
Au nom de la « morale », de la « décence », et de son nouveau combat contre la pornographie en ligne, le gouvernement indien veut interdire l’accès au site Internet du quotidien régional Le Dauphiné libéré. Tout comme ohasiatiques.com ou hindisex.com, le site d’informations régionales ledauphine.com fait partie d’une liste de 857 sites pornographiques jugés « répréhensibles », et recensés par le ministère indien des télécommunications.
La note confidentielle rédigée vendredi 31 juillet, et que Le Monde a pu consulter, a fait l’objet d’une fuite sur Internet. Le gouvernement a en fait simplement étoffé une liste existante qui avait été soumise à la Cour suprême par l’avocat Kamlesh Vaswani, le mois dernier. Ce dernier avait tenté d’obtenir de la juridiction suprême la censure de tous les sites pornographiques, arguant qu’ils étaient « pires qu’Hitler, pire que le sida, ou le cancer ».
Après avoir essuyé le refus des juges, il s’est alors tourné vers le gouvernement qui a ordonné la censure, malgré l’avis contraire de la Cour suprême. La présence d’un site d’informations français dans la liste risque de décrédibiliser l’assaut lancé par le premier ministre indien, Narendra Modi, contre la pornographie en ligne, et de conforter ses critiques. Les opposants sont nombreux à y voir, sinon une atteinte à la liberté d’expression, au moins l’archaïsme du système de filtrage employé.
Sur la méthode, d’abord, comment interdire l’accès à des sites pornographiques si nombreux sur la Toile dans un pays démocratique qui en est si friand ? L’Inde est, après les Etats-Unis, le Royaume-Uni et le Canada, la quatrième source la plus importante de trafic pour le site Pornhub.
Aussitôt l’annonce de la censure rendue publique, les journaux du pays en ont d’ailleurs profité pour donner des conseils sur les moyens de la contourner. De l’utilisation d’un réseau public virtuel à la relecture du Kama Sutra, en passant par un week-end à Khajurâho, ville célèbre pour les sculptures érotiques qui ornent ses temples.
Recrudescence de la censure

Depuis l’arrivée au pouvoir du nationaliste hindou Narendra Modi, en mai 2014, et quelques mois seulement après l’interdiction dans le pays d’ONG de défense de l’environnement, de nombreuses voix s’élèvent contre une recrudescence de la censure, et de l’autocensure, dans le pays.
Le blocage des sites pornographiques est perçu par certains comme une attaque contre les libertés individuelles. « N’interdisez pas le porno. Interdisez les hommes qui reluquent, qui matent, qui se frottent, qui tripotent, qui importunent, qui agressent, qui humilient et violent les femmes. Interdisez (les rapports) sans consentement. Mais pas le sexe », s’est insurgé l’auteur populaire Chetan Bhagat.
Citant des sources au sein du ministère des télécommunications, la presse indienne rapporte que ces sites constituent selon le gouvernement des « activités anti-sociales » ou encore que la liste établie est provisoire, dans l’attente d’un système de filtrage plus sophistiqué. Selon le porte-parole du ministère des télécommunications, N.N. Kaul, cette censure viserait, in fine, à bloquer les contenus pédopornographiques. Une explication qui ne convainc pas tout le monde.
De nombreux sites mentionnés dans la liste, dont ledauphine.com, étaient encore accessibles mardi matin depuis l’Inde. Ce n’est pas la première fois que le gouvernement indien, au nom de la censure, bloque par erreur des sites d’information, au risque de porter atteinte à la liberté d’expression. Ce fut le cas en 2012, au lendemain d’un exode massif à Bangalore, lorsque des habitants originaires du nord-est craignaient d’être la cible d’attaques.
En publiant cette liste, le gouvernement indien offre surtout aux internautes un annuaire de sites pornographiques d’une rare exhaustivité, mais d’une fiabilité toute relative. Les amateurs indiens de pornographie en ligne risquent d’être déçus en découvrant le site du Dauphiné Libéré.
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