Billet de blog 31 juillet 2015

Les invités de Mediapart (avatar)

Les invités de Mediapart

Dans cet espace, retrouvez les tribunes collectives sélectionnées par la rédaction du Club de Mediapart.

Abonné·e de Mediapart

Un jour pour se souvenir, 364 jours pour oublier ?

Ce dimanche 2 août, nous commémorerons l’extermination de centaines de milliers de Roms et de Sinti par les nazis et leurs collaborateurs. Zeljko Jovanovic, directeur de l’Open Society Roma Initiatives Office appelle les responsables politiques à prendre leurs responsabilités pour que cesse l'anti-tsiganisme. « Les commémorations ont un rôle extrêmement important, nous avons besoin qu’elles aient lieu dans chaque ville et dans chaque village de tous les pays, mais commémorer les morts une journée est loin d’être suffisant pour mettre fin à l’humiliation quotidienne dont sont victimes les Roms en Europe ».

Les invités de Mediapart (avatar)

Les invités de Mediapart

Dans cet espace, retrouvez les tribunes collectives sélectionnées par la rédaction du Club de Mediapart.

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ce dimanche 2 août, nous commémorerons l’extermination de centaines de milliers de Roms et de Sinti par les nazis et leurs collaborateurs. Zeljko Jovanovic, directeur de l’Open Society Roma Initiatives Office appelle les responsables politiques à prendre leurs responsabilités pour que cesse l'anti-tsiganisme. « Les commémorations ont un rôle extrêmement important, nous avons besoin qu’elles aient lieu dans chaque ville et dans chaque village de tous les pays, mais commémorer les morts une journée est loin d’être suffisant pour mettre fin à l’humiliation quotidienne dont sont victimes les Roms en Europe ».


Ce 2 août, comme chaque année, nous allons commémorer le génocide des Roms dans toute l’Europe, à grand renfort de tribunes, de communiqués, de déclarations de dirigeants politiques et associatifs, d’évènements culturels.

Une fois les commémorations passées, comme chaque année, nous continuerons à assister à des émeutes anti-Roms organisées par des néo-nazis en République Tchèque, à des lynchages de Roms en Bulgarie, à des expulsions de Roms par des bulldozers en Serbie, à des stérilisations forcées de femmes roms en Slovaquie, à des opérations de ségrégation urbaine en Italie, à des cas de ségrégation scolaire en Hongrie, à des brutalités policières en France.

Les dirigeants politiques et les fonctionnaires cèderont à la majorité et tolèreront la violence et le racisme. Ils accuseront les Roms d’être la cause de leurs problèmes et utiliseront les Roms pour expliquer les échecs de leurs politiques. Des Premiers ministres accuseront les Roms d’être un obstacle à l’entrée de la Roumanie dans l’espace Schengen et à la libéralisation de la politique de visas pour les Serbes et les Macédoniens.

Comment en arrive-t-on au paradoxe d’une politique de commémoration active pendant une journée, et de passivité complète tout le reste de l’année ?

Tout d’abord, le racisme anti-Roms est aujourd’hui largement accepté. Une étude récente  du Pew Research Center montre que l’anti-tsiganisme est le type de racisme le plus répandu en Europe : 55 % des Européens en moyenne ont une opinion défavorable des Roms, 85 % des Italiens, 66 % des Français.

Prenons l’Allemagne, le pays qui a le plus investi dans le travail de mémoire et de responsabilité sur son rôle pendant la Seconde Guerre mondiale. Le travail de long cours des historiens, artistes, juges, intellectuels et témoins a permis de faire reconnaitre la responsabilité de chacun dans l’Holocauste en Allemagne. En 2005, lors d’une cérémonie de commémoration de la libération d’Auschwitz, et dans le contexte d’un retour de l’extrême droite en Allemagne, le chancelier Gerhard Schroeder a déclaré que les Allemands avaient une « responsabilité spéciale » dans l’Holocauste, et que la mémoire de l’Holocauste faisait partie intégrante de l’ « identité nationale ».  

Pour les Roms, la reconnaissance du génocide a aussi été un long processus. Connu sous le nom de « l’Holocauste oublié », le génocide des Roms a été évincé de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale pendant des décennies. Le génocide des Roms n’était pas reconnu en tant que tel au motif que les Roms n’avaient pas été exterminés pour des raisons raciales – en 1954, un arrêt de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe avait affirmé que les Roms avaient été déportés comme « asociaux ». De plus, pas un seul témoin rom n’était présent aux procès de Nuremberg, où le meurtre de masse des Roms et des Sinti n’était mentionné qu’à la marge. Ce n’est qu’en 1982 que les autorités allemandes ont reconnu que les Roms avaient été victimes de l’Holocauste et que la stérilisation forcée des Roms faisait partie intégrante de la « solution finale ». Trente ans plus tard, en 2012, la chancelière Angela Merkel a dévoilé le mémorial du génocide des Roms et des Sinti à Berlin.

Aujourd’hui, il existe tout un écosystème de connaissances autour de l’expérience juive de l’Holocauste, d’organisations et d’instruments législatifs, éducationnels et culturels pour combattre l’antisémitisme à tous les niveaux. Des Juifs se font toujours insulter, humilier et tuer par la haine antisémite dans toute l’Europe, mais alors que l’expression de l’antisémitisme est publiquement inacceptable, les discours anti-Roms sont largement tolérés. Si c’est le cas en Allemagne, où tout un travail sur la mémoire collective a été réalisé pendant des années, nous ne devons pas être surpris que l’anti-tsiganisme perdure et se déploie avec violence dans d’autres pays ou rien, ou alors trop peu, a été fait dans le domaine de la mémoire et de la responsabilité.

L’absence de reconnaissance universelle du génocide des Roms pendant la Seconde Guerre mondiale génère des efforts pervers pour masquer la responsabilité du racisme anti-Roms actuel par l’argument que les Roms jouiraient d’une sorte de privilège spécial. Citons en tant qu’exemple cette déclaration officielle  du gouvernement bulgare aux Nations Unis :

« Les problèmes des Roms sont principalement socio-économiques .(…) On pourrait même dire, au regard de toutes les mesures prises par le gouvernement, que les Roms bulgares ne sont pas discriminés, mais qu’ils bénéficient au contraire d’une sorte de privilège, puisqu’ils ont l’opportunité d’accéder à des prestations et à des avantages qui ne sont accessibles qu’à eux. »

Ce « masque » fait plus que cacher la responsabilité des gouvernements nationaux pour le racisme anti-Roms : il renforce l’anti-tsiganisme en alimentant le préjugé que les Roms profitent du système, en désignant les Roms comme une minorité privilégiée, qui deviennent ainsi une cible de lynchages et de pogroms. Il renforce enfin l’amnésie collective sur le sort des Roms pendant le nazisme et les siècles de persécutions qui ont précédé le génocide.

La documentation et la mémorisation du génocide des Roms sont un point de départ nécessaire mais pas un objectif en soi. Les commémorations ont un rôle extrêmement important, nous avons besoin qu’elles aient lieu dans chaque ville et dans chaque village de tous les pays, mais commémorer les morts une journée est loin d’être suffisant pour mettre fin à l’humiliation quotidienne dont sont victimes les Roms en Europe.

A compter du 3 août, les institutionnels et les dirigeant politiques à la Commission Européenne et dans les gouvernements nationaux auront le choix. Soit ils décident de remettre leur masque et de continuer à céder à l’ignorance, à l’amnésie et à la violence des sociétés majoritaires – cela prouvera encore une fois que ceux qu’on honore sont morts en vain, et que nous n’avons rien appris. Soit ils décident de prendre leurs responsabilités en veillant à ce que dans les écoles, les médias, les terrains de sport, les cinémas, les galeries d’art et les théâtres soient abordées les questions de l’héritage de l’anti-tsiganisme, de la responsabilité collective dans la persécution et l’extermination des Roms, et du rôle que nous avons tous pour éradiquer les causes du racisme anti-Roms et en combattre les conséquences. Nos sociétés pourront ainsi construire un avenir commun plus fraternel, loin de la tradition génocidaire qui nous mène aux commémorations d’aujourd’hui.

Une version de cet article a été publiée le 2 août 2015 dans Al Jazeera America sous le titre : « Europe’s Roma need more than a day of remembrance ».

https://twitter.com/jovanovicz

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.