INTERNATIONAL - Qui sont les Kadhafistes ? Déjà il s'agit de déterminer ce que sont les « kadhafistes » comme on les appelle. L'idéologie Kadhafiste n'existait quasiment plus au début des années 2000. Aucun libyen n'y croyait plus. Kadhafi lui-même avait remis en cause son idéologie communiste/socialiste teintée de coranisme, à travers laquelle il a tenté de créer une nation. Une remise en cause déjà inscrite à partir des années 1990 où il relance une timide privatisation de l'économie -, au vue des résultats négatifs de la nationalisation de son économie. L'exemple le plus flagrant est la reconnaissance de la spoliation des années 1970 de nombreuses propriétés ou terrain appartenant à des familles, effectuée pour mettre permettre aux familles nécessiteuses d'y avoir accès, pour mettre fin à la spéculation sur les loyers, facteur d'inflation. Et qui s'est également inscrite dans le cadre d'un renforcement et de l'édification de l'Etat mené brutalement. Et qui s'est concrétisé par ailleurs par une collectivisation/planification agraire, la création d'entreprises étatiques pour une modernisation forcée, qui ont plombé les finances et a été la source de nombreuses dérives.
En 2005, via le décret n° 71, le Comité populaire général (Conseil de Ministre) a formé un comité pour régler la question de compensations des biens confisqués par la Loi n° 4 de 1978. Ce comité a rencontré beaucoup d'obstacles administratifs, juridiques voire même politiques, en raison de la réticence aux réformes initiées par Saif el Islam, le fils de Kadhafi. Entre 2006 et 2010, 7500 dossiers ont tout de même pu être réglés, un début. Ils ont surtout concernés des propriétés confisquées pour le compte de l'Etat, tels que les sièges de l'administration publique, voir même les casernes de l'armée. Parallèlement, l'ouverture de l'économie, aussi timide soit-elle, l'intégration aidant, a tout de même impactée la population. On peut citer l'ouverture du capital de certaines banques ou encore celle des télécommunications dont les manettes étaient détenues par Mohamed, un autre fils de Kadhafi. Les privatisations des entreprises ont malheureusement été un flambant échec en raison de leur mauvaise rentabilité. Et les mesures de suppression des subventions de l'Etat s'agissant des produits de premières nécessités, n'ont pas pu être menées en raison de l'opposition de la population.
Vers les années 2000, les yeux des libyens étaient donc surtout rivés sur le vaste chantier de l'ouverture économique que sur l'ancien système. Kadhafi était quant à lui, dans une position difficile, compte tenu de la lourdeur du système à réformer et de ses prévisibles conséquences, notamment le chômage déjà très important. Il voulait cette ouverture « step by step », afin d'amortir les chocs d'une ouverture trop brutale et précipitée telle que voulue par l'Occident, et notamment le FMI, lequel a pourtant publié juste avant la révolte les progrès réalisés. Il était par ailleurs confronté à la vielle garde encore trop présente dans son entourage, laquelle craignait pour ses privilèges.
Sur le plan des libertés, il y a eu des tentatives initiées par son fils, Saif El Islam lequel avait financé un journal qui taclait le système et n'hésitait pas à pointer du doigt les anti-réformistes et les pontes du régime. Ce journal a survécu trois ans et les journalistes ont été emprisonnés. Il a aussi permis l'accès à Internet, qui restait toutefois sous contrôle. La Libye étant engagée dans le cadre de la lutte contre Al Qaïda et entamait une réconciliation sous surveillance avec les ex-al qaida.
Certains opposants au régime étaient revenus en 2003, et surtout à partir de 2006.
S'agissant de la démocratie telle que pratiquée en Occident, ce sont surtout les intellectuels qui y songeaient, surtout ceux qui ont eu une expérience en Occident. Seif al Islam, a tenté d'y jouer un rôle et avait le regard plutôt tourné vers les USA. Il avait ainsi rédigé une nouvelle constitution dans laquelle étaient introduits des embryons de partis politiques. En cela, il a été confronté aux résistances de son père qui ne croyait pas en un système participatif via des partis politiques et un système électif direct à l'occidental, compte tenu de la dominante tribale très affirmée en Libye et du système de consultation des tribus basé sur un consensus. Son système appelé démocratie directe, qui n'était qu'un simple cadre politique associant les tribus, avait justement pour but d'organiser et de transcender ces même tribus, -qui devaient toutefois rester le socle social de la société-, puisque son système partait d'élections (à main levée comme sous le Roi Idriss 1er) de la base jusqu'au sommet à travers différents organes. Au Congrès Général National (CGN), toutes les tribus étaient ainsi représentées, permettant ainsi de préserver l'unité du pays. A travers ces organes, il a ainsi tenté de créer une Nation, les tribus devant se situer en deçà de la Nation, une entreprise très difficile surtout dans une société tribale voire clanique.
Le grand tort de Kadhafi a été de ne pas faire évoluer son système en instillant des éléments de démocratie, des contrepoids au sein de la société afin d'aller plus loin dans la déstructuration tribale de la société, source d'inégalité. Ou encore de ne pas avoir imaginé un système intermédiaire. Par ailleurs, le pouvoir s'est personnalisé à l'instar d'autres régimes. La gestion de certains secteurs ayant été attribuée au leader et à ses fils.
Enfin, s'agissant de la corruption. Celle-ci faisait partie du système bien avant l'arrivée de Kadhafi en 1969. Il l'a combattu puis en chef tribal il s'y est plié, perpétuant le système. Tout le monde y a participé d'une façon modeste à la plus ostentatoire. Certains allant jusqu'à voler les deniers publics.
Que sont les Kadhafistes durant les années 2000 ?
Des libyens ont surtout les yeux rivés sur la libéralisation de l'économie en gestation dans la société. Les Libyens, et notamment Kadhafi cherchent leur marque avec toutes les difficultées que cela comporte : un passé. Les « Kadhafistes », en 2011, qui ont rallié Kadhafi durant la révolte l'ont fait, non pas par attachement au système idéologique, dont le coup d'envoi des réformes -très difficiles à mener- avait été lancé notamment avec le premier ministre Choukri Ghanem, mais davantage pour se liguer contre une révolte menée essentiellement par des jeunes, mais aussi les laissés pour compte de l'ouverture économique amorcée qui a généré des inégalités plus visibles, les spoliés non encore indemnisés, les clans des hommes d'affaires...Une révolte qui, il faut le rappeler, a été encadrée par les islamistes, et ex-al Qaïda et AQMI. Il est important d'insister sur ce fait, car les soutiens à Kadhafi, ont exclusivement vu la « révolte » sous cet angle, qui il est vrai, n'était pas dénué de fondement. Son discours et celui de son fils très menaçant, dans lequel ils parlent de « rivières pourpres » s'adressait d'ailleurs à nous Occidentaux, pour nous mettre en garde contre les radicaux islamistes. Et des risques potentiels.
L'appellation Kadhafiste ne peut donc s'appliquer que dans le cadre de la révolte, du soutien au chef tribal dans ce contexte, et non pour la défense de l'ancien système. D'ailleurs, le général Tantouche, qui a été libéré par les milices de Zentan, et a rallié l'Armée nationale, en a bien fait la distinction. Il a ainsi déclaré qu' « il ne représentait pas l'ancien régime », en clair l'idéologie socialo-communiste/coranique. Même les pontes du régime réfugiés en Egypte n'entendent pas restaurer ce système. Ils souhaitent jouer un nouveau rôle en Libye, une ambition qui risque largement d'être compromise en raison de leur faible audience et de leur implication douteuse au régime.
La tribu des Kadhafa a rallié Daech. Peut-il y avoir d'autres ralliements ?
Il est vrai que la tribu des Kadhafa, qui a été en partie décimée lors de la révolte- s'est ralliée à Daech à Sirte. Et là aussi, il faut nuancer. D'une part d'autres tribus à Sirte ont rallié Daech. D'autre part, leur ralliement est une réponse aux exactions qu'elles ont subies de la part des milices de Misurata qui occupaient la ville. Enfin, ce sont les jeunes, les maillons faibles de ces tribus qui se sont ralliés, en criant vengeance. Daech qui a pris possession de la ville leur offre ainsi l'occasion de se venger de ce que leur famille a subi.
S'agissant des populations qui sont en exil. Certaines sont effectivement particulièrement ravies de la présence de Daech en Libye. Elles disent en substance « c'est bien fait pour eux », tout en souhaitant que les puits de pétrole ne tombent pas entre les mains de Daech. Et pouvoir un jour quitter leur exil.
Là encore il ne s'agit pas d'adhésion, mais d'une satisfaction morale pour toutes les exactions subies. Pour leur soutien durant la révolte, cette population a dû fuir la Libye, en raison des nombreuses exactions subies. Leurs maisons ont été volées et occupées, incendiées, certains ont été emprisonnés, torturés ou le sont toujours, ils ont perdu leur travail, leurs enfants n'ont pas été éduqués. Ils sont, par ailleurs, considérés comme des hors la loi en raison de leur participation aux côtés de Kadhafi, certains n'ont même plus de pièce d'identité. Et ils rencontrent, depuis peu de temps, des difficultés financières même s'ils ne l'avouent pas. De surcroît, ils craignent d'être mis, notamment, hors de Tunisie, où on constate leur plus grande concentration, les tunisiens ayant de plus en plus de mal à supporter cette cohabitation. Ils se demandent, en conséquence, où ils pourront aller. Etant considérés hors la loi, surtout par la communauté internationale envers qui ils enragent, ils pourraient n'entrevoir, surtout les jeunes, le temps passant, qu'une solution : la Libye et Daech...
Parmi ces exilés, il faut aussi compter les brigades spéciales de Kadhafi, pour ce qu'il en reste, qui ont combattu à ses côtés, mais aussi l'armée nationale qui a combattu contre Kadhafi et qui a été pourchassée, comme les premiers, par les islamistes et les milices.
Si pour l'instant, on ne constate aucun ralliement réels parmi ces nombreux groupes -mais il serait inexacte de dire qu'il n'y a pas déjà des éléments qui l'ont rejoint-, il n'empêche que le temps passant, cette population, aujourd'hui, farouchement anti-daech, pourrait constituer une bombe à retardement que les futures autorités, si elles devaient se constituer, devront désamorcer avec toutes les difficultés que cela comporte. Hafter a déjà promis l'armistice à certains officiers qui ont combattu aux côtés de Kadhafi et qui sont restés en Libye, en contrepartie de leur ralliement.
Où en est l'armée nationale de Hefter ?
Toujours aux portes de Tripoli. Hefter, comme il l'a fait dans l'Est, négocie donc à l'Ouest. Et des combats se sont engagés entre certaines milices à Tripoli qui n'appartiennent pas au camp de Hefter.