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Au Sénégal, la technologie au service des femmes et de la production locale

À Dakar, la start-up Sooretul œuvre à créer de l’emploi pour des femmes qui transforment des produits locaux.

Le Monde

Publié le 04 août 2015 à 18h31, modifié le 04 août 2015 à 17h15

Temps de Lecture 15 min.

Des femmes qui préparent la semoule qui sera écoulée via Sooretul.

La banlieue de Dakar s’étale et dévoile des constructions délabrées et colorées. Les constructions, ici, doivent leurs formes aux activités informelles qu’elles abritent : la distribution alimentaire et la revente au détail constituent le véritable moteur qui anime quotidiennement les routes de ces quartiers. Et les femmes, avec leurs activités aux contours souvent mal définis, en sont les principaux acteurs. Dans ces ruelles, parmi les étales de marchands ambulants, où se répandent vêtements et objets d’occasion, des groupes de femmes se sont formés pour constituer des pôles d’entrepreneurs. C’est ainsi qu’elles ont réussi à promouvoir une activité traditionnelle en utilisant des produits locaux et en associant les technologies numériques.

Sooretul, qui en langue Wolof signifie « pas trop loin », est un projet lancé en 2014 par une start-up créée par des jeunes femmes sénégalaises. Objectif : fournir un espace en ligne à ces femmes engagées dans la transformation de fruits et de céréales locaux, et les aider à vendre leurs productions.

Awa Caba, 27 ans, est née et a grandi à Dakar. Après ses études d’ingénieur à l’université de Dakar, elle a cofondé la start-up Sooretul avec d’autres passionnées de technologie. « Nous sommes convaincues que le développement d’un pays est impossible sans l’implication et le travail des femmes », raconte Awa Caba. Un constat indéniable tant les femmes représentent 43 % de la main-d’œuvre agricole. Et, en Afrique, l’agriculture reste le premier secteur d’activité.

La plate-forme Sooretul vise à valoriser un des métiers les plus traditionnels des femmes sénégalaises : la transformation des produits agricoles locaux et la fabrication de jus, de confitures, de semoules et autres spécialités du pays. « Grâce à leur travail, nous explique la cofondatrice du projet, ces femmes encouragent le développement et la consommation locale, mais ne parviennent pas à s’insérer dans un marché dominé par la présence de multinationales de l’agroalimentaire, en particulier françaises, et donc devenu trop compétitif pour elles ».

En effet, pour les petits producteurs et les vendeurs qui ne disposent pas des infrastructures nécessaires pour assurer les différentes phases de production et de commercialisation, l’accès à la grande distribution relève de l’impossible. Et pour faire face à la demande exponentielle, les investissements dans les infrastructures se révèlent bien trop coûteux pour les producteurs.

Awa Caba, co-fondatrice de Sooretul.

Des céréales comme le mil, le fonio, le maïs, le riz, et des fruits locaux tels que l’hibiscus, la mangue ou le bouye (fruit du baobab) constituent la base de la fabrication de semoule, sirops, jus de fruits et autres confitures. Toutefois, dans les échoppes et magasins de Dakar, il est plus simple de trouver des pots de confiture importés de France que « made in Sénégal ».

« Les consommateurs ne connaissent pas les produits agricoles sénégalais et les seules occasions de rapprocher les habitants des fruits de leur propre terre restent les foires organisées périodiquement », précise Awa Caba, les yeux rivés sur son smartphone, à l’arrière d’un taxi.

Développer la vente en ligne de productions locales

Dans son rapport « Grain, Fish, Money », l’Africa Progress Panel pointe la dépendance aux importations de produits alimentaires du continent africain : 35 millions de dollars en 2011. « Avec la plate-forme Sooretul, précise la jeune entrepreneuse, notre objectif est de renforcer les capacités de ces femmes pour leur permettre de maintenir durablement en vie un secteur traditionnel qui a encore des potentialités inexploitées énormes ».

Les petites entreprises de femmes qui collaborent avec le site web se développent en périphérie de Dakar. Comme à Thiaroye et à Guédiawaye où les sociétés Maria et Fouty Service garantissent un emploi à des dizaines de femmes qui travaillent dans la transformation des produits locaux, chacune dans son quartier respectif.

Des femmes de l'entreprise Maria, lors de la sélection, du lavage et de la transformation de produits locaux.

Mariame Mbodj est la responsable de Maria, une petite usine située à Thiaroye, créée en 1997 et qui depuis quelques mois collabore à la plate-forme Sooretul. « Avec le temps, nous avons compris l’importance non seulement d’encourager la consommation de nos produits sur tout le territoire national, analyse la directrice de cette entreprise féminine, mais aussi de générer des revenus pour les petits producteurs ruraux à qui nous achetons les matières premières indispensables à notre activité ».

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« La vente online, ajoute Mariame, constitue une alternative aux méthodes traditionnelles de vente de nos produits alimentaires. Aujourd’hui, tout le monde dispose d’un accès à internet, le consommateur est plus exigeant, et les habitudes alimentaires plus différenciées ».

Awa Caba va régulièrement dans les banlieues de Dakar pour suivre personnellement la bonne coopération entre la plate-forme numérique et les ateliers traditionnels de fabrication. « Nous cherchons à sensibiliser ces femmes et de comprendre, jour après jour, leurs problématiques, de façon à adapter au mieux notre technologie aux exigences réelles et ainsi les aider à développer leur business », souligne la cofondatrice de Sooretul. « Notre objectif est de bâtir une plate-forme qui puisse accueillir toutes les entreprises féminines de ce type, non seulement en ville, mais aussi en zone rurale », ajoute celle qui améliore sans cesse sa plateforme pour permettre à ces femmes des accès à des nouveaux marchés, tels que des hôtels ou des supermarchés, et ainsi leur assurer des revenus stables.

Innovation numérique et tradition

Dans le quartier de Guediawaye, Nafy Diagne Gueye dirige son entreprise, Fatou, qui là encore œuvre à la transformation de produits locaux. Après la saison des pluies, raconte l’entrepreneure, les habitants des zones rurales rallient les villes à la recherche de travail. Mais souvent, ils se retrouvent confrontés aux difficultés du monde urbain.

« À cause de la densité de population élevée de ces zones, la question de l’accès à la nourriture est cruciale et les possibilités d’achat sont rares, explique la fondatrice de Fatou. Voilà pourquoi nous nous sommes lancées dans la transformation de produits locaux et la commercialisation à bas prix de ces produits ».

La relation avec Sooretul a non seulement permis à ce groupe de femmes un accès à une cible nouvelle de consommateurs, mais lui a également donné la possibilité d’explorer des formes inédites de collaboration avec des jeunes. « La grande nouveauté de nos temps, poursuit la fondatrice de Fatou, est due au fait qu’aujourd’hui les jeunes ont un niveau d’instruction bien supérieur à leurs parents et qu’ils comprennent l’importance d’intégrer toutes ces activités traditionnelles qui sont en train de péricliter lentement ».

Awa Caba revient chaque soir dans son bureau à Dakar : un espace de co-working qu’elle partage avec d’autres jeunes innovateurs. Tout comme Nafy Diagne Gueye, elle veut croire que la jeune génération est sensible à la préservation de ces savoirs traditionnels. Pour elle, Sooretul permet à la fois de créer de l’emploi grâce à l’innovation technologique, et de valoriser les savoir-faire traditionnels.

Par Elisabetta Demartis et Sandro Bozzolo, contributrices Le Monde Afrique

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