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"L'Imparfaite", la revue érotique née sur les bancs de Sciences Po

Marton Perlaki
L'artiste Marton Perlaki a participé au dernier numéro de " L'Imparfaite", pour lequel il a signé une série de photographies mêlant nus et exostisme. Photo Marton Perlaki

Dès sa création, en 2009, la revue avait fait parler d'elle en faisant poser des étudiants de la rue Saint-Guillaume - et futurs énarques pour certains - entièrement nus. Depuis, elle aborde la sexualité comme un sujet d'investigation à part entière, au même titre que l'économie ou la politique.

Ils avaient créé L'Imparfaite (1) pour leur propre plaisir. Ils ? Une bande d'amis qui venaient de clore leurs cinq ans de scolarité à Sciences Po et voulaient finir sur un coup d'éclat. "Mais pas en faisant une revue géopolitique ennuyeuse", se rappelle l'un d'eux, Quentin Girard. Surgit alors une idée étonnante dans ce milieu faussement propret : faire poser les étudiants nus dans une revue sur le sexe. Ou comment mettre ceux qui formeront l'élite de demain - certains seraient désormais énarques - à poil, nus comme des vers dans une revue disponible en librairie. Nous sommes en 2009, la revue L'Imparfaite est née. "Tous les étudiants qui posaient voulaient cacher leur visage, raconte Quentin Girard. Après le premier numéro, les étudiants ont réclamé qu'on les montre. " Un mot de la direction ? " Descoings (Richard Descoings, directeur de l'Institut d'études politiques de Paris de 1996 à sa mort, en 2012, NDLR) a adoré."

Le sexe est une porte d'entrée vers la compréhension du monde

Quentin Girard

La jeune bande de diplômés émoustillés décide de transformer l'essai en dédiant la revue à la sexualité. "Pour beaucoup de gens, le sexe appartient au domaine du léger, du futile. Pour nous, c'est une porte d'entrée vers la compréhension du monde, explique Quentin Girard. D'un point de vue moral, esthétique, culturel, la façon de concevoir la sexualité permet, comme la géographie ou l'histoire, d'aborder et d'étudier une société." Dans le septième numéro, qui vient tout juste de paraître, L'Imparfaite nous parle de l'histoire méconnue de ce livre de nus indiens devenu une pièce de collection, de la charge symbolique et sexuelle de nos animaux domestiques, nous emmène dans un bordel au Caire et dans un atelier d'artisans de costumes en latex. Et prend la forme d'une revue précieuse un peu snob, avec beau papier glacé et format de collectionneur et tous les articles traduits en anglais, please. Une sorte de baroud d'honneur, puisque ce septième numéro pourrait aussi être le dernier.

Il y a six ans, le sexe avait le vent en poupe. C'était avant le débat sur le mariage pour tous et sur le genre. La Queer Week de Sciences Po venait d'être créée, L'Imparfaite aussi. La revue de niche Edwarda, inspirée de l'héroïne de Georges Bataille, faisait dialoguer textes d'intellectuels et photographies érotiques. Puis ce fut au tour du fanzine Irene d'entrer dans la ronde coquine, en proposant un "érotisme féminin", plus tendre et raffiné. Des magazines qui disaient vouloir montrer un autre érotisme que celui des vulgaires FHM et Playboy. Dans un cadre toujours très arty, apprêté, la sexualité redevenait chic et intellectuelle après avoir été industrialisée par le porno hétéronormé. "Nous voulions nous adresser à toutes les sexualités", précise Quentin Girard. Même si L'Imparfaite a majoritairement couvert ses pages avec le même type de femme : de minces lianes blanches et jeunes. De celles, qui, dans un autre style, servent d'objets de fantasme et de contemplation dans Lui. La presse généraliste a aussi mordu à l'hameçon de la volupté. L'Express avec le blog Sexpress, Rue89 avec Rue69. À Libération, c'est Quentin Girard himself, journaliste confirmé, qui est devenu le Monsieur sexe-trans-queer du journal.

En France, la liberté sexuelle n'est qu'apparente

Mais la mèche de la presse érotique ne s'est pas enflammée. Depuis le printemps 2014, c'est un peu la débandade. Irene et Edwarda n'ont pas publié de nouveaux numéros. Leur temporalité est chancelante. Comme on ne sait jamais de quoi demain sera fait, L'Imparfaite a mis sa plus belle parure de papier glacé au cas où ce numéro ferait son dernier tour de piste. "On pensait qu'on ferait peut-être tâche d'huile. Mais six ans après, il n'y a rien d'autre, constate Quentin Girard, un peu désabusé. Cette époque de crise, avec toutes ses tensions, n'est pas propice à la parution de tels magazines. En France, la liberté sexuelle n'est qu'apparente. Dès qu'on aborde le sujet du sexe, de vieux réflexes conservateurs refont surface." Sale temps pour les revues indépendantes, sans publicité, sans rentabilité. Par amour du bel objet, L'Imparfaite ne se travestira pas dans d'autres formats. Si le futur ne s'écrit plus que sur des écrans, le présent se lit encore un peu sur du papier. Il nous reste l'opportunité de savourer ce bel objet de 170 pages, d'un calibre et d'une audace rares, qui nous offre le plaisir de prendre le temps de lire et de découvrir. En attendant la prochaine bouffée de chaleur.

(1) L'Imparfaite, revue érotique tirée en édition limitée à 1000 exemplaires numérotés, 24 euros, en vente en librairie et sur le site www.limparfaite.com.

Les sept couvertures de la revue "L'Imparfaite"

"L'Imparfaite"

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