur la RFA pour minorer la quantité de procès et stabiliser rapidement l'équilibre politique leur évitent aussi d'être l'objet de poursuites.

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Ainsi, dans la foulée de la Seconde Guerre mondiale, lorsque chercheurs et historiens commencent à reconstituer les faits, les femmes échappent à leur radar. "Elaborée par des hommes, l'historiographie entretient l'idée que la guerre a été une affaire d'hommes, note Johann Chapoutot, spécialiste du nazisme (1). C'est un angle mort qui arrange tout le monde. Désigner les femmes comme des criminelles ruinait la principale thèse allemande qui consistait à présenter le nazisme comme le fruit d'une poignée de fanatiques et de fous suivis par d'autres. Ces derniers combattant, souvent, pour d'autres motifs. Par ailleurs, écorner l'image de la femme, naturellement pure et innocente, revenait à dire que toute l'Allemagne était pourrie", commente l'historien.

infirmières allemandes en 1942

Infirmières, secrétaires, enseignantes... ont profité du système pour servir leur carrière.

© / Berliner Verlag/Archiv/dpa/Corbis

Les viols commis en 1945 par les soldats de l'Armée rouge et révélés au grand jour, en 1954, par le témoignage circonstancié et implacable de Marta Hillers, journaliste berlinoise (2), viennent nourrir cette image de victime. Même si l'objet du livre n'est pas celui-ci et qu'environ 2 millions de viols eurent effectivement lieu. Un florilège de mémoires d'infirmières, de secrétaires ou de pseudo-héroïnes paraît après guerre. Ces récits glorieux transforment souvent la réalité et induisent en erreur les historiens. Pourtant, l'idéologie nazie a bel et bien pénétré la société allemande dans son ensemble. "Sans la participation des femmes, le IIIe Reich n'aurait jamais existé", martèle Johann Chapoutot.

Elles "connaissent le juif"...

Publié en 2014, en France, Les Furies de Hitler (Tallandier), ouvrage de la chercheuse américaine Wendy Lower, met au jour le rôle majeur joué par les femmes au cours du conflit. L'auteur s'appuie sur de nouvelles archives abandonnées par les Allemands, faute de temps pour les détruire. Il décrit en particulier l'action des nazis pour germaniser les territoires occupés à l'Est, où près de 500 000 femmes furent envoyées.

Epouses de gradés, enseignantes, secrétaires ou infirmières, elles jouent un rôle déterminant. Non seulement dans l'endoctrinement des autochtones, mais aussi et surtout dans la mise en place de la solution finale. Une révélation détaillée par Wendy Lower, qui lève ainsi le voile sur l'un des derniers secrets de la Seconde Guerre mondiale.

Dès juillet 1932, les femmes soutiennent Hitler. Lors des élections législatives, elles apportent 6,8 millions de voix au NSDAP, autant que les hommes. Apolitiques, les Allemandes aspirent avant tout au redressement économique et national du pays. En 1939, 10 millions sont adhérentes à la NS-Frauenschaft, la ligue des femmes nationales-socialistes (contre 2 millions en 1935). La plupart ont appartenu à la branche féminine des Jeunesses hitlériennes (obligatoire dès 1936).

Les discours de Hitler galvanisent les espoirs de ces jeunes ambitieuses. Intuitivement, elles sentent qu'elles peuvent jouer leur carte dans la conquête aryenne, malgré la volonté du Führer de les cantonner au "Kinder, Küche, Kirche"(enfants, cuisine, église). En classe, elles ont appris à observer le juif, sa façon de marcher, son maintien, les expressions de son visage. Aussi, dès que les juifs sont chassés de leurs emplois, les Allemandes n'ont aucun scrupule : "Elles saisirent l'occasion de promouvoir leur propre ascension économique et sociale", constate Joanna Bourke, professeur à l'université de Londres (3).

Lorsqu'elles s'engagent, les jeunes femmes de 18 à 25 ans de cette "génération perdue" ne savent pas qu'elles deviennent un rouage de la machine exterminatrice. Elles pensent servir leur pays. Une fois embrigadées, certaines redoublent de zèle pour prouver qu'elles peuvent être les égales des hommes.

Issues de toutes origines sociales, catholiques ou protestantes, instruites ou non, urbaines ou provinciales, elles ont en commun le patriotisme et l'antisémitisme inoculés par l'idéologie nazie. Simples témoins ou participant directement aux massacres et à la violence, elles contribuent à l'extermination des juifs. Il y a là l'épouse de SS qui sert les rafraîchissements après une fusillade, les infirmières qui appliquent à la lettre les programmes d'euthanasie, mais aussi les enseignantes qui sélectionnent les enfants sur la race et leurs aptitudes physiques et mentales. Toutes font montre d'un zèle impitoyable. Durant cette sinistre période, certaines outrepassent même les ordres de leur hiérarchie...

... et agissent par "devoir"

A peine arrivée à Volodymyr-Volynskyi, ville frontalière lovée entre la Pologne et l'Ukraine, Johanna Altvater est happée par sa mission. Le gouverneur du territoire vient tout juste de recevoir l'ordre d'exécuter "100% de la solution finale". La secrétaire de 22 ans n'est pas directement concernée. Mais, dans les mois qui suivent, elle décide de faire sa part. Le 16 septembre 1942, elle entre dans le ghetto et fait signe à deux enfants juifs qui vivent près du mur d'enceinte.

L’épouse du commandant SS du camp de Buchenwald avec son mari, son fils et son chien.

L'épouse du commandant SS du camp de Buchenwald avec son mari, son fils et son chien.

© / CORBIS

Elle attrape l'un d'eux et le serre violemment contre elle. Puis elle le saisit par les jambes et lui cogne la tête contre le mur, avant de le déposer, inerte et sans vie, aux pieds de son père à peine arrivé. Un autre jour, avec la même cruauté, elle choisit des enfants alités dans un hôpital et les jette par-dessus la balustrade du balcon. "Elle attirait souvent les enfants avec des sucreries.

Quand ils venaient à elle et ouvraient la bouche, elle leur tirait dedans avec le petit pistolet en argent qu'elle portait sur le côté", écrit Wendy Lower. Accusée du meurtre de nombreux juifs, elle fut jugée et acquittée à deux reprises. Les juges, qui ne croyaient pas les témoins, recherchaient des ordres écrits... qui n'avaient jamais existé. L'auteur des Furies de Hitler a recensé 3000 tueuses de ce type. Imprégnées de l'idéologie nazie, elles agissaient avant tout par "sens du devoir".

Séduite par les affiches de propagande mettant en scène les infirmières vêtues des superbes uniformes de la Croix-Rouge, Erika Ohr s'inscrit dès ses 18 ans, en 1939, dans une école près de chez elle. Pour être titularisée, elle apporte la preuve de son ascendance aryenne et de son engagement politique. "L'esprit de sacrifice, la discipline et la loyauté" doivent être mis au service de la guerre, lui inculque-t-on. Deux ans plus tard, la voici en Ukraine. "La haine est un sentiment noble", lui avaient expliqué ses professeurs.

La leçon devient réalité. Erika Ohr et ses collègues sélectionnent les malades mentaux et les handicapés, pratiquent des injections létales, escortent les condamnés. L'endoctrinement des infirmières a porté ses fruits. "Dans les camps de concentration, elles réconfortaient les SS et les policiers qui répugnaient à exécuter leur victime à bout portant", décrit Wendy Lower, qui classe les infirmières en haut du podium en matière de criminalité. Sur les quais de gare pour réconforter les soldats, les infirmières sont aussi les premiers témoins de la solution finale.

Devenues actrices du crime, complices ou témoins, les Allemandes avaient diverses formes de réactions : "Leur détermination se renforçait, leur sens moral s'embrouillait ou se dégradait." Mais "aucune ne pouvait plaider l'ignorance quant aux conséquences de leur travail", souligne l'auteur des Furies de Hitler.

"Qu'est-ce que je fais ici ? Qui suis-je ? Quel est mon rôle dans cette guerre d'hommes?" s'interroge, déboussolée, la secrétaire Ilse Struwe, tout en tapant sur sa machine à écrire les listes de victimes. Mais, pour une Ilse Struwe qui s'interroge, la plupart des Allemandes parties à l'Est sont dans le déni. Aveuglées, elles appliquent parfois sans même le savoir le précepte de Joseph Goebbels, ministre de la Propagande de Hitler : "Les hommes organisent l'existence, les femmes les soutiennent et appliquent leurs décisions."