N’en déplaisent aux versions officielles présentées par Paris et Libreville, les relations diplomatiques entre la France et le Gabon ont connu de sérieuses turbulences en ce creux d’été. La faute à une vieille affaire de pots-de-vin présumés que le groupe français Marck, spécialisé dans la confection d’uniformes militaires, est accusé d’avoir versé au directeur de cabinet de la présidence gabonaise, Maixent Accrombessi, pour obtenir un contrat de 7 millions d’euros avec le Gabon.
L’histoire ne devrait pas s’arrêter là puisqu’une information judiciaire visant nommément Maixent Accrombessi et Philippe Belin, président du groupe Marck, a été ouverte ce vendredi 7 août pour corruption active et passive d’agents étrangers, abus de bien social, blanchiment, recel, faux et usage de faux. L’instruction a été confiée au juge Roger-le-Loire qui dirige, par ailleurs, l’enquête dite des « biens mal acquis ». A l’issue de sa garde à vue, M. Belin a été notamment mis en examen pour corruption active et abus de bien social et placé sous contrôle judiciaire.
Accrombessi de retour au Gabon
Pendant ce temps-là à Suez, en Egypte, Ali Bongo et François Hollande assistaient à l’inauguration jeudi 6 août de l’extension du canal. Les présidents français et gabonais se sont croisés, sans pour autant évoquer le sujet. Au grand dam d’Ali Bongo dont l’entourage assure qu’il aurait souhaité aborder ce soubresaut judiciaire et diplomatique avec son homologue.
En coulisses, le palais présidentiel du bord de mer, furieux de voir l’un des siens placé en garde à vue dans les locaux de la police judiciaire avait vivement protesté contre cette mesure vécue comme une humiliation.
Quelques heures à peine après son interpellation, lundi 3 août, à Roissy, l’ambassade du Gabon en France faisait opportunément parvenir au Quai d’Orsay une lettre attestant d’une « mission spéciale » de Maixent Accrombessi sur le sol français. Suffisant pour lui accorder une immunité diplomatique et lever sa garde à vue.
De nationalité béninoise, gabonaise et française, Maixent Accrombessi, lui, a quitté Paris mercredi matin. Avant de s’envoler vers Libreville, il a pris le temps de poser pour un selfie devant le jet privé, sur le tarmac de l’aéroport du Bourget, et de l’envoyer à ses proches. Arrivé au Gabon, l’exécutif lui a préparé un comité d’accueil. Sur sa nouvelle page Facebook, Maixent Accrombessi écrit néanmoins : « Je suis à la disposition de la justice française dans les formes qui respecte la souveraineté du Gabon et le droit des personnes. »
2,3 millions d’euros versés
Les interprétations vont bon train sur cet épisode diplomatico-judiciaire ainsi que sur les tensions qui l’auraient nourri. Querelle entre Marck et ses concurrents français, lutte d’influence au sein de l’équipe gouvernementale d’Ali Bongo à un an de l’élection présidentielle, voire au sein même de l’exécutif français sur le choix des interlocuteurs gabonais ? Les soupçons d’instrumentalisation de la justice française à des fins politiques hantent les esprits.
Il est vrai que l’enquête préliminaire ouverte en juillet 2007 sur des faits remontant à 2005 a été particulièrement longue laissant ainsi la place à toutes les analyses – sans que rien ne vienne les confirmer – sur le timing de ces nouveaux actes d’enquête.
Les policiers de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCLIFF) disposent toutefois de nombreux documents, pour certains transmis par la justice monégasque, attestant de différents virements émis par la société Marck sur des comptes appartenant à des sociétés gérées par des proches de M. Accrombessi ou par lui-même. Près de 300 000 euros d’abord, puis six virements d’un montant total avoisinant les 2 millions d’euros.
« Dans les règles du droit »
Créée en 1850, la société Marck emploie aujourd’hui près de 800 personnes. Sa zone d’activité première reste l’Afrique francophone à qui elle fournit des uniformes militaires et du matériel anti-émeute. Son patron, Philippe Belin, connaît personnellement le président gabonais de longue date. Et au sein du groupe, on assure que Maixent Accrombessi était alors un homme d’affaires, fort d’un certain entregent au Gabon.
S’il conseillait Ali Bongo, alors ministre de la défense, il n’était pas pour autant « agent étranger » selon la qualification pénale qu’en fait la justice française, assure Marck. Pour le général français à la retraite Dominique Trinquand, désormais directeur du département export de la société, « si Marck fait bien appel à des prestataires de services rémunérés en tant que tel, tout cela se fait dans les règles du droit ».
Philippe Belin avait déjà été entendu en 2008 sur ce même dossier et sa société perquisitionnée à plusieurs reprises. Il est, par ailleurs, déjà mis en examen pour des faits similaires dans le cadre de l’enquête menée sur l’homme d’affaires Michel Tomi autour de contrats passés avec le Mali et le Cameroun.
A quelques enjambées de l’élection présidentielle gabonaise qui doit se tenir en août 2016, cette affaire fragilise Ali Bongo déjà en difficulté sur la scène politique intérieure, de plus en plus isolé sur le plan régional, et se révèle embarrassante pour son allié français.
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