
Tom Hayes est à ce jour, avec Terry Farr et James Gilmour, l'un des trois inculpés pour fraude et collusion dans le scandale de la manipulation du taux interbancaire londonien Libor. Il devait comparaître lundi 21 octobre devant le tribunal de Southwark (sud de Londres).
Privé de son passeport, ce Britannique de 33 ans est actuellement assigné à résidence. Le choix de deux avocats parmi les plus réputés du barreau de la capitale pour assurer sa défense laisse penser que l'ex-trader d'UBS et de Citigroup plaidera non coupable.
Le jeune homme par qui le scandale du Libor est arrivé n'a rien du trader caustique et extraverti. C'est au contraire un garçon cérébral, solitaire et taiseux. Ses collègues à Tokyo, jaloux, l'avaient péjorativement surnommé "Rain man" ("supergénie") en référence à la chanson d'Eminem à propos des faiseurs de pluie qui provoquent des averses de dollars.
Selon l'acte d'accusation dressé par le Serious Fraud Office, l'office britannique de lutte contre la délinquance financière, Tom Hayes a été le pivot d'une conspiration internationale entre traders d'une dizaine de grandes banques de par le monde en vue de fausser le calcul du taux interbancaire. Cet instrument sert de mètre étalon pour les 350 000 milliards de dollars (255 779 milliards d'euros) de produits financiers à terme qui s'échangent chaque jour.
LE GOLDEN BOY SOUDOYAIT LES INTERMÉDIAIRES
A partir de janvier 2007, ce natif de Londres avait passé un accord secret avec des collègues, en vue de falsifier les données communiquées à l'Association des banquiers britanniques et à la Banque du Japon afin de leur permettre de calculer les taux Libor et Tibor (l'indice japonais pour le négoce du yen).
Le golden boy soudoyait les intermédiaires avec du liquide ou en leur promettant des contrats de courtage. Soupçonné de fraude et de collusion, Tom Hayes a été arrêté à Londres le 11 décembre 2012 puis remis en liberté provisoire après avoir été auparavant inculpé d'escroquerie, de conspiration et de violation de la loi anti-trust aux Etats-Unis.
Son histoire, sans être banale, n'a rien d'exceptionnelle. Son diplôme de mathématiques et d'informatique en poche, Tom Hayes a été recruté par la filiale londonienne de la banque suisse UBS en 2001. Le matheux est alors affecté au trading des produits dérivés assis sur le Libor. Le chemin est tout tracé vers la gloire et la fortune.
Ce boulimique de l'agiotage ne connaît pas les mots fatigue, repos ou amis. Réservé, simple et solide, il se rend rarement avec ses collègues au pub ou autres manifestations de la profession. Mais tout ce que touche ce jeune loup blond à la beauté "clean" se transforme en espèces sonnantes et trébuchantes.
UN JEU BIAISÉ DEPUIS LE DÉBUT
Face à ses gains faramineux, son employeur helvétique l'envoie au printemps 2008 à Tokyo, où il négocie non seulement le taux interbancaire local Tibor mais des produits dérivés hautement sophistiqués et extrêmement opaques comme on n'en fait plus.
La réussite est telle que Goldman Sachs essaie de le débaucher quelques mois plus tard en lui proposant un pont d'or pour s'attacher ses services. UBS, qui ne tient pas à le voir partir, surenchérit. Le "Rain Man" accepte de rester chez les Suisses mais pas pour longtemps.
En décembre 2009, Tom Hayes leur fait faux bond pour rejoindre la filiale japonaise de Citigroup. La banque américaine double sa rémunération fixe, et lui promet un bonus garanti. La signature d'une success story, comme l'univers financier en a le secret, même après la crise financière de 2007-2008.
Mais le jeu est biaisé depuis le début. En septembre 2010, deux ans après la chute de Lehman Brothers qui déclencha la crise financière, un collègue londonien envieux découvre les irrégularités de ses soumissions. La direction est avertie. La star licenciée manu militari. Sa chute devient l'épicentre d'un formidable séisme financier.
"CELA DÉPASSE LE CADRE DE MA PETITE PERSONNE"
Pour se protéger, Citigroup informe immédiatement les autorités de Washington, qui déclenchent une investigation à l'échelle mondiale à laquelle participe une dizaine d'organismes nationaux ou internationaux de surveillance.
La traque amène les régulateurs de Londres et de Washington à imposer de lourdes amendes à UBS, Royal Bank of Scotland, le courtier britannique ICAP et Barclays. Cette dernière est la cible d'une nouvelle enquête, rendue publique le 17 octobre, du gendarme britannique des marchés sur les falsifications présumées du Libor par l'un de ses ex-employés alors basé à Singapour.
Le seul commentaire de Tom Hayes sur l'affaire est un sms envoyé au Wall Street Journal, au début de 2013, dans lequel il affirme : "Tout cela dépasse le cadre de ma petite personne."
Il explique que ses supérieurs, parfaitement au courant de ses manigances, lui avaient laissé carte blanche en vue de gonfler leurs primes de fin d'année. Une défense très classique.
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