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A un an des JO, Rio rase ses favelas indésirables

Les autorités ont recours aux pressions et aux indemnisations pour éviter les retards dans les travaux.

Par  (Rio de Janeiro, correspondant)

Publié le 28 juillet 2015 à 22h29, modifié le 05 août 2015 à 09h15

Temps de Lecture 4 min.

Un ouvrier travaillant à la construction du site olympique prend son déjeuner au milieu des maisons détruites de la Vila Autodromo, dans la zone ouest de Rio de Janeiro, le 11 juillet.

Toutes les semaines, même les week-ends. Garer sa voiture, marcher quelques mètres le long du haut mur de séparation, saluer délicatement un rare voisin encore présent avant de se figer sur cette bande de poussière grise où se dressait encore sa maison, il y a à peine trois mois. Pleurer en silence. Otavio tait son vrai nom mais partage sa tristesse d’une voix juste et sobre, qui a appris à maîtriser la pudeur.

Dix-huit années que ce petit entrepreneur quinquagénaire a vécues ici avec ses proches. Là, face au lac de Jacarepagua, dans cette favela autrefois paisible de la zone ouest de Rio de Janeiro appelée Vila Autodromo, ses 583 familles, pêcheurs pour la plupart, quelques réfugiés aussi de la dictature militaire (1964-1985) et son lot d’expulsés des favelas du centre-ville carioca.

Aucun gang, très peu de trafic : « On se connaissait quasiment tous », souffle-t-il. Aujourd’hui, Vila Autodromo est en passe de devenir un mirage. La favela a eu le malheur d’être non seulement située dans une région soumise à une spéculation immobilière intense, mais également d’empiéter d’un peu trop près sur les plans de l’immense parc olympique destiné aux Jeux olympiques (JO) 2016 de Rio. Un chantier à ciel ouvert de plus d’un million de mètres carrés où 4 500 ouvriers s’affairent activement à l’ombre de la longue et haute paroi de béton venue épouser de ses courbes la petite favela.

Préservée dans le projet initial des concepteurs cariocas après l’attribution en 2009 des JO à Rio, Vila Autodromo a vu ses jours comptés lorsque l’emplacement fut désigné, trois ans plus tard, pour accueillir un parking et une route d’accès aux personnalités olympiques et aux journalistes. S’ensuivit une forte mobilisation de la communauté, mettant l’accent sur les titres d’habitation obtenus par près de la moitié des résidents dans les années 1990.

Devenue, au fil des manifestations, le symbole de l’appétit immobilier carioca et des excès olympiques, Vila Autodromo a même remporté un prix international patronné par la Deutsche Bank pour un contre-projet urbain élaboré par des professeurs et chercheurs de l’Université fédérale de Rio (UFRJ). En vain. L’ordre d’expulsion des lotissements, signé en mars 2015 par le maire de Rio Eduardo Paes, précipite sa fin. L’intense et parfois brutale pression exercée par les autorités à laquelle se sont ajoutées des incitations financières toujours plus élevées, auront fait le reste.

« Spéculation immobilière »

A ce jour, un an avant l’ouverture des Jeux prévue le 5 août 2016, plus de 80 % des maisons ont été anéanties. Quelque 40 familles sont parties pendant le seul mois de juin. Seules un peu plus d’une centaine d’entre elles demeurent sur place, entre ruines béantes et pans de murs criblés de tags rageurs. Dédiés autrefois à la gloire du Parti des travailleurs, le PT au pouvoir depuis 2003, les slogans des façades encore debout interpellent aujourd’hui d’une encre déjà ternie par le temps les rares badauds de passage d’un « Tout ne s’achète pas » ou « On restera ! ».

Comme tant d’autres, Otavio a accepté l’offre des pouvoirs publics pour faire ses bagages et quitter les lieux. « Oui, j’ai reçu de l’argent, même une somme relativement élevée, mais cela n’est rien », s’empresse-t-il de préciser avant d’ajouter, le regard posé sur les décombres de son passé : « La pression subie, les menaces et la puissance des autorités sont intenables. Le pire, une fois parti, c’est que les souvenirs n’ont pas de prix. »

« Depuis des années, ils ont essayé de nous expulser. Ils y parviennent aujourd’hui en utilisant le prétexte des Jeux »

Altair Guimares est le porte-parole de l’amertume partagée par l’ensemble des derniers résidents. « Depuis des années, ils ont essayé de nous expulser, dit-il. Ils y parviennent aujourd’hui en utilisant le prétexte des Jeux alors que tout le monde sait que deux tiers de ces constructions n’ont d’autre fin que la spéculation immobilière. » Président de l’association des habitants de Vila Autodromo, 61 ans, lui-même déjà expulsé d’une favela dans les années 1970, l’Ilha Caiçaras, jouxtant le quartier de Leblon qui allait devenir un des plus chics de la ville, Altair admet qu’il n’aura pas le choix, comme les autres : « Comment faire face à l’ordre d’un juge qui ne vous connaît même pas ? Comment en plus résister face à une surenchère financière toujours plus élevée à mesure que s’approchent les JO ? »

Luiz Geraldo dos Santos, 52 ans, a ainsi vu sa maison coupée littéralement en deux par les bulldozers en rentrant un soir de son travail, après que son ex-femme, qui vivait sous le même toit, eut accepté l’offre de relogement de la mairie. Lui avait refusé les 50 000 reais (13 200 euros) que lui proposaient les autorités. Après une quinzaine de jours dans sa demi-demeure, Luiz consentit finalement à signer l’offre renégociée et quitta Vila Autodromo fin juin.

A la Vila Autodromo.

Selon un décompte effectué par un élu local de l’opposition, 116 personnes ont ainsi été indemnisées à hauteur de 95 millions de reais, pour la seule période allant de novembre à mai. Afin d’éviter d’interminables actions judiciaires et retards dans les travaux du chantier olympique, la mairie a ouvert ses coffres publics pour accélérer les expulsions. Parmi les bénéficiaires, 33 résidents de Vila Autodromo ont obtenu plus d’un million de reais.

« Ces sommes sont absurdes, il aurait été beaucoup moins coûteux de réurbaniser entièrement l’endroit, affirme Carlos Vainer, professeur d’urbanisme à l’UFRJ. Pour employer un langage cher à Pierre Bourdieu, les habitants de Vila Autodromo ont accumulé un “capital politique” qu’ils échangent, en ce moment, pour du “capital argent”. Qui pourrait les critiquer, dans un monde, un pays, une ville où chacun vaut ce qu’il peut acheter ? »

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Avant de repartir, Otavio jette un dernier coup d’œil vers le haut mur d’où s’échappe une longue plainte, la rumeur d’un gigantesque chantier sans fin. « Personne ne voulait partir d’ici », glisse-t-il avant de lâcher dans un dernier souffle : « J’ai vu de quoi sont capables les autorités. C’est encore pire que ce vous pouvez imaginer. »

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