CULTURE - C'est l'exposition réjouissante de l'été (et de l'automne): à Paris, la Fondation Cartier présente l'art de la République Démocratique du Congo étalé sur un demi siècle: tout beau, tout chaud, tout rigolo. Et surtout d'une créativité particulièrement forte. A voir.
©Chéri Samba, La Vraie Carte du monde, 2011 Collection Fondation Cartier pour l'art contemporain, Paris © Chéri Samba.jpg
La République Démocratique (?) du Congo ou RDC, ancienne propriété privée du Roi des Belges (!) est en éruption permanente, d'autant que cet immense pays est riche (?) de son sous sol tant convoité qu'il ne cesse d'être victime de corruptions, batailles, sécessions, cessions, épidémies, guerres, etc... C'est dans ce contexte particulièrement violent et dans une criante pauvreté, que s'est développé un vaste courant artistique très actif. Il y a la musique aux sonorités remarquables, la vie nocturne toujours dense, la mode et ses adeptes de la SAPE (Société des Ambianceurs et des Personnes Elégantes) et la peinture colorée et représentative. Ce sont ces aspects que montre, à Paris, en plus de 300 oeuvres la très belle exposition (jusqu'au 15 novembre ) la Fondation Cartier (www.fondation.cartier.com) dans un cadre approprié.
©Mode Muntu, Le Calendrier lunaire Luba, 1979 Collection Meir Levy, Bruxelles © Mode Muntu.jpg
Un art enfin reconnu
Longtemps faussement qualifiée par les (rares) occidentaux qui s'y intéressaient de« naïve », la peinture de la RDC se veut, à juste titre, avant tout « populaire ». une expression que les anciens, Chéri Samba, Moke Chéri Chérin, Pierre Bodo ou Cheik Ledy ont mis en valeur avec leurs oeuvres de plus en plus grandioses, tant par leur taille que leur expression. Ces artistes qui désormais vivent, parfois pour certains somptueusement, de leur travail ont généralement débuté comme peintres publicitaires, décorateurs ou illustrateurs dans des ateliers sommaires et exposaient leurs toiles dans la rue, pour qu'elles soient visibles de tous. D'ailleurs Chéri Samba qui trouvait que l'on passait trop vite devant ses peintures a systématiquement ajouté des textes plus ou moins appropriés, afin que le passant s'attarde davantage: aujourd'hui ce commentaire fait totalement partie de son expression picturale. Avec souvent une pointe d'ironie,souvent anti-conformiste, un humour que l'on retrouve chez la plupart des autres artistes. Notamment Pierre Bodo (décédé cette année) ou Chéri Chérin et leurs toiles très réalistes de Sapeurs ou les étonnantes sculptures de villes idéales créées par Bodys Isek Kingelez (également décédé cette année). Sans oublier Mode Muntu (décédé en 1985) et ses étonnantes silhouettes colorées sur gouaches, si typiques, sans doute le plus africain de sa génération.
©Albert Lubaki, Sans titre, 1927 Collection privée, Paris © Albert Lubaki.jpg
Les jeunes à leur tour
Si quelques européens ont joué le rôle d'enseignants ou de mécènes pendant la colonisation puis lors de l'indépendance, depuis les années 2000, la jeune génération s'est émancipée sous la houlette des anciens, certains étant même considérés comme des « maîtres ». Avec toujours un oeil figuratif, acerbe souvent, politique parfois et des couleurs franches et des formats imposants. C'est le cas de JP Mika dont les immenses panneaux à la gloire des chefs d'Etat sont peints sur des tissus à motifs, de Kura Shomali qui puise ses sujets sur les rumeurs de la capitale Kinshasa, des photographies (inversées, car prises dans les flaques d'eau) de Kiripi Katembo ou le magnifique travail de Sammy Baloji, mêlant photos et aquarelles.
©Collection Pas-Chaudoir,Belgique©JPMilka, A.deRoux
Déjà dans les musées
Pour répondre à l'anti-chronologie de cette exposition (on passe de 2015 à 1926), la manifestation présente dans son sous sol bétonné des photos du Kinshasa (ex Léopoldville) des années 1950/60 de Jean Depara et d'Ambroise Ngalmoko en noir et blanc, un tantinet nostalgiques mais toutes en élégance. Plus anciennes encore sont les oeuvres des précurseurs, Albert Lubaki décorateur de cases et son épouse Antoinette tout comme celles d'un autre peintre autodidacte, Djilatendo deux locaux à qui un administrateur belge a fourni papier et peintures: une partie de cette collection ramenée en Europe dans les années 1930 démontre le talent des artistes congolais. certaines de ces gouaches étant d'une surprenante modernité, d'autant plus que ce sont les seules oeuvres abstraites de l'expo.
Si l'on peut noter le machisme de l'art congolais, tout au moins celui présenté ici est tout entier masculin et « viril » , il faut surtout retenir combien la RDC est riche d'artistes de grand talent aux caractéristiques bien marquées: même si le marché de l'art désormais mondialisé met en avant, et ce, avec des prix totalement extravagants et spéculatifs, des artistes contemporains occidentaux et Chinois, les signatures congolaises commencent à percer dans les galeries et salles des ventes. Et aussi, dans les musées: le Moma de New York ou le Centre Pompidou de Paris ont déjà montré quelques unes de ces oeuvres remarquables.
La reconnaissance du talent congolais est réelle: pour ceux qui ne connaissent pas encore cet art (et pour ceux qui l'ont déjà abordé), cette exposition est donc à voir. Ce n'est pas seulement pour la (re) découverte, c'est d'abord une réjouissance.
Interessant et bien documenté catalogue (375 pages, 47 euros)
©Monsengo Shula, Ata Ndele Mokili Ekobaluka (Tôt ou tard le monde changera), 2014 Collection privée © Monsengo Shula.jpg