POLITIQUE - Ils ne doivent pas être mécontents que l'on tourne la page grecque. Car c'est peu dire que ni Alain Juppé ni Nicolas Sarkozy n'ont particulièrement brillé au cours de cette séquence ouverte par l'annonce du référendum à Athènes. Durant quinze jours, les deux rivaux potentiels pour la primaire de 2016 ont multiplié les changements de discours, ce qui a considérablement nui à la lisibilité de leur position.
Au lendemain du "non" grec, Alain Juppé s'empresse de réagir. Sur son blog, le maire de Bordeaux estime qu'il faut aider la Grèce à sortir "sans drame" de la zone euro "si c'est son souhait", alors qu'il disait quelques jours plus tôt son espérance que "la Grèce reste avec nous". Et après la signature de l'accord à Bruxelles, il se félicite du dénouement de la crise, donnant l'impression de ne pas avoir de conviction forte.
Si l'on attend toujours la réaction officielle de Nicolas Sarkozy à l'accord, lui non plus n'a pas été exempt de tout revirement. La semaine précédant le scrutin, il use d'un ton très dur au cours d'une interview au Monde pour dénoncer Alexis Tsipras et considérer que la Grèce s'est auto-suspendue de la zone euro. Puis après la victoire du non, il appelle à une nouvelle recherche de compromis, rejoignant ainsi la position de François Hollande et Manuel Valls.
Pour ne rien arranger à la situation de Nicolas Sarkozy, son parti s'est largement divisé lors du vote au Parlement français; plus de 70 députés se sont abstenus ou ont voté contre. Le sujet européen apportait une nouvelle confirmation que l'ancien chef de l'Etat ne parvenait pas à faire taire les divergences dans son propre camp; dans le même temps des critiques ont suivi son soutien à une pétition très conservatrice sur les églises de France. Résultat, il ne fait plus l'unanimité, y compris au coeur de son électorat de mai 2012.
En duel, Juppé n'a jamais été aussi proche de Sarkozy
Cette semaine, un nouveau sondage est venu confirmer une tendance à l'oeuvre depuis que Nicolas Sarkozy a replongé dans l'arène. Sa popularité s'érode au profit de son ancien ministre des Affaires étrangères. Dans le baromètre Ifop pour Paris Match et Sud Radio, Alain Juppé est, comme depuis longtemps, la personnalité politique préférée des Français. Il recueille 70% d'opinions positives quand l'ancien chef de l'Etat n'est qu'à 40%. "C'est le reflet de sa popularité supérieur au centre et dans une partie de l'électorat de gauche", précise au HuffPost Frédéric Dabi, directeur général de l'Ifop.
Mais le principal enseignement est que l'ex-Premier ministre creuse particulièrement l'écart auprès des sympathisants Les Républicains avec 87% de bonnes opinions contre 81% à Nicolas Sarkozy. Résultat, en duel, l'écart n'a jamais été aussi maigre en faveur de l'ex-Président. Alors qu'il était largement le préféré en février (62% contre 38), le voilà désormais à 52/48. Ce résultat qui est dans la marge d'erreur démontre que Nicolas Sarkozy est désormais "challengé" dans le coeur de cible de la primaire. "Cela ne fait que confirmer que son retour est raté", raille un élu de l'opposition.
De là à considérer qu'une bascule s'est opérée est qu'Alain Juppé est désormais le mieux placé pour être le candidat de la droite en 2017, il y a néanmoins un énorme fossé qu'aucun observateur avisé n'ose franchir. Tous gardent en mémoire les sondages du printemps 2011 quand François Hollande faisait de moins bons score que Dominique Strauss-Khan et même Martine Aubry. "Il faut être d'une absolue prudence, il est impossible de dire que l'un ou l'autre est le favori", insiste ainsi Frédéric Dabi.
Encore 15 mois de campagne
C'est qu'en 15 mois, il peut s'en passer des choses. En se déclarant candidat à l'été 2014 soit deux ans avant la primaire, Alain Juppé s'est lancé dans un marathon qui peut s'avérer périlleux. Surtout si son statut change et qu'il devient progressivement le favori car conserver cette position sans trébucher n'est pas garanti. Son équipe pour l'instant encore sous-dimensionnée va devoir rapidement s'étoffer pour lui permettre de réagir vite aux sujets d'actualité sans se prendre les pieds dans le tapis. S'il ne veut pas entamer sa crédibilité qui est -avec sa stature d'homme d'Etat- son principal atout, il ne pourra guère se permettre de nouveaux impairs comme il vient d'en commettre sur la Grèce.
Quant à Nicolas Sarkozy qui a a fait main basse sur le parti, il espère en tirer profit dans les mois à venir. Non seulement avec l'organisation de la primaire elle-même mais aussi avec les régionales qui pourraient lui servir de rampe de lancement. Si Les Républicains réalisent une très belle performance, il pourra s'enorgueillir d'un très bon bilan à la tête de son parti après la nette victoire lors des départementales du printemps dernier. A l'inverse une victoire en demi-teinte le fragiliserait assurément, au même titre que de nouveaux démêlés judiciaires; la menace d'un procès dans l'affaire des écoutes est toujours réelle.
"Et imaginez que Xavier Bertrand batte Marine Le Pen (aux régionales dans la grande région Nord-Pas-de-Calais-Picardie, ndlr). Il n'a pas exclu d'être candidat à la primaire et pourrait se présenter avec une belle victoire à son tableau de chasse", illustre Frédéric Dabi. Tout cela pour dire aussi que l'offre politique sera également cruciale au moment d'aborder la primaire. La présence de Bruno Le Maire troublerait ainsi considérablement le rapport de forces entre les deux favoris.
D'autant que depuis 2011 et le précédent socialiste, la primaire est vue comme un tour de chauffe de la présidentielle avec des votants qui ont comme envie commune de se débarrasser de l'exécutif sortant. D'où une prime qui sera donnée au candidat le mieux placé pour battre le candidat socialiste. Pour le moment, Nicolas Sarkozy et Alain Juppé battraient François Hollande tous les deux largement.