Le président François Hollande et son homolgue égyptien Abdel Fatah al-Sissi le 24 jnavier 2015 à Ryad

Le président François Hollande et son homologue égyptien Abdel Fatah al-Sissi, le 24 janvier 2015 à Ryad.

afp.com/Yoan Valat

La "nouvelle Égypte" est en marche. La France est à son côté. Ce 6 août, François Hollande est l'invité d'honneur de la cérémonie "pharaonique" inaugurant le doublement du canal de Suez, projet phare du président Abdel Fatah al-Sissi, nouveau partenaire stratégique de Paris. Dans le port d'Ismaïlia, où se pressent des délégations étrangères, la frégate multimissions (Fremm), rebaptisée Tahya Misr (Longue vie à l'Egypte), arbore désormais les couleurs égyptiennes, avec les trois premiers avions de chasse Rafale (sur 24 commandés) également livrés au Caire, premier pays à en avoir fait l'acquisition.

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Depuis l'achat surprise de ces matériels de guerre, en février, pour un montant de 5,2 milliards d'euros, Paris et Le Caire semblent en pleine lune de miel. Certes, les deux pays sont associés historiquement au percement de l'isthme de Suez, couloir vital pour le commerce international permettant aux navires d'accéder à la Méditerranée en passant par la mer Rouge. Le président de la République française marche dans les pas de l'impératrice Eugénie: en 1869, l'épouse de Napoléon III avait inauguré l'ouvrage, commandité par l'entrepreneur français Ferdinand de Lesseps, au côté du khédive Ismaïl Pacha.

"Un partenaire incontournable"

Cent quarante-six ans plus tard, la présence de François Hollande et du ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, célèbre la reprise de relations bilatérales constructives, après la parenthèse de la présidence de Mohamed Morsi (30 juin 2012 - 3 juillet 2013), issu des Frères musulmans, chassé du pouvoir par l'armée alors dirigée par l'ex-maréchal Sissi. Un diplomate français confirme: "C'est un moment important de l'histoire de l'Egypte, que la France ne pouvait pas, ne devait pas ignorer. Quel que soit le jugement que l'on peut porter sur le bilan et les perspectives de la présidence Sissi, l'Egypte a retrouvé un caractère incontournable sur le plan régional. C'est un partenaire avec lequel il faut travailler." Dans une interview au Figaro, le 14 mai, le premier ministre égyptien, Ibrahim Mahlab, a parlé de relation "idéale" avec la France.

Les deux pays sont, notamment, concernés par la situation délétère en Libye, pays voisin de l'Egypte, où les djihadistes de l'Etat islamique étendent peu à peu leur emprise, tandis que ce groupe terroriste multiplie les attentats dans le Sinaï. De son côté, Paris déploie une base avancée de son dispositif antiterroriste Barkhane à Madama, dans le nord du Niger, afin de surveiller les divers trafics autour de la frontière libyenne. Par ailleurs, la France a renforcé ses liens avec l'Arabie Saoudite, qui est aussi le principal bailleur de fonds du régime de Sissi depuis que les Etats-Unis ont pris leur distance après le coup d'Etat militaire. Dans le contexte géopolitique du Moyen-Orient, Paris voit des intérêts, en termes stratégique et commercial, à se rapprocher de cet allié de Riyad. Tandis que Le Caire, qui rêve de recouvrer sa puissance régionale, diversifie ses alliances.

Sur le plan économique, les entreprises françaises, de leur côté, misent sur la reprise du marché du plus grand pays arabe, avec ses quelque 85 millions d'habitants. Beaucoup d'entre elles avaient réduit leurs investissements, voire fui le pays lors de la révolution de 2011. En juin dernier, une délégation du Medef international s'est rendue au Caire. Trois mois plus tôt, lors d'une conférence internationale tenue à Charm el-Cheikh, sur les bords de la mer Rouge, de grands investisseurs étrangers ont signé avec le gouvernement égyptien des contrats d'une valeur de 34 milliards d'euros. De quoi relancer la croissance, qui souffre durement de la chute du secteur du tourisme.

La répression continue

Cette nouvelle reapolitik française, cependant, est critiquée par les ONG et les défenseurs des droits de l'homme : ils déplorent le silence du gouvernement alors que la répression se poursuit en Egypte contre toute forme d'opposition, y compris les libres penseurs, et contre les Frères musulmans en particulier. De son côté, l'ONU dénonce les procès de masse et les condamnations expéditives à la peine de mort, par une justice aux ordres. Le président américain Barack Obama s'est dit "préoccupé".

"La vie politique égyptienne est un peu anémiée, reconnaît un diplomate. Avec le risque que la répression nourrisse le radicalisme qu'elle veut éradiquer. Ce point de vue est très difficile à faire admettre en Egypte, où une nette majorité de la population soutient cette politique." Recevant, à Berlin, Abdel Fatah al-Sissi, le 5 juin, Angela Merkel, la chancelière allemande, a interpelé son hôte sur le sujet des droits de l'homme. "Vous avez un point de vue que nous respectons, mais nous avons un point de vue que vous devez respecter", lui a répondu le raïs égyptien. Ce qui n'a pas empêché le groupe Siemens de conclure le plus important contrat de son histoire (8 milliards d'euros) pour l'achat de 24 turbines à gaz.

A Ismaïlia, François Hollande devrait évoquer le sujet dans le cadre de ses échanges avec Sissi. Mais en privé.

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